LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 mars 2025
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 272 FS-B
Pourvoi n° E 23-12.378
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 MARS 2025
La société Air France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 23-12.378 contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ au syndicat CGT Air France, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ au Syndicat indépendant des cadres, agents de maitrise et techniciens du groupe Air France KLM, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ au syndicat CFDT groupe Air France, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bérard, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Air France, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat du syndicat CGT Air France, et l'avis de Mme Canas, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 février 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Bérard, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Ollivier, Arsac, conseillers référendaires, Mme Canas, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2023), la société Air France (la société) a signé avec le Syndicat indépendant des cadres, agents de maîtrise et techniciens du groupe Air France KLM CFE CGC (SICAMT GAF) et le syndicat CFDT groupe Air France (CFDT GAF), le 25 mai 2021, un avenant n° 7 à la convention d'entreprise du personnel au sol modifiant notamment les dispositions liées aux congés de continuité d'activité, au traitement de congé, aux primes annuelles et à l'indemnité d'activité partielle.
2. Soutenant que ces deux organisations signataires représentatives n'avaient pas recueilli 50 % des suffrages exprimés tous collèges confondus au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, le syndicat CGT Air France a assigné à jour fixe, le 22 juillet 2021, la société et les syndicats SICAMT GAF et CFDT GAF devant le tribunal judiciaire aux fins d'annulation de l'avenant.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt d'annuler l'avenant n° 7 à la convention d'entreprise du personnel au sol conclu le 25 mai 2021 entre la société Air France et les syndicats CFDT GAF et SICAMT GAF et de rejeter la demande de modulation dans le temps des effets de l'annulation, alors :
« 1°/ que les organisations syndicales représentatives dans une entreprise peuvent conclure des accords collectifs dont le champ d'application concerne les intérêts des salariés visés dans leurs statuts et que seuls les suffrages obtenus par une organisation syndicale dont les statuts l'habilitent à défendre les intérêts des salariés visés par l'accord collectif sont pris en compte pour déterminer la validité de cet accord collectif à l'exclusion des suffrages obtenus par des organisations syndicales dont les statuts leur interdisent de défendre les intérêts des salariés concernés par l'accord collectif conclu ; que la cour d'appel a relevé que l'avenant n° 7 conclu à la convention d'entreprise du personnel au sol ne concernait que le personnel au sol ; que la cour d'appel a annulé cet avenant aux motifs propres et adoptés que les organisations signataires (la CFDT et la CFE CGC) avaient seulement recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés au niveau des collèges où le personnel au sol était représenté et moins de 50 % des suffrages exprimés au niveau de l'entreprise (tous collèges confondus) et que la base de calcul des plus de 50 % des suffrages à atteindre par l'organisation syndicale pour valablement signer un accord collectif, devait intégrer tous les suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales représentatives au sein de la société Air France, dont celles représentant le personnel navigant ; qu'en statuant ainsi, alors que les statuts des organisations syndicales représentant le personnel navigant leur interdisaient de défendre les intérêts du personnel au sol, de sorte que les suffrages obtenus par ces organisations syndicales ne pouvaient pas être pris en compte pour apprécier la validité d'un accord qui ne concernait que le personnel au sol, la cour d'appel a violé les articles L. 2131-1, L. 2231-1 du code du travail, ensemble les articles L. 2232-12 et L. 2232-13 du même code ;
2°/ que lorsque la convention ou l'accord ne concerne qu'une catégorie professionnelle déterminée relevant d'un collège électoral, sa validité est subordonnée à sa signature par, d'une part, l'employeur ou son représentant et, d'autre part, par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives dans ce collège au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants ; que le collège électoral ainsi visé s'entend d'un collège non pas unique mais spécifique, exclusivement composé d'une catégorie de salariés ; que la cour d'appel a considéré que la base de calcul du seuil de plus de 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles à prendre en compte pour déterminer si l'accord collectif conclu exclusivement pour le personnel au sol était valable, n'était pas celle des suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales représentant le personnel au sol aux motifs propres et adoptés qu'il n'existait pas au sein de la société Air France de collège électoral unique dont relèverait le personnel au sol mais trois collèges électoraux pour ce personnel ; qu'en statuant par ce motif inopérant, alors que comme le faisait valoir la société Air France dans ses conclusions d'appel, les trois collèges en cause (cadres agents de maîtrise/techniciens et employés) ne regroupaient que le personnel au sol, la cour d'appel a violé l'article L. 2232-13 du code du travail. »
Réponse de la Cour
4. Aux termes de l'article L. 2232-12, alinéa 1er, du code du travail, la validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa signature par, d'une part, l'employeur ou son représentant et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants.
5. Aux termes de l'article L. 2232-13 du même code, la représentativité reconnue à une organisation syndicale catégorielle affiliée à une confédération syndicale catégorielle au titre des salariés qu'elle a statutairement vocation à représenter lui confère le droit de négocier toute disposition applicable à cette catégorie de salariés.
Lorsque la convention ou l'accord ne concerne qu'une catégorie professionnelle déterminée relevant d'un collège électoral, sa validité est subordonnée à sa signature par, d'une part, l'employeur ou son représentant et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives dans ce collège au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants.
Les règles de validité de la convention ou de l'accord sont celles prévues à l'article L. 2232-12. Les taux de 30 % et de 50 % mentionnés au même article sont appréciés à l'échelle du collège électoral. La consultation des salariés, le cas échéant, est également organisée à cette échelle.
6. La Cour de cassation juge que le critère d'audience électorale nécessaire à l'établissement de la représentativité des syndicats intercatégoriels prend nécessairement en compte les suffrages exprimés par l'ensemble des salariés de l'entreprise, peu important que certains soient électeurs dans des collèges spécifiques (Soc., 12 avril 2012, pourvois n° 11-22.289, 11-22.408, Bull. 2012, V, n° 125).
7. La Cour de cassation juge par ailleurs que des organisations syndicales intercatégorielles représentatives dans l'entreprise peuvent signer un accord collectif concernant le personnel navigant commercial, lequel comporte des salariés ne relevant pas de la catégorie professionnelle représentée par la confédération syndicale nationale interprofessionnelle catégorielle visée à l'article L. 2232-13 du code du travail, quand bien même un collège spécifique a été créé par voie conventionnelle pour ce personnel, l'appréciation de la validité de l'accord collectif devant alors être faite en application de l'article L. 2232-12 du même code (Soc., 27 septembre 2017, pourvoi n° 15-28.216, Bull. 2017, V, n° 166).
8. Il en résulte que l'appréciation de la validité d'un accord collectif concernant le personnel au sol d'une compagnie aérienne, accord collectif intercatégoriel, doit se faire en application de l'article L. 2232-12 du code du travail, de sorte que le taux de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique doit être calculé tous collèges confondus.
9. Ayant constaté que, si les deux organisations syndicales signataires de l'accord collectif totalisaient plus de 50 % des suffrages dans les trois premiers collèges concernant le personnel au sol, tel n'était pas le cas tous collèges confondus, la cour d'appel en a exactement déduit que l'avenant n° 7 à la convention d'entreprise du personnel au sol devait être annulé.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. La société fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de modulation dans le temps des effets de l'annulation de l'avenant n° 7 à la convention d'entreprise du personnel au sol conclu le 25 mai 2021 entre la société Air France et les syndicats CFDT GAF et SICAMT GAF, alors « qu'en cas d'annulation par le juge de tout ou partie d'un accord ou d'une convention collective, celui-ci peut décider, s'il lui apparaît que l'effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, que l'annulation ne produira ses effets que pour l'avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement ; que la cour d'appel a rejeté la demande de modulation des effets de l'annulation de l'avenant n° 7 à la convention d'entreprise du personnel au sol conclu le 25 mai 2021 entre la société Air France et les syndicats CFDT et CFE CGC, aux motifs propres et adoptés, que la société Air France ne fournissait pas davantage de précisions quant aux conséquences de l'accord, que ce soit en termes de coûts pour elle ou de conséquences pour les salariés ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle relevait dans le même temps, que comme le faisait valoir la société Air France dans ses conclusions d'appel, il était constant que la signature de l'accord a eu des conséquences financières importantes tant pour la société que pour les salariés concernés en ce que cet accord concernait plus de 20 000 salariés personnel au sol, que son annulation sans modulation obligeait à la rectification de plus de 500 000 bulletins de salaire du fait de la modification prévue par l'accord des règles de calcul de la prime de fin d'année intégrée dans l'assiette de calcul de l'activité partielle longue durée financée par l'Etat et de la suppression de trois jours de congés compensée pour partie par des avantages dont les salariés ne bénéficieraient plus en cas d'annulation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 2262-15 du code du travail, issu de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017. »
Réponse de la Cour
12. Aux termes de l'article L. 2262-15 du code du travail, en cas d'annulation par le juge de tout ou partie d'un accord ou d'une convention collective, celui-ci peut décider, s'il lui apparaît que l'effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, que l'annulation ne produira ses effets que pour l'avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement.
13. Ayant retenu le non-respect des conditions légales de validité de l'accord collectif relatives à la qualité des parties signataires et constaté que la société ne fournissait pas de précisions quant aux conséquences de l'annulation de l'accord, pour elle ou pour les salariés, la cour d'appel a pu en déduire que les conditions permettant au juge de moduler les effets dans le temps de la décision d'annulation de l'accord collectif, telles que prévues à l'article L. 2262-15 précité, n'étaient pas réunies.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Air France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Air France et la condamne à payer au syndicat CGT Air France la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.