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05/03/2025 | FRANCE | N°C2500255

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 05 mars 2025, C2500255


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° J 23-83.429 F-D


N° 00255




GM
5 MARS 2025




CASSATION PARTIELLE




M. BONNAL président,














R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 MARS 2025






M. [M] [U] et

la société [1], partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 17 mai 2023 qui a condamné, le premier, pour mise à disposition frauduleuse du bien d'autrui et escroqu...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° J 23-83.429 F-D

N° 00255

GM
5 MARS 2025

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 MARS 2025

M. [M] [U] et la société [1], partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 17 mai 2023 qui a condamné, le premier, pour mise à disposition frauduleuse du bien d'autrui et escroquerie, à dix mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et 5 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de M. [M] [U], les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société [1], et les conclusions de M. Micolet, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [M] [U] a obtenu, pour la construction d'un immeuble, un crédit auprès de l'[4] ([4]), garanti par une inscription hypothécaire sur le bien. A la suite de la défaillance de l'emprunteur, une procédure de saisie immobilière a été engagée au terme de laquelle la société [1] est devenue adjudicataire de l'immeuble.

3. En dépit de ce transfert de propriété, M. [U] s'est comporté comme s'il était titulaire des droits sur le bien, continuant à conclure des contrats de bail, à réclamer et à encaisser des loyers en espèces ainsi qu'en man?uvrant pour faire croire que la société [2], appartenant à sa famille, était toujours propriétaire. La société [1] a porté plainte et s'est constituée partie civile des chefs d'escroquerie, de mise à disposition d'un bien immobilier appartenant à autrui et de dégradation de bien.

4. A l'issue d'une information, M. [U] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour y répondre des deux premiers chefs.

5. Par jugement du 9 novembre 2020, le tribunal correctionnel a relaxé le prévenu pour les faits de mise à disposition lucrative pour l'habitation d'un bien immobilier appartenant à autrui, commis entre juin 2013 et jusqu'au 9 février 2018 à [Localité 3], et l'a déclaré, pour le surplus, coupable de ce chef ainsi que de celui d'escroquerie commis durant la même période et l'a condamné à dix mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et 10 000 euros d'amende.

6. Sur l'action civile, le tribunal a reçu la société [1] en sa constitution de partie civile et a condamné M. [U] à lui payer la somme de 525 520 euros en réparation du préjudice financier et la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice moral.

7. M. [U] et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le moyen pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches, proposé pour M. [U] , et le premier moyen, proposé pour la société [1]

8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen pris en sa cinquième branche, proposé pour M. [U]

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il déclaré le prévenu coupable de mise à disposition lucrative du bien d'autrui entre juin 2013 et novembre 2016 et d'escroquerie entre juin 2013 et février 2018, a prononcé en conséquence une peine d'emprisonnement de dix mois avec un sursis probatoire et une amende de 5 000 euros, a accueilli la constitution de partie civile de la société [1] et alloué à cette dernière 158 725 euros de dommages et intérêts outre 2 000 euros pour dommage moral, alors « que le prononcé d'une peine d'emprisonnement avec sursis et d'amende doit être spécialement motivé au regard des faits de l'espèce, de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en se déterminant sur la peine par des motifs inopérants tendant à porter un jugement de valeur négatif sur l'attitude processuelle du requérant devant les juridictions civiles, la cour a méconnu le principe d'individualisation des peines en violation des articles 130-1 et suivants du code pénal, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Pour condamner le prévenu aux peines de dix mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et 5 000 euros d'amende, l'arrêt attaqué retient que si M. [U] n'a jamais été condamné, il n'en demeure pas moins qu'il s'est entêté à multiplier les procédures pour faire échec aux droits du légitime propriétaire et à agir directement auprès des locataires pour obtenir par la force ce qu'il ne parvenait pas à obtenir légalement.

11. Les juges relèvent que M. [U] n'a pas modifié son comportement en dépit des multiples mises en demeure, délivrées par la société [1], de faire cesser ses agissements abusifs à l'égard de ses locataires et n'a agi qu'en fonction de ses propres intérêts durant trois années.

12. Ils précisent que le prévenu a indiqué être retraité, père de six enfants, et tirer des loyers qu'il perçoit un revenu de l'ordre de 3 000 à 4 000 euros.

13. Les juges ajoutent que l'intéressé dit être propriétaire de son logement ainsi que d'un immeuble situé à [Localité 3], et que selon son avocat il ne perçoit plus de loyers depuis que ce dernier bien a fait l'objet d'une vente aux enchères dont le produit a été consigné, de sorte qu'il ne percevrait plus aucun revenu et ne recevrait pas de retraite.

14. Ils concluent que la peine principale d'emprisonnement, assorti du sursis probatoire, décidée par le tribunal correctionnel est justifiée et qu'en considération des relaxes partielles intervenues, le montant de l'amende sera réduit à 5 000 euros.

15. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance, la cour d'appel a justifié sa décision.

16. Ainsi le moyen doit être écarté.

Mais sur les deuxième et troisième moyens, proposés pour la société [1]

Enoncé des moyens

17. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [U] pour le délit de mise à disposition frauduleuse du bien d'autrui d'avoir et d'avoir limité le droit à indemnisation de la société [1] aux loyers perçus par le prévenu jusqu'en novembre 2016, alors « que la mise à disposition frauduleuse d'un logement est caractérisée pendant toute la période de mise à disposition et même lorsque l'auteur de l'infraction n'a pas perçu la contrepartie imposée au bénéficiaire ; que dès lors, en considérant que le délit n'était pas caractérisé concernant les contrats de location intervenus avant que la partie civile devienne propriétaire de l'immeuble, et que le dernier acte constitutif du délit de mise à disposition frauduleuse du logement d'autrui avait été commis au moment de la passation du dernier contrat de location par le prévenu, intervenue le 18 novembre 2016, tout en constatant que les locataires qui avaient contracté avec lui, étaient toujours dans les lieux, sans rechercher si la partie civile n'avait pas été mise dans l'impossibilité de percevoir les loyers postérieurement à cette date, du fait de cette mise à disposition frauduleuse de son bien par le prévenu, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 313-6-1 du code pénal et 1240 du code civil.»

18. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a partiellement infirmér le jugement entrepris limité l'indemnisation de la partie civile à la somme de 158 725 euros au titre de son préjudice matériel et 2 000 euros au titre de son préjudice moral, alors :

« 1°/ que le préjudice économique s'évalue au regard des pertes subies et en considération du gain manqué ; que le gain manqué peut porter sur des faits postérieurs au fait générateur du dommage invoqué, soit dans le cadre d'une procédure pénale, au fait infractionnel ; qu'en limitant l'indemnisation de la partie civile, aux loyers perçus par le prévenu, jusqu'en novembre 2016, sans rechercher si la partie civile n'avait pas été privée des loyers qu'elle aurait pu percevoir, postérieurement, sans les faits reprochés au prévenu, la cour d'appel n'a pas assuré l'indemnisation intégrale du préjudice subi, au regard au regard des articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil ;

2°/ qu'en prenant en considération le fait que certains locataires avaient arrêté de payer les loyers, du fait de l'insalubrité des logements, sans rechercher si ces faits pouvaient être reprochés à faute à la partie civile, de nature à exclure son indemnisation pour les loyers non perçus, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil.

3°/ qu'à tout le moins, en ne recherchant pas si la partie civile n'avait pas été privée de la chance de percevoir des loyers, postérieurement à novembre 2016, comme le soutenait la partie civile, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

19. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 1240 du code civil, 2, 3 et 593 du code de procédure pénale :

20. Selon les trois premiers de ces textes, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. Le préjudice certain, personnel et direct découlant des faits objet de la poursuite doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

21. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

22. Pour infirmer le jugement entrepris et limiter le droit à indemnisation de la société [1] aux loyers perçus jusqu'au mois de novembre 2016, à la somme de 158 725 euros au titre de son préjudice matériel et 2 000 euros au titre de son préjudice moral, après avoir rappelé qu'en application du principe de la réparation intégrale l'indemnisation des victimes doit se faire sans perte ni profit, dans les limites des conclusions des parties, l'arrêt attaqué énonce qu'eu égard aux relaxes partielles prononcées et aux déclarations des locataires, il importe de limiter la période pendant laquelle la société [1] a été privée indûment du paiement des loyers, charges comprises, et a subi un préjudice moral.

23. Les juges relèvent, s'agissant des douze locataires mentionnés dans la prévention, que le prévenu a remis sa dernière quittance de loyer au mois de juillet 2016 alors qu'il a affirmé ne plus avoir perçu de loyer depuis le mois de mai 2016 et que les occupants ont déclaré avoir été souvent contraints d'insister pour obtenir leur quittance.

24. Les juges ajoutent que les actes de gestion imputables à M. [U] se sont poursuivis jusqu'au mois de novembre 2016, date de la conclusion des derniers baux d'habitation dont on peut supposer qu'il a tiré une contrepartie financière.

25. Ils retiennent, enfin, que certains locataires ont indiqué avoir cessé de payer leurs loyers en raison de l'état de délabrement de leur appartement, ce qui ne peut être reproché au prévenu.

26. Les juges précisent que pour ces raisons, ils prendront en compte une période de commission des faits débutant au mois de juin 2013 et se terminant le 18 novembre 2016.

27. Ils relèvent, afin de personnaliser cette période, que certains des locataires visés dans la prévention ne se sont installés dans l'immeuble que postérieurement au mois de juin 2013, que d'autres ont commencé à payer leur loyer à la société [1] dès les mois de mars ou de mai 2016, qu'un locataire n'a emménagé qu'en novembre 2016 et qu'un autre encore ne s'est installé que le 17 avril 2017, soit en-dehors de la période de prévention retenue.

28. Les juges notent enfin, s'agissant du préjudice moral, d'une part, que si la victime n'a pu bénéficier sereinement de ses droits sur l'immeuble, le trouble subi n'a pas duré plus de cinq années, comme cela a initialement été retenu, mais trois années et six mois, d'autre part, qu'il ressort tant des déclarations des locataires que des pièces de la procédure que la société [1] a réclamé le règlement des loyers en retard de façon parfois très contestable.

29. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.

30. En premier lieu, les préjudices allégués par la société [1], directement causés par la commission du délit de mise à disposition d'un bien immobilier appartenant à autrui, puni par l'article 313-6-1 du code pénal, se sont prolongés durant la période d'occupation de l'immeuble et donc postérieurement à la date de souscription du dernier contrat de bail.

31. En second lieu, la cour d'appel n'a pas recherché, dans la limite de la durée fixée par la prévention, si la société [1] ne s'est pas trouvée dans l'impossibilité de percevoir les loyers en sa qualité de propriétaire.

32. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

33. La cassation sera limitée aux dispositions civiles relatives aux préjudices matériel et moral allégués par la société [1]. Les autres dispositions seront donc maintenues.

Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale

34. La déclaration de culpabilité de M. [U] étant devenue définitive par suite de la non-admission des griefs relatifs à la déclaration de culpabilité, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 mai 2023, mais en ses seules dispositions civiles relatives aux préjudices matériel et moral allégués par la société [1], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Fixe à la somme de 2 500 euros, la somme que M. [U] devra payer à la société [1] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2500255
Date de la décision : 05/03/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 17 mai 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 05 mar. 2025, pourvoi n°C2500255


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : Me Bouthors, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 11/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C2500255
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