LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mars 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 264 F-B
Pourvoi n° X 23-15.729
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MARS 2025
La société [3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° 23-15.729 contre l'arrêt rendu le 9 mars 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Aquitaine, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de la société [3], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Aquitaine, après débats en l'audience publique du 5 février 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 9 mars 2023), à la suite de l'établissement à son encontre d'un procès-verbal pour travail illégal par emploi d'un salarié étranger non autorisé à travailler, l'URSSAF d'Aquitaine (l'URSSAF) a notifié à la société [3] (la société) un redressement relatif à l'annulation des réductions et exonérations de cotisations dont elle a bénéficié de janvier 2014 à juillet 2018.
2. La société a formé opposition à l'encontre de la contrainte qui lui a été décernée le 4 avril 2019 pour le recouvrement de ces sommes devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et cinquième branches, et le troisième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de valider la contrainte et de la condamner à payer à l'URSSAF la somme mentionnée dans cet acte, alors « que selon le I de l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, « le bénéfice de toute mesure de réduction ou d'exonération, totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale, de contributions dues aux organismes de sécurité sociale ou de cotisations ou contributions mentionnées au I de l'article L. 241-13 est supprimé en cas de constat des infractions mentionnées aux 1° [travail dissimulé] à 4° [emploi d'étrangers non autorisés à travailler] de l'article L. 8211-1 du code du travail » ; que selon le II du même article, « lorsque l'infraction est constatée par procès-verbal dans les conditions déterminées aux articles L. 8271-1 à L. 8271-19 [emploi d'étrangers non autorisés à travailler] du même code, l'organisme de recouvrement procède, dans la limite de la prescription applicable à l'infraction, à l'annulation des réductions et exonérations des cotisations ou contributions mentionnées au I du présent article » ; qu'enfin, selon le III du même article, « par dérogation aux I et II du présent article et sauf dans les cas mentionnés au second alinéa du I de l'article L. 243-7-7 1, lorsque la dissimulation d'activité ou de salarié résulte uniquement de l'application du II de l'article L. 8221-6 du code du travail ou qu'elle représente une proportion limitée de l'activité, l'annulation des réductions et exonérations de cotisations de sécurité sociale ou de contributions est partielle » ; qu'il s'ensuit qu'en cas d'emploi d'étrangers non autorisés à travailler, il est dérogé à l'annulation des réductions et exonérations des cotisations ou contributions sociale et cette annulation est partielle, lorsque la situation d'emploi d'étrangers non autorisés à travailler représente une proportion limitée de l'activité ; qu'en l'espèce, en retenant que « l'annulation partielle des réductions et exonérations de cotisations de sécurité sociale ou de contributions ne peut être octroyée sur le fondement du III de l'article L. 133-4-2 du code précité visant expressément les infractions de travail dissimulé par dissimulation d'activité ou de salarié », la cour d'appel a violé l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale (dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018). »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 133-4-2, III, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018, applicable au litige, par dérogation aux I et II de ce texte et sauf dans les cas mentionnés au second alinéa du I de l'article L. 243-7-7, lorsque la dissimulation d'activité ou de salarié résulte uniquement de l'application du II de l'article L. 8221-6 du code du travail ou qu'elle représente une proportion limitée de l'activité, l'annulation des réductions et exonérations de cotisations de sécurité sociale ou de contributions est partielle.
6. Il résulte de ce texte que l'annulation des réductions et exonérations en cause n'est seulement partielle que dans deux cas, celui de la dissimulation relative à des travailleurs indûment présentés comme travailleurs indépendants, transporteurs routiers indépendants ou dirigeants ou salariés d'une autre entreprise et celui où cette dissimulation représente une proportion limitée de l'activité.
7. Ainsi, l'employeur à l'égard duquel a été constatée l'infraction d'emploi d'étranger non autorisé à travailler ne peut bénéficier de cette modulation de la sanction d'annulation des réductions et exonérations de cotisations de sécurité sociale ou de contributions dues aux organismes de sécurité sociale.
8. Ayant constaté que la société faisait l'objet d'une procédure de redressement sur le fondement du travail illégal pour emploi d'étranger non autorisé à travailler, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle ne pouvait bénéficier de l'annulation seulement partielle des réductions et exonérations de cotisations de sécurité sociale ou de contributions.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
10. La société fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 3°/ que la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif ; que l'article 24 de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 a modifié l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale pour étendre l'exclusion du bénéfice de toute mesure de réduction ou d'exonération de cotisations de sécurité sociale, auparavant réservé au travail dissimulé, à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler ; que si l'article 24, IV dispose qu'il « s'applique aux contrôles engagés à compter du 1er janvier 2017 », il n'en résulte pas pour autant que pour un contrôle engagé à compter du 1er janvier 2017, le cotisant perde rétroactivement le bénéfice des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations pour la période antérieure au 1er janvier 2017, dans la limite de la prescription quinquennale ; qu'en l'espèce, pour valider la contrainte, la cour d'appel a retenu que « l'URSSAF ayant initié le contrôle en 2018, l'inspecteur du recouvrement pouvait valablement procéder au redressement de la société, sur le fondement du travail illégal pour emploi d'étranger non autorisé à travailler, pour les années 2014 à 2018 conformément à la législation, sans qu'il puisse lui être reproché de contrevenir au principe de non rétroactivité des lois nouvelles » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil, ensemble les articles 24 de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016, L. 133-4-2 et L. 241-13 du code de la sécurité sociale et L. 8211-1 du code du travail ;
4°/ que la loi qui édicte une sanction ayant le caractère d'une punition ne dispose que pour l'avenir et ne saurait s'appliquer à des infractions intervenues antérieurement à son entrée en vigueur ; qu'au cas d'espèce, pour valider la contrainte, la cour d'appel a retenu « qu'en application de l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, le bénéfice de toute mesure de réduction ou d'exonération, totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale, de contributions dues aux organismes de sécurité sociale ou de cotisations ou contributions mentionnées au I de l'article L. 241-13 est supprimé en cas de constat des infractions mentionnées aux 1° à 4° de l'article L. 8211-1 du code du travail, que conformément au IV de l'article 24 de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 ayant modifié l'article susmentionné, ces dispositions s'appliquent aux contrôles engagés à compter du 1er janvier 2017 (...) et que l'URSSAF ayant initié le contrôle en 2018, l'inspecteur du recouvrement pouvait valablement procéder au redressement de la société, sur le fondement du travail illégal pour emploi d'étranger non autorisé à travailler, pour les années 2014 à 2018 conformément à la législation, sans qu'il puisse lui être reproché de contrevenir au principe de non-rétroactivité des lois nouvelles » ; qu'en appliquant ainsi une loi nouvelle, qui édicte une sanction ayant le caractère d'une punition, à des faits antérieurs à son entrée en vigueur, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil, ensemble les articles 24 de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016, L. 133-4-2 et L. 241-13 du code de la sécurité sociale et L. 8211-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016, et l'article 24, IV, de cette loi :
11. Selon le premier de ces textes, le bénéfice de toute mesure de réduction et d'exonération, totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale ou de contributions dues aux organismes de sécurité sociale, appliquée par un employeur ou un travailleur indépendant, est supprimé en cas de constat des infractions mentionnées, notamment, aux 2° à 4° de l'article L. 8211-1 du code du travail. Il résulte du 4° de ce dernier texte qu'est constitutive de travail illégal l'infraction d'emploi d'étranger non autorisé à travailler.
12. Selon le second, ces dispositions s'appliquent aux contrôles engagés à compter du 1er janvier 2017.
13. Il se déduit de ces textes que les sanctions prévues par le premier sont applicables lorsqu'a été constatée l'une des infractions mentionnées aux 2° à 4° de l'article L. 8211-1 du code du travail, commise postérieurement au 1er janvier 2017, date d'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 23 décembre 2016.
14. En effet, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 2016, l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction alors applicable, ne prévoyait l'annulation de toute mesure de réduction et d'exonération, totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale ou de contributions qu'en cas de travail dissimulé. La loi du 23 décembre 2016 a élargi le champ d'application de cette sanction qui concerne désormais non seulement le travail dissimulé, prévu à l'article L. 8211-1, 1°, du code du travail, mais également le marchandage, le prêt illicite de main-d'oeuvre et l'emploi d'étranger non autorisé à travailler, prévus aux 2° à 4° de ce texte.
15. La sanction prévue par l'article L. 133-4-2 susvisé présente le caractère d'une punition. Elle ne s'applique donc qu'aux seules infractions mentionnées aux 2° à 4° de l'article L. 8211-1 du code du travail commises postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 2016.
16. Pour valider la contrainte, l'arrêt relève que la société employait depuis le 4 novembre 2013 un salarié ne disposant pas d'une autorisation de travail. Il retient que l'URSSAF ayant initié le contrôle en 2018, l'inspecteur du recouvrement pouvait valablement procéder au redressement, sur le fondement du travail illégal pour emploi d'étranger non autorisé à travailler, pour les années 2014 à 2018, sans qu'il puisse lui être reproché de contrevenir au principe de non-rétroactivité des lois nouvelles.
17. En statuant ainsi, alors que le redressement en cause portait, pour partie, sur des faits commis antérieurement au 1er janvier 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société [3] de nouveau calcul du montant de la suppression des réductions et exonérations, l'arrêt rendu le 9 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée.
Condamne l'URSSAF d'Aquitaine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF d'Aquitaine et la condamne à payer à la société [3] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille vingt-cinq.