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19/03/2025 | FRANCE | N°42500148

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 19 mars 2025, 42500148


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


COMM.


FM






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 19 mars 2025








Cassation partielle
et rectification d'erreur matérielle de
l'arrêt attaqué




M. MOLLARD,
conseiller doyen faisant fonction de président






Arrêt n° 148 F-B


Pourvoi n° H 23-18.728








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S

E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 MARS 2025


1°/ La société Société du Tour d...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 19 mars 2025

Cassation partielle
et rectification d'erreur matérielle de
l'arrêt attaqué

M. MOLLARD,
conseiller doyen faisant fonction de président

Arrêt n° 148 F-B

Pourvoi n° H 23-18.728

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 MARS 2025

1°/ La société Société du Tour de France, société par actions simplifiée,

2°/ la société Amaury sport organisation A S O, société anonyme,

toutes deux ayant leur siège [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° H 23-18.728 contre l'arrêt rendu le 5 juillet 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [X] [B],

2°/ à M. [R] [B],

3°/ à Mme [P] [B] [U],

tous trois domiciliés [Adresse 2],

4°/ à la société Alphand événements, société à responsabilité limitée,

5°/ à la société Alphand, société civile,

6°/ à l'association Respectons la terre,

ayant toutes trois leur siège [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

MM. [X] et [R] [B], Mme [B] [U], les sociétés Alphand événements et Alphand et l'association Respections la terre ont formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.

Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

Les demandeurs au pourvoi incident éventuel invoquent, à l'appui de leur recours un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sabotier, conseiller, les observations de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, avocat des sociétés Société du Tour de France et Amaury sport organisation A S O, de Me Bertrand, avocat de MM. [X] et [R] [B], Mme [B] [U], des sociétés Alphand événements et Alphand et de l'association Respectons la terre, après débats en l'audience publique du 28 janvier 2025 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sabotier, conseiller rapporteur, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 juillet 2023), la Société du Tour de France (la société STF) organise depuis 1973 la course cycliste du même nom, créée en 1903.

2. Le 10 février 1977, la STF a obtenu l'enregistrement de la marque verbale française « Tour de France » n° 1368310 pour désigner différents produits et services en classes 1 à 45 et en particulier, en classe 41, les services de « divertissements radiophoniques ou par télévision ; production de films ; distribution de journaux ; organisation d'épreuves sportives ».

3. Depuis 2002, la course cycliste est organisée et la marque « Tour de France » exploitée par la société Amaury sport organisation (la société A S O) en exécution d'un contrat de location-gérance de fonds de commerce et d'une licence de marque inscrite au registre tenu par l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI).

4. M. [X] [B], qui avait créé en 2008 l'association Respectons la terre (l'association RLT) aux fins de promouvoir la pratique d'activités sportives, a déposé la marque semi-figurative française « Tour de France à la rame », enregistrée le 26 octobre 2016 sous le n° 4310124, pour désigner différents produits et services en classes 9, 12, 39 et 41.

5. Le 24 juillet 2017, les sociétés A S O et STF ont assigné M. [X] [B] afin d'obtenir l'annulation de la marque n° 4310124. La société Alphand événements, la société civile Alphand, l'association RLT, M. [R] [B] et Mme [B] [U] sont intervenus volontairement à l'instance et, avec M. [X] [B], ont sollicité reconventionnellement la déchéance des droits de la société STF sur la marque n° 1368310.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi principal

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

7. Les consorts [B], la société Alphand événements, la société Alphand et l'association RLT font grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, alors « qu'après avoir fait droit à la demande principale de M. [X] [B] tendant à la confirmation du jugement en ce qu'il avait débouté les sociétés STF et A S O de leurs demandes au titre de l'atteinte portée à la marque "Tour de France", la cour d'appel, dans les motifs de sa décision, a dit qu'en conséquence, il n'y avait "pas lieu de statuer sur ses demandes subsidiaires en déchéance pour défaut d'exploitation et caractère trompeur, ainsi qu'en annulation de la marque "Tour de France" ; que, dans le dispositif de sa décision, la cour d'appel a confirmé le jugement entrepris "en toutes ses dispositions", y compris donc, formellement, les dispositions du jugement écartant les demandes de M. [B] visant à voir prononcer la déchéance de la marque "Tour de France" ; que, dans l'hypothèse où une cassation serait prononcée sur le pourvoi principal, remettant ainsi en cause la disposition de l'arrêt attaqué déboutant les sociétés STF et A S O de leurs demandes au titre de l'atteinte portée à la marque "Tour de France", la censure s'étendrait par voie de conséquence au chef de l'arrêt ayant confirmé le jugement en ses dispositions ayant déclaré irrecevables ou infondées les demandes de M. [B] en déchéance de la marque "Tour de France", et cela en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. La contradiction entre les motifs et le dispositif de l'arrêt, invoquée par le moyen, procède d'une erreur purement matérielle dont la rectification sera ci-après ordonnée.

9. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

10. Les sociétés A S O et STF font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes fondées sur l'atteinte à la renommée de la marque n° 1368310 « Tour de France », alors « que la renommée d'une marque suppose que celle-ci soit connue d'une partie significative du public concerné par les produits ou les services pour lesquels elle a été enregistrée ; qu'il peut s'agir soit du grand public, soit d'un public plus spécialisé ; que, dans l'examen de cette condition, le juge doit prendre en compte tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la part de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l'importance des investissements réalisés par l'entreprise pour la promouvoir ; que la nature des produits ou services, pour lesquels la marque antérieure, dont la renommée est invoquée, a été enregistrée ne doit être pris en considération qu'aux fins d'apprécier ensuite l'existence d'un lien susceptible d'être fait entre les marques en conflit par le public concerné par les produits ou services pour lesquels la marque postérieure a été enregistrée, lien qui, suivant l'intensité de la renommée de la marque antérieure, peut exister même si le public concerné par les produits ou services de chacune des marques est différent ; que l'intensité de la renommée de la marque est indépendante des produits ou services pour lesquels elle est renommée ; qu'en retenant en l'espèce qu'il n'était pas justifié de la renommée de la marque "Tour de France" pour les services de la classe 41 autres que celui de l'organisation d'épreuves cyclistes "au regard de l'imprécision méthodologique des études invoquées et de l'absence de toute référence dans lesdites études à la marque en cause, seul étant invoqué le nom de l'événement sportif", quand l'emploi de la dénomination "Tour de France" pour invoquer le nom de l'événement sportif constitue un usage à titre de marque et en constatant en outre que "la notoriété de la course cycliste du Tour de France est importante auprès du grand public, y compris non amateur régulier de cyclisme, et que cet événement sportif bénéficie d'une forte exposition médiatique et d'audience importante ayant suivi la diffusion télévisuelle en direct et en différé de la course cycliste", ce dont il résulte que la marque "Tour de France" bénéficie d'une notoriété importante auprès du public des services de la classe 41 visés par la marque, dont notamment les services de divertissements radiophoniques ou par télévision et de production de films, autres que ceux d'organisation d'épreuves cyclistes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légale de ses propres constatations, en violation de l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 :

11. Aux termes de ce texte, la reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.

12. Interprétant l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la première directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, dont les dispositions ont été reprises à l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, transposé en droit national par le texte susvisé, la Cour de justice de l'Union européenne juge qu'il instaure, en faveur des marques renommées, une protection plus étendue que celle prévue au paragraphe 1 du même article. La condition spécifique de cette protection est constituée par un usage sans juste motif de la marque postérieure qui tire ou tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porte ou porterait préjudice (CJUE, arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C-252/07, point 26).

13. Les atteintes contre lesquelles l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive assure ladite protection en faveur des marques renommées sont, premièrement, le préjudice porté au caractère distinctif de la marque antérieure, deuxièmement, le préjudice porté à la renommée de cette marque et, troisièmement, le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque. Un seul de ces trois types d'atteinte suffit pour que ladite disposition soit d'application (CJUE, arrêt Intel Corporation, précité, points 27 et 28).

14. Certaines marques peuvent avoir acquis une renommée telle qu'elle va au-delà du public concerné par les produits ou les services pour lesquelles ces marques ont été enregistrées. Dans une telle hypothèse, il est possible que le public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure est enregistrée effectue un rapprochement entre les marques en conflit alors même qu'il serait tout à fait distinct du public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque antérieure a été enregistrée. Dès lors, aux fins d'apprécier l'existence d'un lien entre les marques en conflit, il peut être nécessaire de prendre en considération l'intensité de la renommée de la marque antérieure, afin de déterminer si cette renommée s'étend au-delà du public visé par cette marque (CJUE, arrêt Intel Corporation, points 51 à 53).

15. Pour rejeter les demandes fondées sur l'atteinte à la renommée de la marque n° 1368310 « Tour de France », l'arrêt énonce que la renommée de cette marque est établie pour l'organisation d'épreuves cyclistes et non pour les autres services de la classe 41.

16. En statuant ainsi, en postulant que la renommée d'une marque est nécessairement cantonnée au public concerné par les produits ou services pour lesquels cette renommée a été acquise, cependant qu'elle relevait que la marque « Tour de France » a été déposée en 1977, que l'événement qu'elle désigne, créé en 1903, s'est déroulé tous les ans, sans aucune interruption depuis ce dépôt, qu'il fait l'objet chaque année d'une retransmission télévisuelle par les chaînes publiques, laquelle connaît des scores d'audience très élevés, qu'il est qualifié de « troisième événement sportif mondial » par une encyclopédie en ligne, que des études portant sur plusieurs pays, dont la France, ont évalué, respectivement, à 92 %, 94 % ou 95 % le taux de notoriété de l'événement sportif ou du nom sous lequel il est connu, lequel se confond avec la marque litigieuse, ce dont il se déduisait que la renommée de cette marque est d'une intensité si exceptionnelle qu'elle est connue de la totalité du public français, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé le texte susvisé, tel qu'interprété à la lumière de l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008.

Sur ce moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

17. Les sociétés A S O et STF font le même grief à l'arrêt, alors « que la similitude des signes en présence doit s'apprécier au regard de l'enregistrement des marques ; qu'en retenant en l'espèce que, sur le plan intellectuel, les deux signes "se distinguent par le fait que la marque antérieure est renommée pour une course cycliste de sorte que "Tour de France" sera perçu par le public visé comme un tour de France en vélo", la cour d'appel, qui a ainsi pris en compte dans sa comparaison des signes en présence les conditions d'exploitation de la marque antérieure "Tour de France" , a violé l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 :

18. L'appréciation de la similitude des signes en conflit implique de les comparer afin de déterminer si ces signes présentent, sur l'un ou l'autre des plans visuel, phonétique et conceptuel, un degré de similitude. Cette comparaison doit s'opérer eu égard aux qualités intrinsèques des signes en conflit sans tenir compte des conditions de commercialisation des produits ou des services qu'ils désignent (CJUE, 4 mars 2020, EUIPO/Equivalenza Manufactory, C-328/18 P, points 43 et 71).

19. Pour retenir la faible similarité conceptuelle entre les marques en conflit et rejeter les demandes fondées sur l'atteinte à la renommée de la marque n° 1368310 « Tour de France », l'arrêt retient que les deux marques ont en commun l'évocation géographique du tour du territoire français, mais se distinguent par le fait que la marque antérieure est renommée pour une course cycliste, de sorte que « Tour de France » sera perçu par le public visé comme un tour de France en vélo, alors que la marque incriminée « Tour de France à la rame » évoque un périple effectué en bateau à rames.

20. En statuant ainsi, en prenant en compte les conditions d'exploitation de la marque « Tour de France » au stade de la comparaison des signes, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur ce moyen, pris en ses onzième et douzième branches

Enoncé du moyen

21. Les sociétés A S O et STF font le même grief à l'arrêt, alors :

« 11°/ qu'en affirmant encore qu'il n'est pas non plus démontré "un risque de dilution de la marque de renommée, la protection qui s'attache à la marque 'Tour de France' ne pouvant faire obstacle à l'utilisation de cette expression dans son acception usuelle, et aucune démonstration n'étant apportée d'une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée consécutive à l'usage de la marque postérieure ou d'un risque sérieux qu'une telle modification se produise dans le futur", quand il résulte de ses propres constatations que cette expression est reproduite au sein de la marque incriminée et est donc utilisée par M. [B] à titre de marque, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation encore de l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ;

12°/ qu'en affirmant qu'aucune démonstration n'était apportée d'une modification du comportement économique du consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque antérieure est enregistrée consécutive à l'usage de la marque postérieure ou d'un risque sérieux qu'une telle modification se produise dans le futur, sans rechercher si, comme le faisait valoir les sociétés A S O et STF, l'exploitation de la marque incriminée avant même son dépôt à des fins publicitaires pour promouvoir une épreuve sportive n'exposait pas "la marque 'Tour de France' à un risque de brouillage en affaiblissant le rattachement opéré par le public et les médias avec ladite marque et en amenant ainsi ces derniers à penser que ces termes sont génériques, affectant ainsi son caractère distinctif propre et sa fonction d'origine essentielle", ce qui justifiait d'un risque d'une modification du comportement économique du consommateur, la cour d'appel a entaché sa décision de défaut de motif en violation de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 :

22. Pour rejeter les demandes fondées sur l'atteinte à la renommée de la marque n° 1368310 « Tour de France », l'arrêt retient qu'en outre, il n'est pas démontré un risque de dilution de la marque renommée « Tour de France » dès lors que la protection qui s'attache à cette marque ne peut faire obstacle à l'utilisation de l'expression « tour de France » dans son acception usuelle.

23. En se déterminant ainsi, d'une part, par des motifs inopérants dès lors que l'action des sociétés A S O et STF ne tendait pas à interdire à M. [X] [B] l'usage de l'expression « tour de France » dans son acception usuelle, mais à voir annuler la marque « Tour de France à la rame » et interdire l'usage de ce signe en tant que marque, d'autre part, sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'exploitation de la marque postérieure « Tour de France à la rame » n'exposait pas la marque antérieure « Tour de France » à un risque de brouillage en affaiblissant le rattachement opéré par le public et les médias avec ladite marque et en amenant ces derniers à penser que ces termes sont génériques, affectant ainsi son caractère distinctif propre et sa fonction d'origine essentielle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

24. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt ayant confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes fondées sur l'atteinte à la renommée de la marque entraîne la cassation des chefs de dispositif ayant dit non fondée la demande de déchéance, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

Réparant l'erreur matérielle affectant l'arrêt attaqué, remplace dans son dispositif :

« Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; »

par :

« Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a dit irrecevable la demande de M. [B] tendant au prononcé de la déchéance des droits de la société Tour de France sur la marque verbale française n° 1368310 « TOUR DE FRANCE » pour défaut d'exploitation ;

Y ajoutant,

Déclare la demande de M. [X] [B] de déchéance des droits de la société Tour de France sur la marque verbale française « Tour de France » n° 1368310 sans objet en raison du rejet des demandes fondées sur l'atteinte à la renommée de cette marque ; »

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes fondées sur l'atteinte à la renommée de la marque n° 1368310, en ce qu'il rejette la demande de M. [X] [B] tendant au prononcé de la déchéance des droits de la société Tour de France sur la marque n° 1368310, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [X] [B], Mme [B] [U], M. [R] [B], la société Alphand événements, la société Alphand et l'association Respectons la terre aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [X] [B], Mme [B] [U], M. [R] [B], la société Alphand événements, la société Alphand et l'association Respectons la terre, et les condamne in solidum à payer à la société Société du Tour de France et à la société Amaury sport organisation A S O la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille vingt-cinq, et M. Doyen, greffier de chambre, qui a assité au prononcé de l'arrêt, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 42500148
Date de la décision : 19/03/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Analyses

PROPRIETE INDUSTRIELLE - Marques - Contentieux - Action en annulation - Appréciation d'un lien entre les marques en conflit - Critère - Intensité de la renommée de la marque antérieure

PROPRIETE INDUSTRIELLE - Marques - Contentieux - Action en annulation - Degré de similitude - Comparaison des signes - Signes en conflit - Prise en considération des qualités intrinsèques

(1) Interprétant l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la première directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, dont les dispositions ont été reprises à l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, transposé en droit national par l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, la Cour de justice de l'Union européenne juge que ce texte instaure, en faveur des marques renommées, une protection plus étendue que celle prévue au paragraphe 1 du même article (CJUE, arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C-252/07, point 26). Certaines marques peuvent avoir acquis une renommée telle qu'elle va au-delà du public concerné par les produits ou les services pour lesquelles ces marques ont été enregistrées. Dans une telle hypothèse, il est possible que le public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure est enregistrée effectue un rapprochement entre les marques en conflit alors même qu'il serait tout à fait distinct du public concerné par les produits ou les services pour lesquels la marque antérieure a été enregistrée. Dès lors, aux fins d'apprécier l'existence d'un lien entre les marques en conflit, il peut être nécessaire de prendre en considération l'intensité de la renommée de la marque antérieure, afin de déterminer si cette renommée s'étend au-delà du public visé par cette marque (CJUE, arrêt Intel Corporation, points 51 à 53). Ne tire pas les conséquences légales de ses constatations et viole l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle tel qu'interprété à la lumière de l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, la cour d'appel qui, cependant qu'elle constatait la notoriété exceptionnelle auprès du public français de la course cycliste dont le nom se confond avec la marque désignant le service d'organisation d'épreuves cyclistes, retient que la renommée de cette marque est cantonnée au public concerné par ces services, pour lesquels cette renommée a été acquise. (2) L'appréciation de la similitude des signes en conflit implique de les comparer afin de déterminer si ces signes présentent, sur l'un ou l'autre des plans visuel, phonétique et conceptuel, un degré de similitude. Cette comparaison doit s'opérer eu égard aux qualités intrinsèques des signes en conflit sans tenir compte des conditions de commercialisation des produits ou des services qu'ils désignent. Viole l'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 l'arrêt qui, pour conclure à la faible similarité conceptuelle des signes « Tour de France » et « Tour de France à la rame », retient que le signe « Tour de France » sera perçu comme un tour de France en vélo, alors que la marque incriminée « Tour de France à la rame » évoque un périple effectué en bateau à rames, prenant ainsi en compte les conditions d'exploitation de la marque « Tour de France » au stade de la comparaison des signes


Références :

Article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle tel qu'interprété à la lumière de l'article 4, paragraphe 4, sous a), de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008

article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antéri
eure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019.
Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 05 juillet 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 19 mar. 2025, pourvoi n°42500148


Composition du Tribunal
Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, Lassalle-Byhet, Me Bertrand

Origine de la décision
Date de l'import : 01/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:42500148
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