LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 24-80.051 F-B
N° 00135
GM
5 FÉVRIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 FÉVRIER 2025
M. [W] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, chambre correctionnelle, en date du 4 décembre 2023, qui, pour participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens, recel de vol aggravé et dégradations aggravées, l'a condamné à six mois d'emprisonnement, 1 000 euros d'amende, trois ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, cinq ans d'interdiction de paraître et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de Me Guermonprez, avocat de M. [W] [T], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 25 mars 2023, à [Localité 1] (79), une manifestation, interdite par arrêté préfectoral, s'est déroulée pour contester les réserves de substitution en eau, appelées « méga-bassines », dont la réalisation avait été autorisée par arrêtés préfectoraux. Des heurts violents ont opposé des personnes cagoulées aux forces de l'ordre. Plusieurs véhicules de la gendarmerie ont été dégradés, pillés, incendiés et du matériel de maintien de l'ordre a été volé, puis brûlé. Des gendarmes et des manifestants ont été blessés.
3. Une personne, qui se distinguait au milieu des manifestants violents en arborant une tenue de moine franciscain et dont le visage était dissimulé, a été identifiée comme M. [W] [T].
4. L'intéressé, à l'issue de sa garde à vue, a été déféré devant le procureur de la République le 22 juin 2023, selon la procédure de comparution immédiate. Poursuivi des chefs de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens, recel de vol aggravé et dégradations au moyen d'inscription, signe ou dessin par personne dissimulant son visage, il a été placé en détention provisoire.
5. Par jugement du tribunal correctionnel du 27 juillet 2023, il a été déclaré coupable, condamné notamment à douze mois d'emprisonnement, avec aménagement sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, trois ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation et trois ans d'interdiction de paraître dans le département des Deux-Sèvres. Le tribunal a également ordonné l'exécution provisoire et prononcé sur les intérêts civils.
6. M. [T] a relevé appel principal de cette décision. Le ministère public et l'Agent judiciaire de l'Etat, partie civile, ont relevé appel incident.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, le cinquième moyen, pris en sa seconde branche, et le sixième moyen
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le quatrième moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable M. [T] de participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destruction ou dégradations de biens, alors :
« 1°/ que le délit de participation à un groupement formé en vue de préparer des violences ou des dégradations de biens suppose de faire la démonstration de la volonté du prévenu de participer audit groupement ; qu'en se limitant à indiquer que M. [T] avait, de fait, participé à un tel groupement, sans faire la démonstration de sa volonté d'y participer, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 222-14-2 du code pénal, 591 et 593 du code pénal ;
2°/ que le délit de participation à un groupement formé en vue de préparer des violences ou des dégradations de biens suppose d'établir que la personne poursuivie a, antérieurement à sa participation au groupement, projeté la commission d'infractions, qu'il a prémédité par une préparation collective ; qu'en se bornant à énoncer des faits dénués de lien avec l'infraction, sans faire la démonstration de la préparation de violences ou de dégradations de biens par le prévenu, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 222-14-2 du code pénal, 591 et 593 du code pénal. »
Réponse de la Cour
9. L'article 222-14-2 du code pénal incrimine le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens.
10. L'infraction, pour être constituée, suppose que son auteur a sciemment participé à un groupement, soit en ayant personnellement accompli un ou plusieurs faits matériels caractérisant la préparation d'infractions de violences ou de destructions ou dégradations, soit en ayant connaissance de tels faits commis par d'autres.
11. Pour déclarer le demandeur coupable de cette infraction, l'arrêt attaqué relève que, dans un communiqué diffusé sur un site internet, le collectif des opposants au projet avait annoncé le maintien de son action en dépit de l'arrêté préfectoral portant interdiction de manifester et avait clairement annoncé sa volonté « d'impacter concrètement les constructions », diffusant des images de personnes masquées tenant en main des meuleuses.
12. Les juges constatent que M. [T] a retrouvé les personnes engagées dans les événements du 25 mars 2023 la veille, en fin d'après-midi.
13. Ils retiennent que le prévenu était en possession des documents partagés par ce collectif pour faire face aux conséquences des affrontements tant au plan médical qu'au plan juridique en cas d'interpellation et que, le jour de la manifestation, il s'était vêtu d'un habit de moine, acheté à cette fin en février 2023, le dissimulant de la tête aux pieds.
14. Ils en déduisent que M. [T] avait parfaitement conscience de s'agréger à un collectif dont il connaissait l'intention de commettre des dégradations et qu'il s'était préparé à y participer en s'équipant d'une tenue destinée notamment à dissimuler son identité.
15. En se déterminant ainsi, par des motifs caractérisant que le prévenu a participé sciemment au groupement formé en vue de dégradations ou de destructions de biens, la cour d'appel a justifié sa décision.
16. Ainsi, le moyen ne saurait être accueilli.
Sur le troisième moyen et le cinquième moyen, pris en sa première branche
Enoncé des moyens
17. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable M. [T] de dégradation ou détérioration légère d'un bien par inscription, signe ou dessin, commise par une personne dissimulant volontairement son visage afin de ne pas être identifiée, et de recel de vol, alors « que l'incrimination d'un comportement constitutif d'une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause ; qu'en condamnant M. [T] pour avoir dégradé légèrement un bien et en avoir recelé brièvement un autre dans le cadre d'une expression politique et militante de protection de l'environnement, la cour d'appel a violé les articles 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
18. Le cinquième moyen, pris en sa première branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [T] à une peine de six mois d'emprisonnement pour les infractions de recel et de participation à un groupement formé en vue de préparer des violences ou des dégradations de biens, alors « que le prononcé d'une peine d'emprisonnement sans sursis peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause ; qu'en alourdissant la peine d'emprisonnement prononcée contre M. [T] pour avoir dégradé légèrement un bien et en avoir recelé brièvement un autre en raison du contexte politique et militant dans lequel se sont inscrits ces agissements, la cour d'appel a violé les articles 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble les articles 132-1 et 132-19 du code pénal, et 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
19. Les moyens sont réunis.
20. Selon l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit à la liberté d'expression, et l'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui.
21. Ainsi que le juge la Cour de cassation, l'incrimination d'un comportement constitutif d'une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause (Crim., 26 octobre 2016, pourvoi n° 15-83.774, Bull. crim. 2016, n° 27 ; Crim., 26 février 2020, pourvoi n° 19-81.827, publié au Bulletin ; Crim., 22 septembre 2021, pourvoi n° 20-85.434, publié au Bulletin ; Crim., 18 mai 2022, pourvoi n° 21-86.685, publié au Bulletin).
22. Lorsque le prévenu invoque une atteinte disproportionnée à sa liberté d'expression, il appartient au juge, après s'être assuré, dans l'affaire qui lui est soumise, du lien direct entre le comportement incriminé et la liberté d'expression sur un sujet d'intérêt général, de vérifier le caractère proportionné de la déclaration de culpabilité, puis de la peine. Ce contrôle de proportionnalité nécessite un examen d'ensemble, qui doit prendre en compte, concrètement, entre autres éléments, les circonstances des faits, la gravité du dommage ou du trouble éventuellement causé.
23. En l'espèce, pour déclarer le prévenu coupable des infractions de recel de vol et dégradations, l'arrêt constate que l'intéressé a inscrit à la bombe de peinture des inscriptions sur un véhicule de gendarmerie en feu et recélé un gilet de gendarme soustrait à l'occasion de scènes de pillages et d'exactions.
24. Les juges relèvent que le débat sur la gestion de l'eau et l'impact environnemental des réserves de substitution, en pleine crise climatique, constitue incontestablement un sujet d'intérêt général.
25. Ils ajoutent que les infractions de recel et de dégradations, qui portent toutes deux sur des biens appartenant à la gendarmerie, se sont inscrites dans un contexte d'affrontements violents aux forces de l'ordre, dont la mission était de protéger des structures contestées par les manifestants.
26. Ils retiennent que, loin de la simple expression symbolique visant à attirer l'attention et le débat sur un sujet grave d'intérêt général, l'exhibition d'un gilet de gendarmerie provenant de pillage et les graffitis, dont celui outrageant de « ACAB », sur un véhicule en feu, s'analysent en une démonstration de force et d'intimidation que n'atténue en rien le déguisement de moine dont s'était revêtu le prévenu.
27. Les juges précisent que le caractère léger des dégradations ne doit pas occulter les circonstances aggravantes de leur commission.
28. Ils en déduisent que, commises au préjudice de la gendarmerie par une personne dissimulant volontairement son visage dans un contexte de violence généralisée opposant des manifestants déterminés aux forces de l'ordre, leur incrimination ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression du prévenu.
29. Puis, pour condamner le prévenu à la peine de six mois d'emprisonnement des chefs de participation à un groupement violent et recel de vol aggravé, l'arrêt constate que le prévenu, qui travaille à mi-temps dans un établissement pour personnes âgées en tant qu'aide de service hospitalier et est membre d'un collectif de maraîchage, perçoit environ 1 500 euros par mois.
30. Les juges relèvent que l'intéressé n'amorce aucune critique de ses actes et que la liberté d'expression qu'il revendique se traduit une nouvelle fois par des agissements qui revêtent la nature d'infractions pénales, commises dans un contexte d'affrontements violents.
31. Ils précisent que M. [T] ne doit être sanctionné que pour les faits qui lui sont personnellement imputables, lesquels, pris isolément, sont d'une gravité relative, même si le contexte de leur commission leur confère un degré de gravité supérieur.
32. Ils énoncent que ces faits s'inscrivent dans un parcours judiciaire chargé démontrant un ancrage dans une forme de radicalité inquiétante, en dépit des multiples avertissements et condamnations parfois très lourdes prononcées pour des infractions commises dans un contexte rigoureusement similaire.
33. Ils retiennent en effet que le prévenu a été condamné en France à quatre reprises depuis 2017 à des peines d'amende, de jour-amende et d'emprisonnement avec sursis, notamment pour des faits de participation sans arme à un attroupement après sommation de se disperser par personne dissimulant volontairement son visage, de dégradations en réunion et de rébellion.
34. Les juges ajoutent qu'il a été également condamné en Allemagne à trois ans d'emprisonnement pour atteintes à l'ordre public avec complicité d'incendie, complicité de tentative de coups et blessures et violences envers un agent dans l'exercice de ses fonctions et que le juge de l'application des peines était saisi, au moment des faits, d'un projet de libération conditionnelle concernant le reliquat de cette peine.
35. Ils en déduisent qu'une peine d'emprisonnement ferme est désormais indispensable, toute autre sanction s'avérant inadéquate.
36. Puis, après avoir fixé à six mois d'emprisonnement la peine pour les deux infractions précitées, ils décident que celle-ci s'exécutera sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique.
37. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés aux moyens.
38. En effet, d'une part, elle n'a pas sanctionné l'exercice par le prévenu de sa liberté d'expression, mais a fait ressortir l'absence de lien direct entre les comportements incriminés, soit des atteintes aux biens des forces de l'ordre dans un contexte d'affrontements violents, et l'objet de la contestation.
39. D'autre part, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que l'incrimination du recel et des dégradations constituait une mesure nécessaire dans une société démocratique à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et la prévention du crime ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
40. Enfin, la cour d'appel a pris en compte la gravité des faits, leur contexte, la nature et le nombre des antécédents judiciaires du prévenu ainsi que sa personnalité pour prononcer une peine proportionnée aux buts légitimes poursuivis.
41. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
42. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt-cinq.