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27/02/2025 | FRANCE | N°22500161

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 27 février 2025, 22500161


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 2


LM






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 27 février 2025








Cassation partielle




Mme MARTINEL, président






Arrêt n° 161 FS


Pourvoi n° S 23-15.218




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2025


L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) du Centre - Val de Loire, dont le siège est [Adres...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 27 février 2025

Cassation partielle

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 161 FS

Pourvoi n° S 23-15.218

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2025

L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) du Centre - Val de Loire, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 23-15.218 contre l'arrêt rendu le 3 mars 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 12), dans le litige l'opposant à Mme [R] [P], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations écrites et orales de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF du Centre - Val de Loire, de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de Mme [P], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 15 janvier 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lapasset, MM. Leblanc, Reveneau, Hénon, conseillers, Mme Dudit, M. Montfort, Mme Lerbret-Féréol, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, premier avocat général, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mars 2023), l'URSSAF du Centre - Val de Loire (l'URSSAF) a adressé à Mme [P] (la cotisante), le 15 décembre 2017, un appel de la cotisation subsidiaire maladie pour l'année 2016, au titre de la protection universelle maladie.

2. La cotisante a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

3. L'URSSAF fait grief à l'arrêt d'ordonner la décharge intégrale de l'appel de cotisation et de la condamner à rembourser à la cotisante les sommes qu'elle versées à ce titre, alors « que si toute personne a droit au respect de ses biens, cette disposition ne porte pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ; que n'est dès lors pas confiscatoire, ni contraire à l'égalité des cotisants devant la nécessaire participation de tous au financement de l'assurance maladie, le dispositif qui assujettit une personne, bénéficiant de très importants revenus du patrimoine, à une cotisation limitée à 8 % de ces revenus, quand bien même des contribuables bénéficiant quant à eux de revenus professionnels n'y seraient pas assujettis ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Premier protocole additionnel à ladite Convention. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. La cotisante conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau, et mélangé de fait et de droit.

5. Cependant, le moyen qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt attaqué, est de pur droit.

6. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er du Protocole additionnel n° 1 à cette Convention, L. 380-2 et D. 380-1 du code de la sécurité sociale, le troisième dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 et le quatrième dans sa rédaction issue du décret n° 2016-979 du 19 juillet 2016, applicables au litige :

7. D'une part, le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a retenu le caractère confiscatoire de la cotisation subsidiaire maladie réclamée à la cotisante.

8. Aux termes de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

9. L'article L. 380-2 susvisé, instaure une cotisation annuelle dont sont redevables les personnes mentionnées à l'article L. 160-1 du même code, en vue de contribuer à la prise en charge des frais de santé.

10. Cette cotisation, en tant qu'elle prive le cotisant d'un élément de sa propriété, à savoir les sommes qu'il doit verser à ce titre et qui sont recouvrées par l'URSSAF, constitue, pour le cotisant qui en est redevable, une ingérence dans le droit au respect de ses biens (CEDH, arrêt du 12 novembre 2013, Marcu c. Roumanie, n° 8986/13, §§ 13-14).

11. Cette ingérence, qui repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne accessibles, précises et prévisibles, se justifie conformément au second alinéa de l'article 1er du Protocole n° 1 précité, qui prévoit expressément une exception pour ce qui est du paiement des impôts ou d'autres contributions.

12. En outre, cette ingérence doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Par conséquent, l'obligation financière née du prélèvement d'impôts ou de contributions peut léser la garantie consacrée par l'article 1er du Protocole n° 1 précité si elle impose à la personne ou à l'entité en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à leur situation financière (CEDH, arrêt du 4 janvier 2008, Imbert de Tremiolles c. France, n° 25834/05 ; CEDH, arrêt du 15 janvier 2015, Arnaud et autres c. France, n° 36918/11, 36963/11, 36967/11, 36969/11, 36970/11 et 36971/11, §§ 23 à 25).

13. La cotisation subsidiaire maladie, instituée pour faire contribuer à la prise en charge des frais de santé les personnes ne percevant pas de revenus professionnels ou percevant des revenus professionnels insuffisants pour que les cotisations assises sur ces revenus constituent une participation effective à cette prise en charge, répond à un motif d'intérêt général, dès lors qu'elle participe à l'exigence de valeur constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale.

14. Il ressort des articles L. 380-2 et D. 380-1 susvisés que le taux de la cotisation subsidiaire maladie est fixé à 8 % des revenus du patrimoine mentionnés par le premier de ces textes, que l'assiette de la cotisation fait l'objet d'un abattement croissant à proportion des revenus d'activité et que la cotisation n'est assise que sur la fraction des revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale.

15. En outre, conformément au principe de solidarité nationale énoncé par l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale, cette cotisation permet d'assurer une participation effective des personnes, percevant des revenus du patrimoine dépassant un plafond, au financement de l'assurance maladie au titre de laquelle des droits leur sont ouverts.

16. Dès lors, le taux de la cotisation appliqué à l'assiette définie par les articles L. 380-2 et D. 380-1 susvisés ne présente pas de caractère excessif.

17. Il en résulte que ces dispositions ménagent un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, de sorte qu'elles sont compatibles avec les stipulations de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

18. D'autre part, le moyen critique également l'arrêt en ce qu'il a retenu le caractère discriminatoire des modalités de calcul de la cotisation réclamée à la cotisante.

19. Il résulte de ce qui précède que les articles L. 380-2 et D. 380-1 susvisés sont susceptibles d'entraîner une atteinte à un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de l'article 1er du Protocole n° 1, et doivent, en conséquence, être compatibles avec l'article 14 de la Convention (CEDH, arrêt du 12 avril 2006, Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], n° 65731/01 et 65900/01, § 53).

20. Aux termes de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

21. La discrimination consiste à traiter de manière différente des personnes placées dans des situations comparables ou analogues, sauf justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle poursuit un but légitime et s'il y a un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (CEDH, arrêt du 13 novembre 2007, DH et autres c. République tchèque [GC], n° 57325/00, § 175 ; CEDH, arrêt du 24 mai 2016, Biao c. Danemark [GC], n° 38590/10, § 90 ; CEDH arrêt du 5 septembre 2017, Fábián c. Hongrie [GC], n° 78117/13, § 113 ; CEDH, arrêt du 11 octobre 2022, Beeler c. Suisse [GC], n° 78630/12, § 93).

22. La Cour européenne des droits de l'homme rappelle que les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (CEDH, arrêt du 5 juillet 2022, Dimici c. Turquie, n° 70133/16, § 124). Le domaine de la protection sociale constitue un ensemble complexe dont il convient de préserver l'équilibre et, de ce fait, une ample latitude est d'ordinaire laissée à l'État pour prendre des mesures d'ordre général en matière économique ou sociale (CEDH, arrêt du 29 avril 2008, Burden c. Royaume-Uni [GC], n° 13378/05, § 60).

23. Les dispositions des articles L. 380-2 et D. 380-1 susvisés créent une différence de traitement entre les cotisants redevables de cotisations sociales sur leurs seuls revenus professionnels et ceux qui, dès lors que leur revenu d'activité professionnelle est inférieur au seuil fixé par le second de ces textes et qu'ils n'ont perçu aucun revenu de remplacement, sont redevables d'une cotisation assise sur l'ensemble de leurs revenus du patrimoine.

24. En créant une différence de traitement entre les cotisants pour la détermination des modalités de leur participation au financement de l'assurance maladie selon le montant de leurs revenus professionnels, les textes du code de la sécurité sociale précités poursuivent un but légitime, en ce qu'ils contribuent à l'exigence de valeur constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale par une répartition équitable entre les assurés sociaux de la charge de financement du régime général d'assurance maladie.

25. Il ressort des articles L. 380-2 et D. 380-1 susvisés que le taux de la cotisation subsidiaire maladie est fixé à 8 % des revenus du patrimoine mentionnés par le premier, que l'assiette de la cotisation fait l'objet d'un abattement croissant à proportion des revenus d'activité et que la cotisation n'est assise que sur la fraction des revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale. Ainsi, la différence de traitement entre les assurés sociaux décrite au paragraphe 23, inhérente à l'existence d'un seuil, se trouve atténuée par ces mécanismes d'abattement d'assiette et de limitation de l'assiette aux revenus du patrimoine dépassant ce plafond.

26. En outre, la cotisation constitue, pour les personnes qui en sont redevables, des versements à caractère obligatoire constituant la contrepartie légale du bénéfice des prestations en nature qui leur sont servies conformément à l'article L. 160-1 du code de la sécurité sociale.

27. Dès lors, les articles L. 380-2 et D. 380-1 précités ménagent un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

28. Il en résulte que les dispositions de ces textes sont compatibles avec les stipulations de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, combiné avec l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à cette Convention.

29. Pour décharger la cotisante du paiement de la cotisation subsidiaire maladie, l'arrêt relève que cette dernière n'ayant perçu aucun revenu d'activité professionnelle au cours de l'année 2016 mais des revenus du patrimoine exceptionnels d'un montant de 47 974 062 euros, il lui a été réclamé le paiement d'une cotisation subsidiaire maladie d'un montant de 3 837 209 euros. Il énonce qu'à patrimoine égal, un cotisant qui aurait perçu des revenus d'activité à hauteur du seuil fixé par les articles L. 380-2, alinéa 2, et D. 380-1, I, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, soit 3 862 euros, n'aurait été redevable d'aucune somme au titre de la cotisation litigieuse, sa contribution aux frais de santé étant considérée comme effective au regard des cotisations acquittées sur ses revenus professionnels, évaluées à 520 euros. Il en déduit que la différence de cotisations payées par deux assurés sociaux placés dans une situation analogue, fondée sur une différence de revenus dérisoire, est exorbitante et totalement disproportionnée. Il retient donc une violation manifeste du principe de non-discrimination fondée sur la fortune et du droit au respect des biens, dès lors que, dans le cas de la cotisante, d'une part, l'égalité des cotisants devant la nécessaire participation de tous au financement de l'assurance maladie a été rompu et, d'autre part, la cotisation réclamée présentait un caractère confiscatoire, à défaut de justification par le but recherché d'une large participation des bénéficiaires de la protection universelle maladie au financement de l'assurance maladie.

30. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare l'appel recevable et rectifie l'erreur matérielle affectant le jugement déféré en ce qu'il a retenu au titre du RFR la somme de 25 890,25 euros au lieu de 25 890 093,25 euros correspondant à la décision de l'administration fiscale, l'arrêt rendu le 3 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne Mme [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [P] et la condamne à payer à l'URSSAF du Centre - Val de Loire la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 22500161
Date de la décision : 27/02/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 03 mars 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 27 fév. 2025, pourvoi n°22500161


Composition du Tribunal
Président : Mme Martinel (président)
Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SARL Cabinet Briard, Bonichot et Associés

Origine de la décision
Date de l'import : 06/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:22500161
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