LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° R 24-82.036 F-D
N° 00131
GM
5 FÉVRIER 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 FÉVRIER 2025
M. [I] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises de la Guyane, en date du 9 février 2024, qui, pour meurtre en récidive, l'a condamné à vingt ans de réclusion criminelle, une interdiction du territoire français et quinze ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de M. [I] [N], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du 16 mars 2022, le juge d'instruction a ordonné la mise en accusation de M. [I] [N] du chef de meurtre en récidive et son renvoi devant la cour d'assises.
3. Par arrêt du 15 février 2023, cette juridiction a déclaré l'accusé coupable et, faisant application de l'article 122-1, alinéa 2, du code pénal, l'a condamné à vingt ans de réclusion criminelle, une interdiction du territoire français et quinze ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation.
4. L'accusé a relevé appel et le ministère public a formé appel incident.
Examen des moyens
Sur le second moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les conclusions de la défense tendant au renvoi de l'affaire au regard de l'impossibilité où se trouvait M. [N] de suivre l'audience et de se défendre, alors :
« 1°/ qu'en vertu notamment de l'article 6-3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'accusé doit pouvoir exercer à l'audience la plénitude de ses droits comprenant notamment la possibilité de s'entretenir avec son avocat, de comprendre les débats, d'en suivre utilement le cours et de se défendre activement ; qu'en l'état des dernières expertises montrant l'aggravation de l'état cognitif de l'accusé, aphasique, devenu incapable de compréhension suivie et de concentration, la cour d'assises n'a pu légalement rejeter la demande de renvoi en se référant à d'anciennes expertises donnant à penser qu'une communication même réduite pouvait avoir lieu ; qu'en se déterminant ainsi, sans situer l'essentiel de son appréciation au moment où elle a statué, la cour a méconnu les exigences du texte précité ;
2°/ qu'en subordonnant le prononcé d'un renvoi d'audience au constat d'une incapacité absolue de l'accusé de suivre les débats, la cour n'a exercé aucun contrôle effectif de l'intensité et de la portée de l'incapacité d'exercice à l'audience de ses droits par un accusé aphasique, incapable de s'exprimer et dont les difficultés de communication sont constantes et reconnues ; que la simple présence d'un interprète et d'un orthophoniste « ayant mis en place un imagier » ne saurait être regardée comme suffisante en l'absence d'établissement effectif par la cour d'une communication raisonnable et utile durant les audiences ; qu'ainsi, la cour a derechef privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 6-3 de la Convention de sauvegarde précitée. »
Réponse de la Cour
7. Pour rejeter la demande de renvoi présentée pour l'accusé, l'arrêt incident relève que l'expertise neuropsychiatrique déposée le 5 février 2024 établit que l'état cognitif de l'accusé ne lui permet pas de suivre une conversation simple ni a fortiori les tenants et aboutissants d'un procès, que l'expertise psychologique déposée le lendemain conclut que les troubles présentés par M. [N] lui permettent globalement, mais de manière extrêmement limitée, de comparaître devant une cour d'assises et d'en comprendre l'enjeu, que son état de santé est insuffisamment compatible avec les ressources mobilisées lors de l'élaboration d'une défense, ses capacités de compréhension étant limitées à des interactions et données simples.
8. Les juges ajoutent que, cependant, des éléments du dossier et notamment des courriers adressés par l'accusé au juge d'instruction au cours de l'information indiquent que ce dernier est en mesure de fournir un nombre relativement important d'informations en rapport avec la procédure, que, selon l'expert psychologue qui a remis son rapport le 2 décembre 2021, M. [N] a pu s'opposer volontairement à certains actes d'expertise puis retrouver un comportement stable à l'issue de l'examen.
9. Ils retiennent que, dans un rapport du 10 février 2022, un expert orthophoniste a notamment noté une amélioration du recours à la communication non verbale, une certaine fiabilité dans les réponses « oui-non » sur des questions fermées au niveau gestuel, sous réserve de questions basiques.
10. Ils relèvent qu'il résulte d'un bilan neuropsychologique réalisé en juillet 2022 que M. [N] était en capacité de montrer qu'il ne comprenait pas certains mots ou phrases, était en mesure d'exprimer son désir d'être soigné en métropole, et avait pu coopérer à deux des quatre séances d'examen.
11. Ils soulignent que la cour a pris en considération les préconisations formulées par un expert orthophoniste, que l'accusé a pu bénéficier de l'assistance de cet expert, qui a mis en place un imagier pour lui permettre de communiquer plus facilement, mais également de l'assistance de l'interprète en langue anglaise présente depuis le début de la procédure ; qu'ainsi, M. [N] a pu s'exprimer tout au long de l'enquête et de l'instruction mais également devant la cour d'assises, en première instance comme en appel.
12. Ils énoncent en outre que le déroulement des débats a mis en évidence que l'accusé a, en réagissant à des événements d'audience et en s'entretenant avec son avocat hors la présence de l'orthophoniste, manifesté une capacité, même diminuée, à comprendre la teneur et les enjeux de son procès et à y prendre part.
13. Ils en concluent que tant les éléments médicaux, les pièces de la procédure que les débats montrent que l'accusé n'est pas dans l'incapacité absolue d'exercer les droits de sa défense, et que dès lors le renvoi n'est pas justifié.
14. En statuant ainsi, la cour a justifié sa décision.
15. En effet, d'une part, elle a pu écarter les conclusions des expertises réalisées à l'occasion de l'audience, selon lesquelles l'accusé se trouvait dans l'impossibilité de se défendre personnellement, en se référant non seulement à des examens plus anciens, mais encore à ses propres constatations relatives au déroulement des débats devant elle.
16. D'autre part, elle a constaté que les capacités, même diminuées, de l'intéressé, lui permettait d'exercer personnellement les droits de sa défense.
17. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
18. Par ailleurs, la procédure est régulière et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt-cinq.