LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 mars 2025
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 114 F-B
Pourvoi n° C 23-18.080
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 19 MARS 2025
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM), dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 23-18.080 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [X] [O], divorcée [K], domiciliée chez M. [T] [I], [Adresse 4],
2°/ à Mme [H] [W], domiciliée [Adresse 3],
3°/ à la société Apicil prévoyance, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à la société Mutuelle d'assurance des artisans de France (MAAF), société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],
5°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var, dont le siège est [Adresse 6],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [O], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 janvier 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [W] et la société MAAF SA.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 avril 2023), après avoir subi les 23 avril et 8 juin 2015, une hystérectomie et une lymphadenectomie, Mme [O] a présenté une thrombose complète des deux artères rénales.
3. Le 12 avril 2018, à l'issue d'un échec de la procédure de règlement amiable, elle a assigné en indemnisation l'ONIAM, ayant admis l'existence d'un accident médical grave indemnisable au titre de la solidarité nationale, ainsi que Mme [W], ayant réalisé la lymphadenectomie et dont la responsabilité a été écartée.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
5. L'ONIAM fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Mme [O] la somme de 625 468,52 euros, dont 374 162,40 euros au titre de sa perte de gains professionnels futurs, alors « qu'en cas de proximité du départ à la retraite de la victime par rapport à la date de l'accident à indemniser, les juges du fond ne peuvent pas comptabiliser au titre de la perte de gains professionnels futurs une perte de retraite calculée de façon viagère, sur l'ensemble de la période correspondant à l'espérance de vie de l'intéressée à partir de la perte de revenus professionnels annuels constatée à la date de l'arrêt et consécutive à l'accident ; que, bien qu'ayant constaté que Mme [O] avait rempli l'essentiel de sa carrière professionnelle, la cour d'appel a calculé de façon viagère l'indemnité due au titre de sa perte de gains professionnels futurs pour la période à échoir, en faisant application de l'euro de rente d'une personne âgée de 58 ans à la date de liquidation ; qu'en procédant ainsi, la cour d'appel a indemnisé deux fois les droits à retraite et a violé l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
6. Les pertes de gains professionnels futurs doivent être évaluées en tenant compte de tous les éléments connus à la date de la liquidation et notamment, dans le cas d'une victime ayant acquis l'essentiel de ses droits à la retraite, des revenus qu'elle aurait pu percevoir à compter de son départ à la retraite.
7. Pour indemniser à hauteur de 374 162,40 euros la perte de gains professionnels futurs de Mme [O], après avoir constaté qu'elle était âgée de 50 ans à la date de l'accident et de 58 ans à la date de la liquidation et retenu qu'elle aurait accédé à la retraite à 64 ans et avait subi une perte de chance de 50 % de percevoir un revenu annuel de 21 600 euros, l'arrêt lui alloue pour la période échue la somme de 155 880 euros échus et capitalise, pour la période à échoir, la somme de 21 600 euros sur la base d'un euro de rente viagère pour une femme de 58 ans.
8. En statuant ainsi, sans distinguer les revenus de Mme [O] avant la date prévisible de sa retraite et après celle-ci, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés.
Et sur le premier moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
9. L'ONIAM fait le même grief à l'arrêt alors « qu'il doit être déduit du montant des indemnités qui reviennent à la victime ou à ses ayants droit les indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice ; qu'il s'ensuit que doivent être déduites toutes les prestations versées en conséquence du fait dommageable ; que, par ailleurs, l'ONIAM ne dispose pas d'action récursoire à l'encontre des tiers payeurs qui ont versé des indemnités à la victime ; qu'en conséquence, les sommes versées par l'ONIAM doivent correspondre au montant du préjudice déduction faite des indemnités versées par les tiers payeurs ; qu'en condamnant l'ONIAM à payer à Mme [O] au titre de sa perte de gains professionnels futurs la somme de 374 162,40 euros correspondant à une perte de chance de 50 % de la somme totale de 748 324,80 euros, sans déduire de la somme due par l'ONIAM les indemnités déjà versés par les tiers payeurs à Mme [O] à hauteur de la somme de 154 181,53 euros, la cour d'appel a violé les articles L. 1142-1, II, et L. 1142-17 du code de la santé publique ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1142-1, II, et L. 1142-17 du code de la santé publique et le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
10. Il résulte de ces textes et de ce principe que l'indemnisation des préjudices de la victime au titre de la solidarité nationale doit être fixée après déduction des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, et plus généralement des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice et que n'est pas applicable le droit de préférence de la victime prévu à l'article 31 de la même loi lorsqu'elle exerce ses droits contre un responsable.
11. Pour indemniser à hauteur de 374 162,40 euros la perte de gains professionnels futurs de Mme [O], après avoir retenu que les débours des tiers payeurs au titre de ce poste s'élèvent à la somme de 154 181,53 euros, l'arrêt retient que le montant du préjudice s'élève à 748 324,80 euros et qu'en vertu du droit de préférence de la victime, il ne revient aucune somme aux tiers payeurs.
12. En statuant ainsi, sans déduire les prestations indemnitaires reçues de l'indemnisation allouée, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
13. L'ONIAM fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Mme [O] la somme de 625 468,52 euros, dont 374 162,40 euros au titre de sa perte de gains professionnels futurs et 40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors « que l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs sur la base d'un euro de rente viagère répare nécessairement la perte de droits à la retraite de la victime ; qu'en indemnisant, d'une part, la perte de gains professionnels futurs de madame [O], pour la période à échoir après l'arrêt attaqué, sur la base d'un euro de rente viager et, d'autre part, l'incidence de l'accident sur les droits à retraite de Mme [O], la cour d'appel a indemnisé deux fois le même préjudice et violé l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
14.Il résulte de ce texte et de ce principe qu'une indemnisation de la perte de gains professionnels futurs sur la base d'un euro de rente viagère, réparant nécessairement la perte des droits à la retraite, ne peut être cumulée avec une incidence professionnelle au titre de la perte des droits à la retraite.
15. Pour indemniser une incidence professionnelle à hauteur de 40 000 euros, outre la perte de gains professionnels futurs à hauteur de 374 162,40 euros sur la base d'un euro de rente viagère pour la période à échoir, l'arrêt retient que les séquelles de Mme [O] l'ont dévalorisée sur le marché du travail et que la diminution admise de sa capacité professionnelle a une incidence sur ses droits à la retraite.
16. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a indemnisé deux fois le même préjudice, a violé le texte et le principe susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation du chef des dispositifs relatifs aux pertes de gains professionnels futurs et à l'incidence professionnelle n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'ONIAM aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il inclut la somme de 374 162,40 euros au titre de sa perte de gains professionnels futurs, et la somme de 40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle dans la condamnation de l'ONIAM à payer à Mme [O] la somme de 625 468,52 euros, l'arrêt rendu le 6 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne Mme [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mars deux mille vingt-cinq et signé par Mme Champalaune, président, le conseiller rapporteur et Mme Vignes, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.