LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
EN1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 février 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 187 F-D
Pourvoi n° R 22-21.860
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2025
M. [V] [Z], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 22-21.860 contre le jugement rendu le 4 juillet 2022 par le tribunal judiciaire d'Angoulême (pôle social), dans le litige l'opposant à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse des professions libérales, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Montfort, conseiller référendaire, les observations de Me Guermonprez, avocat de M. [Z], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse des professions libérales, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 janvier 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Montfort, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lapasset, conseiller, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire d'Angoulême, 4 juillet 2022), rendu en dernier ressort, et les productions, la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse des professions libérales (la caisse) a décerné à M. [Z] (le cotisant), le 22 février 2021, une contrainte d'un certain montant correspondant aux cotisations et majorations de retard dues au titre de l'année 2019, qui lui a été signifiée le 11 mars 2021 et à l'encontre de laquelle il a formé opposition le 24 mars suivant.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
3. Le cotisant fait grief à l'arrêt de valider la contrainte, de le condamner à payer à la caisse la somme de 2 844,79 euros et de le débouter de ses demandes, alors « que les cotisations des assurés relevant du régime des professions libérales pour l'assurance vieillesse de base et complémentaire sont calculées chaque année à titre provisionnel sur les revenus de l'avant dernière année et font l'objet, lorsque le revenu est définitivement connu, d'une régularisation ; d'où il suit que si une contrainte est délivrée pour le recouvrement de ces cotisations, celle-ci doit être fondée sur les revenus connus du cotisant au moment où elle a été délivrée ; qu'il résulte des constatations du jugement entrepris que les cotisations dues par le cotisant au titre de l'année 2019 ont été calculées par l'organisme de façon provisionnelle sur la base des revenus 2018 et feront l'objet d'une régularisation en 2020 sur la base des revenus réels 2019 ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme il y était invité si au moment de la contrainte délivrée et signifiée le 11 mars 2021 au titre de la cotisation pour 2019, les revenus 2019 du cotisant n'étaient pas connus, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 131-6-2 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 131-6-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige :
4. Selon ce texte, les cotisations des travailleurs indépendants non agricoles, autres que ceux mentionnés à l'article L. 613-7 du même code, sont calculées, chaque année, à titre provisionnel, sur la base du revenu d'activité de l'avant dernière année ou des revenus forfaitaires, et font l'objet, lorsque le revenu professionnel est définitivement connu, d'une régularisation.
5. Pour valider la contrainte litigieuse, le tribunal énonce que les cotisations de régime de base sont appelées à titre provisionnel sur la base des revenus de l'année n-1, puis régularisées l'année n+1 sur la base des revenus réellement perçus par les cotisants. Il relève que la cotisation due au titre du régime de retraite de base de l'année 2019 a été calculée par la caisse à titre provisionnel sur la base des revenus de l'année 2018. Il retient que cette cotisation fera l'objet d'une régularisation en 2020 sur la base des revenus réels 2019. Il en déduit que l'absence de régularisation des cotisations de retraite complémentaire sur la base des revenus réels du cotisant ne justifie pas l'annulation de la contrainte, étant précisé que les montants dus par ce dernier n'ont pas évolué.
6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il y était invité, si la contrainte litigieuse était fondée sur les revenus connus du cotisant au moment où elle a été délivrée et si ce dernier, au titre de l'année 2019, n'avait pas apuré sa dette, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. Le cotisant fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le débiteur de plusieurs dettes peut indiquer, lorsqu'il paie, celle qu'il entend acquitter ; que dans sa lettre du 29 avril 2019, le cotisant avait indiqué à la caisse que le chèque du 7 mai 2019 d'un montant de 799,75 euros était destiné au règlement des cotisations dues au titre des revenus de 2019 ; qu'en énonçant que la caisse avait pu imputer ce règlement au titre des cotisations (contestées en appel toujours pendant) de l'année 2017, le tribunal a violé l'article 1342-10 al. 1er du code civil ;
2°/ qu'en cas de pluralité de dettes, le paiement fait par le débiteur doit en l'absence de stipulation contraire, s'imputer sur celle que le débiteur avait le plus d'intérêt à acquitter ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher si le cotisant n'avait pas le plus d'intérêt à acquitter par son paiement du 7 mai 2019 les cotisations dues au titre de l'année 2019 plutôt que des cotisations réclamées par la caisse au titre de l'année 2017 et faisant l'objet d'une contestation en appel toujours pendant, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1342-10 al. 2 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. La caisse conteste la recevabilité de la première branche du moyen. Elle soutient que celle-ci est irrecevable comme nouvelle et mélangée de fait et de droit.
9. Cependant, le moyen, qui se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
10. Le moyen, pris en sa première branche, est, dès lors, recevable.
Bien fondé du moyen
Vu l'article 1342-10 du code civil :
11. Selon ce texte, le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer celle qu'il entend acquitter et cette imputation volontaire peut résulter du comportement non équivoque du débiteur.
12. Pour rejeter la demande d'annulation de la contrainte et condamner le cotisant au paiement de l'indu d'un montant de 2 844,79 euros au titre de l'année 2019, le jugement constate que le tableau de ventilation des encaissements tenu par la caisse mentionne la date, le mode de règlement et l'affectation des sommes versées par le cotisant dont il ressort que ces dernières ont été systématiquement imputées sur les dettes les plus anciennes. Il relève que le chèque du 7 mai 2019, adressé à la caisse par le cotisant d'un montant de 799,75 euros, a été affecté au paiement des cotisations de l'année 2017 et que les autres encaissements n'ont pas permis de régler les cotisations dues au titre de l'année 2019.
13. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme le cotisant le soutenait, s'il ne résultait pas de son courrier du 29 avril 2019 adressé à la caisse, accompagné du chèque litigieux, que celui-ci entendait régler la somme de 799,75 euros au titre des cotisations dues pour l'année 2019, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 4 juillet 2022, entre les parties, par le tribunal judiciaire d'Angoulême ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Bordeaux ;
Condamne la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse des professions libérales aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse des professions libérales et la condamne à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt-cinq.