LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 février 2025
Rejet
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 131 F-D
Pourvoi n° E 23-15.966
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 FÉVRIER 2025
La société DStorage, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 23-15.966 contre l'arrêt rendu le 12 avril 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Nintendo Co Ltd, dont le siège est [Adresse 1] (Japon), société de droit japonais ,
2°/ à la société The Pokemon Company, dont le siège est [Adresse 5] (Japon), société de droit japonais,
3°/ à la société Creatures Inc, dont le siège est [Adresse 4] (Japon), société de droit japonais ,
4°/ à la société Game Freak Inc, dont le siège est [Adresse 3] (Japon), société de droit japonais,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de la société DStorage, de la SCP Spinosi, avocat des société Nintendo Co Ltd, The Pokemon Company, Creatures Inc et Game Freak Inc, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 janvier 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 avril 2023), la société Nintendo Co., Ltd (la société Nintendo) fabrique et commercialise dans de nombreux pays dont la France des consoles de jeux ainsi que des jeux vidéo, tels que les jeux vidéo « Pokémon » dont elle invoque être co-titulaire des droits d'auteur avec les sociétés The Pokemon Company, Creatures Inc. et Game Freak Inc. Elle est également titulaire de plusieurs marques verbales ou figuratives, de l'Union européenne ou internationales.
2. La société DStorage fournit des services d'hébergement et d'infrastructures techniques ainsi que de stockage de données en ligne à travers le site internet 1fichier.com. Elle propose, notamment, à ses clients d'accéder aux contenus stockés sur ses serveurs depuis un site internet tiers ouvert au public, l'utilisateur pouvant alors communiquer le lien de téléchargement depuis une plateforme publique et sans restriction d'accès.
3. Par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception du 22 janvier 2018, les sociétés Nintendo, The Pokemon Company, Creatures Inc. et GameFreak Inc. (les sociétés Nintendo e. a.) ont notifié à la société DStorage l'existence de liens permettant le téléchargement de copies non autorisées de leurs jeux « Super Mario Maker pour Nintendo 3DS », « Pokémon Sun » et « Pokémon Moon » et sollicité leur retrait.
4. Par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception du 30 janvier 2018, elles ont réitéré leur demande et sollicité, en outre, le retrait des liens menant vers les copies non autorisées des jeux « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », « Super Mario Odyssey », « Mario Kart 8 Deluxe », « Splatoon 2 », « Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon ».
5. Le 24 mai 2018, après avoir constaté que les liens litigieux étaient toujours disponibles sur le site 1fichier.com, elles ont assigné la société DStorage en responsabilité et indemnisation et retrait des liens sous astreinte.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur les premier et deuxième moyens, réunis
Enoncé des moyens
7. Par son premier moyen, la société DStorage fait grief à l'arrêt de dire que les sociétés Nintendo, The Pokemon Company, Creatures et Game Freak lui ont valablement notifié les 22 et 30 janvier 2018 la présence sur son site internet https://1fichier.com de contenus manifestement illicites portant atteinte aux droits dont la société Nintendo est titulaire sur certaines marques de l'Union européenne et marques internationales et aux droits d'auteur sur les jeux vidéo précités Super Mario Maker pour Nintendo 3DS, Pokémon Sun, Pokémon Moon, et qu'en n'agissant pas promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible, elle a engagé sa responsabilité civile en tant qu'hébergeur de contenus, en conséquence, de lui ordonner de retirer de son site internet https://1fichier.com ou de bloquer l'accès aux contenus listés dans les tableaux concernés et aux contenus constituant des copies de ces jeux vidéo dans le délai de 72 heures à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 1 000 euros par jour, l'astreinte courant sur six mois et de la condamner à réparer le préjudice commercial de la société Nintendo, alors :
« 1°/ que les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de faits et circonstances faisant apparaître le caractère manifestement illicite des activités ou informations stockées ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ; que la connaissance de tels faits ou circonstances n'est présumée acquise par ces personnes que lorsque la notification qui leur en est faite est accompagnée de la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou de la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté ; que pour considérer qu'il ne pouvait être reproché aux sociétés Nintendo de n'avoir pas joint copie d'une telle correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations litigieuses ni justifié de ce qu'ils n'auraient pu être contactés, la cour d'appel a énoncé que « la circonstance que pour expliquer le cheminement suivi par l'internaute pour accéder aux contenus hébergés sur le site 1fichier.com exploité par la société DStorage, les sociétés Nintendo [avaie]nt été en mesure d'identifier l'origine d'un fichier litigieux comme provenant d'un site romspure.com renvoyant à une adresse mail [étai]t de peu d'emport » dès lors que la société DStorage ne contestait pas que l'identité des « auteurs » n'était pas dévoilée sur son site internet ; qu'en refusant de rechercher, comme elle y était invitée, si le site internet romspure.com avait la qualité d'éditeur, et comme tel pouvait être contacté, peu important que l'auteur de la publication contenant le lien vers le site 1fichier.com ne soit pas identifié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6, I, 5, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 ;
2°/ que, plus fondamentalement, en prenant ainsi en considération la possibilité ou non de contacter les utilisateurs du site 1fichier.com, quand il lui appartenait de prendre en compte la possibilité de contacter les auteurs ou éditeurs des informations ou activités litigieuses, à l'origine de la publication des liens sur des sites internet accessibles au public distincts du site 1fichier.com, auteurs ou éditeurs qui n'étaient pas nécessairement les utilisateurs du site 1fichier.com, ce dernier service ne permettant de surcroît au public aucun accès direct ¿ sans le lien de téléchargement ¿ aux données stockées pour le compte des utilisateurs, la cour d'appel, qui a opéré une confusion entre ces utilisateurs et les auteurs ou éditeurs des contenus litigieux, a violé l'article 6, I, 5, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 ;
3°/ qu'en énonçant que la société DStorage ne contestait pas avoir indiqué
dans ses écritures de première instance que l'identité des auteurs n'était pas
dévoilée sur son site internet, tout en constatant que la société DStorage avait alors fait valoir qu'elle « est un service qui stocke du contenu et non une plate-forme de partage de vidéos » et qu'« il est donc inutile de révéler l'identité de ses utilisateurs », la cour d'appel, qui s'est contredite, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
8. Par son deuxième moyen, la société DStorage fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de faits et circonstances faisant apparaître le caractère manifestement illicite des activités ou informations stockées ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ; que la connaissance de tels faits ou circonstances n'est présumée acquise par ces personnes que lorsque la notification qui leur en est faite décrit les faits litigieux, les localise précisément et indique les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ; que s'agissant de contrefaçon alléguée de marque, l'illicéité ne peut être manifeste que si le notifiant s'explique sur la réunion des conditions requises en la matière, savoir un usage dans la vie des affaires d'un signe identique ou similaire à la marque enregistrée, sans le consentement du titulaire de celle-ci, pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et portant atteinte ou étant susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services, en raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public ; que pour retenir que le caractère contrefaisant des marques des sociétés Nintendo des liens de téléchargement était manifeste, la cour d'appel s'est bornée à relever que ces derniers comportaient, dans leur nommage, la reproduction des marques ainsi que des mentions telles que "spoofed" (usurpé) ou "game free download" (téléchargement gratuit de jeux) et que les fondements légaux relatifs à la contrefaçon de marque étaient mentionnés et a refusé d'examiner si l'usage des marques était effectué dans la vie des affaires, par la considération que l'action des sociétés Nintendo n'était pas fondée sur la contrefaçon des marques mais sur la responsabilité propre aux hébergeurs ; qu'en statuant ainsi, quand l'appréciation de la responsabilité de l'hébergeur dépendait du caractère manifeste de l'illicéité dénoncée et, partant, de la démonstration dans la notification d'un usage des signes argués de contrefaçon de marques dans la vie des affaires, la cour d'appel a violé l'article 6, I, 2 et 5, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 ;
2°/ que les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de faits et circonstances faisant apparaître le caractère manifestement illicite des activités ou informations stockées ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ; que la connaissance de tels faits ou circonstances n'est présumée acquise par ces personnes que lorsque la notification qui leur en est faite décrit les faits litigieux, les localise précisément et indique les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des
dispositions légales et des justifications de faits ; que s'agissant de contrefaçon alléguée de droits d'auteur, l'illicéité ne peut être manifeste que si le notifiant s'explique sur la réunion des conditions requises en la matière, savoir une représentation ou reproduction ¿ donc une communication au public ¿ d'une oeuvre protégée sans autorisation du titulaire des droits sur cette oeuvre ; que pour retenir que le caractère contrefaisant des jeux vidéo des contenus litigieux stockés sur le service 1fichier.com à la demande des utilisateurs était manifeste, la cour d'appel a considéré que les deux notifications désignaient et identifiaient précisément les jeux vidéo contrefaits et qu'il ne pouvait être exigé des sociétés Nintendo qu'elles procèdent, au stade de la notification, à la démonstration de la titularité de leurs droits, de l'originalité des jeux concernés ou encore de la matérialité d'actes de contrefaçon ; qu'en statuant ainsi, quand l'appréciation de la responsabilité de l'hébergeur dépendait du caractère manifeste de l'illicéité dénoncée et, partant, de la démonstration dans la notification que les conditions de la contrefaçon de droits d'auteur étaient réunies, la cour d'appel a derechef violé l'article 6, I, 2 et 5, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 ;
3°/ que la cour d'appel a considéré qu'il ne pouvait être exigé des sociétés Nintendo qu'elles procèdent, au stade de la notification, à la démonstration de la titularité de leurs droits, de l'originalité des jeux concernés ou encore de la matérialité d'actes de contrefaçon dans la mesure où ni la titularité des droits ni l'originalité des jeux ni la reproduction des jeux vidéo par les contenus litigieux n'avait été formellement contestée par la société DStorage dans les réponses qu'elle avait apportées par courrier électronique aux sociétés Nintendo, ce qui n'appelait par conséquent pas d'informations complémentaires sur ces points ; qu'en statuant ainsi, quand la notification doit se suffire à elle-même et mettre l'hébergeur en mesure d'apprécier le caractère manifestement illicite des activités ou informations stockées pour le compte de ses utilisateurs, la cour d'appel a violé l'article 6, I, 2 et 5, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 ;
4°/ qu'il incombe à celui qui revendique la protection par le droit d'auteur d'identifier les caractéristiques de l'oeuvre dont il sollicite la protection, l'originalité de celle-ci n'étant pas présumée, de sorte qu'il incombe à celui qui porte à la connaissance d'un hébergeur des faits et circonstances susceptibles de faire apparaître le caractère manifestement illicite des activités ou informations stockées par l'hébergeur pour le compte des utilisateurs d'identifier les caractéristiques de l'oeuvre qui serait contrefaite par ces contenus stockés ; qu'en retenant au contraire que les sociétés Nintendo pouvaient se prévaloir d'une présomption d'originalité des jeux vidéo, la cour d'appel a violé les articles L. 111-1 et L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle et 6, I, 2 et 5, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 ;
5°/ que la notoriété d'une oeuvre est indifférente pour apprécier son originalité ; que pour considérer qu'il n'appartenait pas aux sociétés Nintendo de démontrer l'originalité des jeux vidéo qui auraient été contrefaits par des contenus stockés sur le service 1fichier.com, la cour d'appel a relevé que les jeux vidéo en cause étaient très connus, ayant été vendus en plusieurs millions d'exemplaires dans le monde ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a encore violé les articles L. 111-1 et L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle et 6, I, 2 et 5, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016. »
Réponse de la Cour
9. La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016, prévoit que les personnes physiques ou morales, qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, peuvent voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services seulement si, dès le moment où elles ont eu connaissance de leur caractère manifestement illicite, elles n'ont pas agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible.
10. Aux termes de son article 6-I.5, la connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu'il leur est notifié les éléments suivants :
- la date de la notification ;
- si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement ;
- les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
- la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
- les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;
- la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté.
11. Ces dispositions transposent en droit français l'article 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »).
12. Il se déduit de ces dispositions que les notions d'« auteur » ou d' « éditeur » des informations ou activités litigieuses mentionnées à l'article 6-I.5, précité, doivent être comprises comme désignant les personnes qui ont procédé au stockage des données illicites et, partant, comme des destinataires des services de communication au public en ligne ou de stockage.
13. En premier lieu, dès lors que la cour d'appel a retenu que les deux notifications précisaient que les personnes ayant mis en ligne les contenus litigieux n'étaient pas identifiées sur le site internet « https://1fichier.com » et qu'il n'était pas contesté par la société DStorage que l'identité des auteurs n'était pas dévoilée sur son site internet, elle en a exactement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et sans entacher sa décision de contradiction, que les notifications répondaient aux conditions de forme prescrites par l'article 6-1-5 de la LCEN.
14. En second lieu, dès lors que la cour d'appel a retenu que les deux notifications et les tableaux annexés indiquaient précisément que les marques de la société Nintendo, désignées par leur numéro d'enregistrement, étaient reproduites dans des liens permettant de télécharger des fichiers contenant des jeux vidéo, sans l'autorisation de leur titulaire et que le caractère contrefaisant de certains de ces liens, comportant la reproduction des marques ainsi que des mentions telles que « spoofed » (usurpé) ou « game free downlaod » (téléchargement gratuit de jeux), était manifeste, elle en a exactement déduit que les sociétés Nintendo, The Pokemon Company, Creatures et Game Freak, qui n'avaient pas fondé leur action sur la contrefaçon de marques mais sur la responsabilité propre aux hébergeurs de contenus et qui n'avaient pas, au stade des notifications, à démontrer la titularité des droits, l'originalité des jeux et la reproduction des jeux vidéo n'ayant pas été contestées, avaient décrit dans les notifications les faits permettant à la société DStorage de connaître le caractère manifestement illicite des contenus dont elles demandaient le retrait quant aux droits d'auteur et aux droits de marques invoqués.
15. Le moyen n'est donc pas fondé
16. Par voie de conséquence et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
17. La société DStorage fait grief à l'arrêt de lui ordonner de retirer de son site internet « https://1fichier.com » ou de bloquer l'accès aux contenus constituant des copies des jeux vidéo Super Mario Maker pour Nintendo 3DS, Pokémon Sun, Pokémon Moon, The Legend of Zelda : Breath of the Wild, Super Mario Odyssey, Mario Kart 8, Splatoon 2, Pokémon Ultra Sun et Pokémon Ultra Moon, dans le délai de 72 heures à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 1 000 euros par jour, l'astreinte courant sur six mois, alors « que les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, sans préjudice de toute activité de surveillance ciblée et temporaire demandée par l'autorité judiciaire ; qu'en ordonnant à la société DStorage de retirer de son site internet https://1fichier.com ou de bloquer l'accès aux contenus constituant des copies des jeux vidéo Super Mario Maker pour Nintendo 3DS, Pokémon Sun, Pokémon Moon, The Legend of Zelda : Breath of the Wild, Super Mario Odyssey, Mario Kart 8, Splatoon 2, Pokémon Ultra Sun et Pokémon Ultra Moon, la cour d'appel, qui ne s'est pas limitée à une mesure de surveillance ciblée et temporaire et a fait peser sur la société DStorage une obligation générale de surveiller les informations stockées et rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, a violé l'article 6, I, 7, de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 ».
Réponse de la Cour
18. Si, selon l'article 6-I.7 de la LCEN dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016, les personnes morales, qui assurent le stockage en ligne de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, elles peuvent se voir imposer une activité de surveillance ciblée et temporaire par l'autorité judiciaire.
19. C'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la mesure ordonnée, consistant en un retrait du site internet de la société DStorage « https://1fichier.com » ou un blocage de l'accès aux contenus constituant des copies des jeux vidéo précités, sous une astreinte limitée à six mois, n'imposait à cette société qu'une activité de surveillance ciblée sur des contenus très précis et temporaire.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société DStorage aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société DStorage et la condamne à payer aux sociétés Nintendo Co. Ltd, The Pokemon Company, Creatures Inc. et Game Freak Inc., la somme globale de 5 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt-cinq.