LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 24-84.797 F-D
N° 00236
ODVS
4 MARS 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 MARS 2025
M. [F] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 2 juillet 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et refus de remettre la convention de déchiffrement d'un moyen de cryptologie, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 14 octobre 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [F] [O], et les conclusions de M. Bigey, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés, M. [F] [O] a présenté une requête en annulation de pièces de la procédure.
Examen des moyens
Sur les deuxième, troisième moyens et le cinquième moyen, pris en sa seconde branche
3. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité présentés par la défense et dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, alors « que les enquêteurs autorisés à procéder à l'interception des communications électroniques émise par une personne ne peuvent, sur le fondement de cette seule autorisation, mettre en oeuvre une opération de captation des données informatiques stockées sur l'outil informatique objet de la mesure d'interception ; qu'une telle mesure porte atteinte au droit à la vie privée de l'intéressé ; qu'au cas d'espèce, la défense faisait valoir que les enquêteurs, qui n'étaient autorisés qu'à procéder à l'interception des correspondances électroniques de l'exposant, avaient en réalité mis en oeuvre une mesure de captation illicite des données, dites « métadonnées des applications de messageries mobiles » et « DATA IP », transitant via son téléphone ou contenues sur celui-ci ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler cette opération, à affirmer que Monsieur [O] ne justifiait pas d'un grief résultant de cette irrégularité, quand l'atteinte à la vie privée résultant de la mise en oeuvre d'une mesure intrusive non autorisée, en l'occurrence la captation de flux de données, suffisait à caractériser un tel grief, la Chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 171, 802, 706-102-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
5. Pour écarter le moyen de nullité tiré de ce que des captations de données stockées sur un système informatique auraient été réalisées hors du cadre prévu par la loi, l'arrêt attaqué énonce que M. [O] n'apporte aucun élément concret à l'appui de son affirmation selon laquelle les interceptions concernées auraient porté une atteinte manifestement injustifiée à son droit au respect de la vie privée, de sorte qu'il ne démontre pas l'existence du grief exigé en application de l'article 802 du code de procédure pénale si d'aventure le moyen était opérant.
6. C'est à tort que les juges ont écarté tout grief, alors que la captation de données à caractère personnel constitue une ingérence dans la vie privée du demandeur susceptible de porter atteinte aux intérêts de ce dernier.
7. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure, dès lors que l'interception de données de navigation par internet, d'une part, l'obtention de métadonnées d'applications de messagerie mobile requises par les officiers de police judiciaire, d'autre part, relèvent respectivement des mesures d'interception des correspondances émises par la voie des communications électroniques, régulièrement autorisées en application des articles 100 et suivants du code de procédure pénale, et des réquisitions émises en application de l'article 77-1-1 du même code.
8. Ces mesures ne nécessitent donc pas de recourir au dispositif technique de captation de données stockées dans un système informatique prévu à l'article 706-102-1 de ce code.
9. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité présentés par la défense et dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, alors « que tout acte judiciaire qui n'est pas porteur de la signature de son auteur est inexistant ; que cette inexistence ne saurait être couverte par la circonstance que l'acte dépourvu de toute signature a été visé dans un acte ultérieur ; qu'au cas d'espèce, la Chambre de l'instruction a elle-même relevé que « les PV d'investigation de toute la première partie de l'enquête préliminaire ne sont pas signés » ; qu'en retenant toutefois, pour refuser de constater l'inexistence de ces actes et d'annuler les actes et pièces trouvant leur fondement dans ces actes inexistants, et sans procéder à la moindre vérification préalable, que « les procès-verbaux D1 à D72, s'ils ne sont pas signés, sont bien la représentation fidèle des documents initialement établis en original permettant l'authentification des constatations, de l'identité et de la qualité des auteurs dont l'identité figure, de surcroît, entête des procès-verbaux », la Chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 429 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
11. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
12. Pour écarter le moyen de nullité pris de l'absence de signature des pièces cotées D 1 à D 72, l'arrêt attaqué énonce que cette anomalie résulte du versement au dossier d'une copie non signée de la procédure d'enquête, en lieu et place de la procédure originale, laquelle a manifestement été égarée.
13. Les juges relèvent que les copies signées du rapport de synthèse de l'enquête préliminaire et des rapports de synthèse intermédiaires, adressés au ministère public à une date rendue certaine par leur courriel d'accompagnement figurant au dossier, attestent qu'une procédure a bien été élaborée en original.
14. Ils soulignent que les réquisitions du ministère public et autorisations du juge des libertés et de la détention relatives au recours à des techniques spéciales d'enquête, qui figurent en original à la procédure, sont en parfaite cohérence avec les pièces non signées et attestent, d'une part, de la réalité du contrôle opéré par l'autorité judiciaire sur les actes réalisés par les enquêteurs, d'autre part, de l'existence initiale d'actes de procédure en original.
15. Ils ajoutent que l'exploitation des mesures de géolocalisation et interceptions téléphoniques réalisées au cours de l'enquête préliminaire figure dans les pièces d'exécution de commissions rogatoires cotées D 363 à D 570 et que les réquisitions adressées informatiquement à la plateforme nationale des interceptions judiciaires se trouvent dans les scellés numériques conservés par ce service.
16. Les juges déduisent de ces différents éléments que les pièces non signées sont la représentation fidèle des documents initialement établis en original et qu'elles permettent l'authentification des constatations ainsi que de la qualité des auteurs de ces dernières, dont l'identité figure à l'en-tête des procès-verbaux.
17. En se déterminant aussi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
18. En premier lieu, ni les copies non certifiées conformes de rapports de synthèse, ni des réquisitions et autorisations délivrées par le ministère public et par le juge des libertés et de la détention, le 30 mars 2023 pour les plus récentes, ne suffisent à attester de la réalité et du contenu d'une enquête préliminaire qui s'est poursuivie jusqu'au 11 avril 2023.
19. En second lieu, l'existence et le contenu des procès-verbaux égarés ne sont pas mieux établis par les pièces d'exécution de mesures de géolocalisation et d'interceptions de correspondances électroniques ultérieures, ni par des scellés numériques détenus par la plateforme nationale des interceptions judiciaires qui ne sont pas versés au dossier de la procédure.
20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le cinquième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [O] irrecevable à soulever l'irrégularité de la mise en place de dispositifs de géolocalisation en temps réel sur un véhicule Citroën Berlingo immatriculé [Immatriculation 2] et sur un véhicule Renault Clio immatriculé [Immatriculation 3], alors :
« 1°/ que les enquêteurs ne peuvent pénétrer dans un lieu privé en vue de mettre en place une mesure de géolocalisation que sur autorisation préalable du maître des lieux ou de l'autorité judiciaire ; que l'intrusion illicite des enquêteurs dans un lieu privé aux fins de procéder à une telle opération porte atteinte aux intérêts et en particulier à la vie privée du maître des lieux, indépendamment du lien que ce dernier entretient avec l'objet de la mesure ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que les enquêteurs se sont introduits, sans aucune autorisation, dans le parking privé du domicile de Monsieur [O] sis [Adresse 1] afin de procéder à la géolocalisation du véhicule Renault Clio immatriculé [Immatriculation 3] ; qu'en retenant, pour déclarer l'exposant irrecevable à se prévaloir de cette irrégularité, que Monsieur [O] était dépourvu de qualité à invoquer une telle nullité faute pour lui de démontrer avoir la propriété ou la libre disposition du véhicule en question, ou d'établir qu'il en aurait été le passager, quand l'atteinte aux intérêts de Monsieur [O] résultait non pas de l'illicéité de la mesure de géolocalisation elle-même, mais de l'illicéité de l'introduction des enquêteurs dans son parking privé, la Chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 230-34 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
22. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
23. Pour dire M. [O] irrecevable à soulever la nullité de la mise en place d'un dispositif de géolocalisation en temps réel sur le véhicule Renault Clio immatriculé [Immatriculation 3], seul visé par le grief, l'arrêt attaqué énonce que l'intéressé n'a pas qualité à agir dès lors qu'il n'est pas démontré qu'il ait été le propriétaire du véhicule concerné, qu'il en ait eu la libre disposition ou qu'il aurait pris place dans celui-ci et été géolocalisé à cette occasion, de sorte que la mesure n'a pas porté atteinte à sa vie privée.
24. En se déterminant ainsi, sans répondre au demandeur qui faisait valoir que l'exigence d'une autorisation écrite de s'introduire dans le lieu où est stationné le véhicule a pour objet de préserver sa vie privée en tant que propriétaire de ce lieu, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
25. En effet, l'autorisation de mettre en place un dispositif technique de géolocalisation sur un véhicule ne vaut pas autorisation de s'introduire dans ce véhicule ou dans le lieu privé où celui-ci est stationné.
26. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.
Portée et conséquences de la cassation
27. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant, en premier lieu, rejeté la demande d'annulation des pièces cotées D 1 à D 72, en second lieu, déclaré M. [O] irrecevable à soulever l'irrégularité de la mise en place d'un dispositif de géolocalisation en temps réel sur un véhicule Renault Clio immatriculé [Immatriculation 3]. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 2 juillet 2024, mais en ses seules dispositions ayant, en premier lieu, rejeté la demande d'annulation des pièces cotées D 1 à D 72, en second lieu, déclaré M. [O] irrecevable à soulever l'irrégularité de la mise en place d'un dispositif de géolocalisation en temps réel sur un véhicule Renault Clio immatriculé [Immatriculation 3], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre mars deux mille vingt-cinq.