LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 février 2025
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 166 F-D
Pourvoi n° H 22-24.474
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2025
M. [S] [G], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 22-24.474 contre l'arrêt rendu le 14 octobre 2022 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Makeen Energy Technology Center, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [G], de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de la société Makeen Energy Technology Center, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Panetta, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 14 octobre 2022), M. [G] a été engagé en qualité de responsable commercial, le 8 mars 2004, par la société Siraga. Son contrat de travail a été transféré à la société Makeen Energy Technology Center (la société). En dernier lieu, il était directeur régional détaché en Malaisie et un second contrat de travail de droit local avait été conclu entre les parties.
2. Licencié pour faute grave par lettre du 3 septembre 2020, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes indemnitaires, notamment au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement pour faute grave, alors :
« 1°/ qu'il résulte des articles 9 du code de procédure civile, 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, que la retranscription d'enregistrements vidéos réalisés dans les locaux de l'entreprise à l'insu d'un salarié constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ; qu'en l'espèce, pour déclarer recevable la pièce n° 12 sous-pièce 25, qui contenait la retranscription d'enregistrements vidéos réalisés dans les locaux de l'entreprise à l'insu du salarié, la cour d'appel a jugé que les propos avaient été enregistrés sur le lieu de travail et qu'ils avaient un caractère professionnel, qu'il s'agissait pour l'employeur de se ménager un moyen de preuve relatif à des faits constitutifs d'une faute grave et d'une infraction pénale, et que ces faits étaient censés avoir été commis en man?uvrant à l'insu de l'employeur, pour en déduire que le droit à la preuve justifiait la production des enregistrements et que l'atteinte à la vie privée du salarié était proportionnée au but poursuivi ; qu'en statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il ressortait que l'élément de preuve avait [été] obtenu par stratagème de manière déloyale, la cour d'appel a violé les articles 9 du code de procédure civile, 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe de loyauté dans l'administration de la preuve ;
2°/ que c'est seulement une atteinte à la vie personnelle, par la production d'élément de preuve illicite, que le droit à la preuve peut, dans des limites strictes, justifier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les propos avaient été enregistrés sur le lieu de travail et qu'ils avaient un caractère professionnel, ce qui excluait toute atteinte à la vie personnelle du salarié ; qu'en jugeant que le droit à la preuve justifiait la production des enregistrements et que l'atteinte à la vie privée du salarié était proportionnée au but poursuivi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations desquelles il ressortait que la vie personnelle du salarié n'avait pas été atteinte, a violé les articles 9 du code de procédure civile, 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code de procédure civile que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
6. La production en justice de la retranscription d'enregistrements vidéos réalisés dans les locaux de l'entreprise à l'insu d'un salarié constitue un procédé déloyal et une atteinte à la vie privée du salarié, s'agissant de l'exploitation de données personnelles.
7. Cependant, la cour d'appel a constaté que, pour établir le grief de divulgation par le salarié de données hautement confidentielles à caractère technique et commercial à une entreprise tierce, l'employeur s'était borné à produire la retranscription des conversations relatives à son activité professionnelle et qu'il n'était pas démontré que l'employeur avait mis en oeuvre, avec la complicité d'un autre salarié, un stratagème visant à le piéger et à provoquer la commission d'une faute.
8. En l'état de ces constatations, la cour d'appel a fait ressortir que cette production d'éléments obtenus de manière déloyale était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de l'employeur à la confidentialité de ses affaires.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt-cinq.