LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
FC
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 mars 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 141 F-D
Pourvoi n° E 23-20.474
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 MARS 2025
La société Carrefour proximité France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° E 23-20.474 contre l'arrêt rendu le 20 juin 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société [Localité 2], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Oppelt, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Carrefour proximité France, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société civile immobilière [Localité 2], après débats en l'audience publique du 4 février 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Oppelt, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 20 juin 2023), le 23 juin 2015, la société civile immobilière [Localité 2] (la bailleresse) a donné à bail commercial à la société Carrefour proximité France (la locataire) des locaux en vue de l'exploitation d'un supermarché.
2. Le contrat l'y autorisant, la locataire a entrepris la réalisation de travaux au cours desquels des désordres liés à des attaques de termites sont apparus, affectant la structure de l'immeuble.
3. En mai 2016, la locataire a assigné la bailleresse en résiliation judiciaire du bail aux torts exclusifs de celle-ci et en paiement de dommages-intérêts, correspondant notamment au coût des travaux réalisés.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
4. La locataire fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la bailleresse au paiement d'une somme au titre de la restitution des loyers, du dépôt de garantie et de la taxe foncière, et de rejeter ses autres demandes, alors « que la cour d'appel a constaté que la résiliation judiciaire avait été définitivement prononcée par le tribunal pour défaut de délivrance du local et qu'il n'y avait pas eu jouissance des lieux ; qu'il en résultait qu'il ne pourrait jamais y avoir jouissance des lieux, par le manquement du bailleur à son obligation de délivrance et que les travaux réalisés par le preneur en vue de l'exploitation des lieux étaient conséquemment sans objet et que le coût de ces derniers, exposé en pure perte, devait être remboursé par le bailleur ; qu'en écartant cependant tout lien de causalité entre la résiliation du bail et le coût des travaux réalisés par le preneur dont ce dernier sollicitait le remboursement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1134 et 1184 anciens du code civil, applicables à la cause, l'article 1719 du même code, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1147, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1719 du code civil :
5. Selon le premier de ces textes, le contractant ayant contrevenu à l'une de ses obligations est tenu de réparer le préjudice résultant de son manquement.
6. Selon le second, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, de délivrer au preneur la chose louée.
7. Pour rejeter la demande en remboursement des travaux engagés par la locataire dans les locaux loués, l'arrêt relève, d'abord, que la bailleresse a failli à son obligation de délivrance en donnant à bail des locaux dangereux et impropres à leur destination, que la locataire a interrompu les travaux d'aménagement engagés lors de la découverte de la gravité des atteintes à la structure de l'immeuble, puis a renoncé à son projet d'implantation.
8. Il retient, ensuite, que les stipulations du bail ont pu produire leurs effets juridiques au moment de la prise de possession des lieux et de la réalisation des travaux par le preneur pour aménager les locaux et qu'il n'existe donc pas de lien de causalité entre la résiliation du bail pour défaut de délivrance et le coût des travaux réalisés par le preneur, dont il n'aurait pu obtenir le remboursement en fin de contrat en application de la clause 3.3.3 du contrat de bail.
9. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure tout lien de causalité entre le manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance et le préjudice invoqué, né de l'engagement de dépenses de travaux en pure perte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande reconventionnelle de la société civile immobilière [Localité 2] au titre des travaux de remise en état, l'arrêt rendu le 20 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société civile immobilière [Localité 2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière [Localité 2] et la condamne à payer à la société Carrefour proximité France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-cinq.