LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 février 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 147 F-D
Pourvoi n° D 23-13.527
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2025
Mme [G] [N], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 23-13.527 contre l'arrêt rendu le 28 juillet 2022 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant à la société The Onelife company, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2] (Luxembourg), venant aux droits de la succursale française Apicil France, [Adresse 3], anciennement dénommée Skandia life, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [N], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société The Onelife company, venant aux droits de la succursale française Apicil France, anciennement dénommée Skandia life, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 juillet 2022), en 2005, Mme [N] a souscrit, par l'intermédiaire de [H] [E], un contrat d'assurance sur la vie « Archipel plus » auprès de la société Skandia life, aux droits de laquelle est venue la société Apicil life, puis la société The Onelife company (l'assureur).
2. En 2008, elle a confié des fonds à ce même intermédiaire à fin de souscription d'un contrat de capitalisation « Archipel capi » auprès de l'assureur.
3. Le 6 octobre 2016, faisant valoir que [H] [E] avait détourné à son profit la somme de 200 000 euros retirée du contrat « Archipel plus » et la somme de 221 000 euros qui devait être placée sur le contrat « Archipel capi », qui n'avait en réalité jamais été souscrit, Mme [N] a assigné l'assureur en responsabilité et indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur les deux moyens, réunis
Enoncé des moyens
4. Par un premier moyen, Mme [N] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en tant qu'il déclare irrecevable car prescrite son action indemnitaire initiée le 6 octobre 2016 à l'encontre de l'assureur, fondée sur le détournement par [H] [E] des fonds de son contrat d'assurance sur la vie Archipel plus, alors « que c'est à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans ; que pour fixer le point de départ de la prescription quinquennale à la fin juillet 2011, l'arrêt retient que l'entretien téléphonique du 17 juin 2011 suivi de la lettre du 7 juillet 2011 de la société Skandia ont confirmé à Mme [N] qu'elle avait bien reçu une demande d'avance en son nom et que les fonds qu'elle avait versés n'avaient pas été recrédités sur son contrat Archipel plus, ce qui aurait dû immédiatement la conduire à demander des explications à [H] [E] et à solliciter sa banque pour obtenir le chèque litigieux, auquel cas elle aurait appris dans la quinzaine de jours qui suivaient le détournement commis par [H] [E] ; qu'il en déduit qu'au plus tard en juillet 2011, Mme [N] ne pouvait légitimement ignorer les faits lui permettant d'agir tant contre [H] [E] que contre la société Skandia life en sa qualité prétendue de mandante puisqu'elle était alors en mesure de connaître le détournement de la somme de 200 000 euros commis à son préjudice par [H] [E] ; qu'en se prononçant par de tels motifs, dont il résulte uniquement que Mme [N] avait été en mesure d'entreprendre des démarches utiles en juillet 2011 qui, si elles avaient été réalisées, lui auraient éventuellement permis de prendre connaissance des détournements réalisés par [H] [E], mais aucunement qu'elle disposait à cette date des informations lui permettant de prendre conscience du détournement des sommes dont elle avait été victime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil. »
5. Par un second moyen, Mme [N] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en tant qu'il déclare irrecevable car prescrite son action indemnitaire initiée le 6 octobre 2016 à l'encontre de l'assureur en raison du détournement par [H] [E] des fonds destinés à être crédités sur son contrat d'assurance sur la vie Archipel capi, lequel était inexistant, alors :
« 1°/ que c'est à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans ; que pour fixer au mois d'août 2009 le point de départ de l'action en responsabilité intentée par Mme [N], l'arrêt retient que la synthèse du contrat qui lui a été adressée en août 2009 comportait une erreur grossière sur le montant du capital investi, minorant celui-ci de près de 20 000 euros de sorte qu'elle pouvait, dès cette date, s'enquérir de la réalité du contrat Archipel capi et des mouvements enregistrés par l'assureur ce qu'elle n'a pas fait avant d'apprendre le suicide de [H] [E] ; qu'en se prononçant par ces motifs, dont il résulte uniquement que Mme [N] avait été en mesure d'entreprendre des démarches utiles qui, si elles avaient été réalisées, lui auraient éventuellement permis de prendre connaissance des détournements réalisés par [H] [E], mais en aucune manière qu'elle disposait à cette date des informations lui permettant de prendre conscience de l'inexistence du contrat Archipel capi et du détournement de ses fonds, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil ;
2°/ que pour fixer en tout état de cause le point de départ de la prescription en juillet 2011, l'arrêt relève qu'ayant été en mesure de connaître le détournement de la somme de 200 000 euros commis à son préjudice par [H] [E] au plus tard en juillet 2011, Mme [N] aurait dû s'enquérir en même temps du sort de ses autres placements souscrits par le biais de [H] [E] auprès de Skankia life, laquelle aurait pu immédiatement l'avertir que le contrat Archipel capi était inexistant ; qu'en se prononçant par de tels motifs, dont il résulte uniquement que Mme [N] avait été en mesure d'entreprendre des démarches utiles en juillet 2011 qui, si elles avaient été réalisées, lui auraient éventuellement permis de prendre connaissance des détournements réalisés par [H] [E] relativement à un autre placement, mais aucunement qu'elle disposait à cette date des informations lui permettant de prendre conscience de l'inexistence du contrat Archipel capi pour lequel elle avait confié des sommes à [H] [E], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil :
6. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
7. Il s'en déduit que le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur, ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.
8. Pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt retient, s'agissant du contrat Archipel plus, que le 17 juin 2011, Mme [N] a appelé l'assureur pour lui faire part de ce qu'en 2009, une avance de 200 000 euros avait été virée de son contrat d'assurance sur la vie vers son compte courant, alors qu'elle n'en avait pas fait la demande, qu'elle avait remis à [H] [E] un chèque du même montant qui devait servir à rembourser l'avance, qu'elle s'étonnait du fait qu'il soit toujours indiqué qu'elle devait la somme de 200 000 euros à l'assureur alors que cela faisait deux ans qu'elle demandait à [H] [E] de faire le nécessaire pour que cela soit effacé. Elle demandait une confirmation écrite de l'assureur, disant qu'elle ne devait aucune somme et qu'il s'agissait d'une erreur.
9. Il constate que, par lettre du 7 juillet 2011, l'assureur a précisé à Mme [N] que c'était conformément à sa demande qu'il avait procédé à l'avance de 200 000 euros en mars 2009 et lui a demandé de lui adresser une copie de son relevé de compte où figure la reprise de ce paiement de 200 000 euros, lui indiquant que dans cette attente, l'avance consentie restait en cours.
10. L'arrêt relève que cet entretien téléphonique et cette lettre ont confirmé à Mme [N] que l'assureur avait bien reçu une demande d'avance en son nom et que les fonds n'avaient pas été recrédités sur son contrat d'assurance sur la vie, ce qui aurait dû immédiatement la conduire à demander des explications à [H] [E] et à solliciter sa banque pour obtenir le chèque litigieux, auquel cas elle aurait appris dans la quinzaine de jours qui suivaient le détournement commis par [H] [E].
11. L'arrêt en déduit qu'au plus tard en juillet 2011, Mme [N] ne pouvait légitimement ignorer les faits lui permettant d'agir tant contre [H] [E] que contre la société Skandia life en sa qualité prétendue de mandante, puisqu'elle était alors en mesure de connaître le détournement de la somme de 200 000 euros commis à son préjudice par [H] [E].
12. S'agissant du contrat Archipel capi, l'arrêt constate que Mme [N] a reçu, en août 2009, une synthèse du contrat qui comportait une erreur grossière sur le montant du capital investi, minorant celle-ci de près de 20 000 euros, de sorte qu'elle pouvait dès cette date s'enquérir de la réalité de ce contrat et des mouvements enregistrés par l'assureur.
13. Il ajoute qu'étant en mesure, en juillet 2011, de connaître le détournement de la somme de 200 000 euros commis à son préjudice par [H] [E], Mme [N] aurait dû s'enquérir en même temps du sort de ses autres placements souscrits par le biais du même intermédiaire auprès de l'assureur, lequel aurait pu immédiatement l'avertir que le contrat Archipel capi était inexistant.
14. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir qu'au plus tard en juillet 2011, Mme [N] aurait dû connaître tous les éléments lui permettant d'exercer son action en responsabilité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société The Onelife company aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société The Onelife company et la condamne à payer à Mme [N] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt-cinq.