LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 février 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 180 F-D
Pourvoi n° C 23-10.030
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2025
La société d'exploitation du [2], société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° C 23-10.030 contre l'arrêt rendu le 9 novembre 2022 par la cour d'appel de Rennes (9e chambre sécurité sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Bretagne, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hénon, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société d'exploitation du [2], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Bretagne, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 janvier 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Hénon, conseiller rapporteur, M. Pédron, conseiller, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 9 novembre 2022), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2011 à 2013, l'URSSAF de Bretagne (l'URSSAF) a adressé à la société d'exploitation du [2] (la société) une lettre d'observations le 5 août 2014 puis lui a notifié une mise en demeure le 28 octobre 2014.
2. Contestant ce redressement, la société a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de confirmer le redressement pour un certain montant de majorations de retard auxquelles s'ajoutent les majorations de retard complémentaires, alors « que la lettre d'observations notifiant un redressement de cotisations sociales doit, pour assurer la pleine information de la personne contrôlée et garantir l'exercice des droits de la défense, mentionner la nature, le mode de calcul et le montant des éventuelles majorations et pénalités encourues, la simple référence à un texte n'y suffisant pas; qu'en retenant, pour conformer le redressement au titre des majorations de retard, que « l'article R. 243-59 ne prévoit aucunement l'obligation pour l'URSSAF de mentionner dans la lettre d'observations le mode de calcul et le montant des majorations de retard prévues à l'article R. 243-18 du code de la sécurité sociale, cette exigence ne concernant que les pénalités en cas d'abus de droit (L. 243-7-2), les majorations en cas d'absence de mise en conformité (L. 243-7-6) et les majorations en cas de travail dissimulé (L. 243-7-7) » , la cour d'appel a violé l'article R. 243-59, alinéa 5, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2013-1107 du 3 décembre 2013 applicable en la cause, ensemble l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
Réponse de la Cour
4. Selon l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2013-1107 du 3 décembre 2013 applicable à l'espèce, le document communiqué à l'employeur par les inspecteurs de recouvrement à l'issue du contrôle mentionne, s'il y a lieu, les observations faites au cours du contrôle, assorties de l'indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités, définies aux articles L. 243-7-2, L. 243-7-6 et L. 243-7-7, envisagés.
5. Ayant retenu à bon droit que l'obligation de mentionner les éventuelles majorations et pénalités ne concerne que les pénalités en cas d'abus de droit, les majorations en cas d'absence de mise en conformité après observations notifiées lors d'un précédent contrôle et les majorations en cas de travail dissimulé, et constaté que la lettre d'observations indiquait que des majorations de retard seraient réclamées par application des dispositions de l'article R. 243-18 du code de la sécurité sociale à défaut de paiement, la cour d'appel, qui a fait ressortir que l'information des droits de la société avait été garantie à ce titre, en a exactement déduit que la lettre d'observations était régulière.
6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
7. La société fait grief à l'arrêt de confirmer le redressement, alors « que, en toute hypothèse, l'employeur est seulement tenu, pour bénéficier de la réduction des cotisations à sa charge sur les bas salaires prévues par l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2015-994 du 17 août 2015 applicable au litige, d'engager la négociation annuelle obligatoire prévue par l'article L. 2242-8, 1° du code du travail ; qu'en retenant, pour en déduire que le redressement opéré pour l'année 2012 aurait été justifié, que l'employeur n'apportait pas de « précision notamment quant aux informations transmises au délégué syndical devant permettre une analyse comparée de la situation des hommes et des femmes concernant les emplois et les qualifications, les salaires payés, les horaires effectués et l'organisation du temps de travail, [ce qui] ne saurait caractériser l'engagement de négociations loyales et sérieuses », la cour d'appel a violé l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 applicable au litige, ensemble l'article L. 2242-8, 1° du code du travail ».
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 241-13, VII, du code de la sécurité sociale, et L. 2242-8, 1° du code du travail, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010, le second dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, applicables au litige :
8. L'employeur est seulement tenu, pour bénéficier de la réduction des cotisations à sa charge sur les bas salaires prévue par le premier de ces textes, d'engager la négociation annuelle obligatoire prévue par le second, et non de parvenir à la conclusion d'un accord.
9. Pour dire que le redressement est bien fondé, l'arrêt, après avoir constaté l'absence de procès-verbal de désaccord et la production d'une attestation d'un délégué syndical, de procès verbaux de réunion de délégation unique du personnel des 21 août et 23 octobre 2012, retient que la seule mention d'une revalorisation envisagée de 4% sans autre précision notamment quant aux informations transmises au délégué syndical devant permettre une analyse comparée de la situation des hommes et des femmes concernant les emplois et les qualifications, les salaires payés, les horaires effectués et l'organisation du temps de travail, ne saurait caractériser l'engagement de négociations loyales et sérieuses.
10. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la société avait engagé pour l'année 2012 la négociation annuelle obligatoire sur les salaires, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
11. La société fait grief à l'arrêt de confirmer le redressement , alors « que, l'employeur est seulement tenu, pour bénéficier de la réduction des cotisations à sa charge sur les bas salaires prévues par l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 applicable au litige, d'engager la négociation annuelle obligatoire prévue par l'article L. 2242-8, 1° du code du travail ; qu'en l'espèce, au titre de l'année 2013, la cour d'appel a notamment constaté que le procès-verbal d'une réunion du 30 juillet 2013 faisait « état de ce que « l'accord sur la reconnaissance de l'ancienneté des employés débutants hors jeux sera intégré dans les NAO » », et que « ce projet d'accord était du reste encore en discussion lors des réunions des 12 novembre et 17 décembre 2013 »; qu'il en résultait que l'employeur avait respecté son obligation d'engager la négociation annuelle obligatoire au cours de l'année 2013 ; qu'en retenant, pour en déduire que le redressement opéré pour l'année 2013 aurait été justifié, que « les éléments qui précèdent ne permettent pas de caractériser l'engagement de négociations annuelles obligatoires loyales et sérieuses pour 2013 avant le 1er janvier 2014 », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 applicable au litige, ensemble l'article L. 2242-8, 1° du code du travail ».
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 241-13, VII, du code de la sécurité sociale, et L. 2242-8, 1° du code du travail, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010, le second dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, applicables au litige :
12. L'employeur est seulement tenu, pour bénéficier de la réduction des cotisations à sa charge sur les bas salaires prévue par le premier de ces textes, d'engager la négociation annuelle obligatoire prévue par le second, et non de parvenir à la conclusion d'un accord.
13. Pour dire que le redressement est bien fondé, l'arrêt retient qu'il est produit un procès-verbal de désaccord pour 2013, daté du 16 juin 2014, ne permettant pas d'établir que les négociations ont eu lieu en 2013. Il précise que l'attestation du délégué syndical indique qu'au cours d'une réunion du comité d'entreprise du 18 juin 2013, celui-ci a demandé la tenue d'une réunion de négociation annuelle obligatoire, ce qui a été accepté et que toutes ces demandes ont été rejetées lors d'une réunion, très brève, du 20 août 2013. Il ajoute que si la société verse aux débats la convocation à la réunion de la délégation unique du personnel du 18 juin 2013 avec la mention de l'élaboration d'un calendrier pour les négociations annuelles obligatoires à l'ordre du jour, le procès-verbal de cette réunion n'est pas produit de sorte qu'il est impossible de vérifier ce qui a pu être effectivement débattu le 18 juin 2013 et notamment si un calendrier des négociations a été fixé. Il précise qu'aucun procès-verbal de réunion de la délégation unique du personnel jusqu'au 17 décembre 2013 fait état de l'engagement ou de négociations annuelles obligatoires en cours. Il en déduit que les éléments qui précèdent ne permettent pas de caractériser l'engagement de négociations annuelles obligatoires loyales et sérieuses pour 2013 avant le 1er janvier 2014.
14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la société avait engagé pour l'année 2013 la négociation annuelle obligatoire sur les salaires, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que la procédure de contrôle et de recouvrement est régulière en la forme, l'arrêt rendu le 9 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne l'URSSAF de Bretagne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF de Bretagne et la condamne à payer à société d'exploitation du [2] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt-cinq.