LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2025
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 128 F-D
Pourvoi n° G 23-22.570
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2025
Mme [X] [B], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 23-22.570 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2023 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Eurl Ambulances Taxis [L], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Ambulances [E] [L], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [B], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Eurl Ambulances Taxis [L], après débats en l'audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 20 septembre 2023), Mme [B] a été engagée en qualité d'ambulancière par M. [L] à compter du 11 janvier 2010.
2. Elle a été en arrêt de travail pour maladie du 16 décembre 2017 au 14 janvier 2018 puis du 27 février au 18 mars 2018.
3. Le 16 mars 2018, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
4. Le 25 mai 2018, invoquant l'existence d'un harcèlement moral et soutenant que la rupture produisait les effets d'un licenciement nul, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.
5. La société Eurl Ambulances Taxis [L] est venue aux droits de M. [L].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
6. La salariée fait grief à l'arrêt de juger que la prise d'acte produit les effets d'une démission, de la débouter de ses demandes et de la condamner à verser à l'employeur une somme à titre d'indemnité compensatrice de préavis, alors :
« 2°/ que lorsque survient un litige en matière de harcèlement moral, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'employeur ayant alors la charge d'établir que les agissements dénoncés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en relevant, pour juger que la rupture du contrat de travail de Mme [X] [B] s'analysait en une démission, qu'elle n'établissait pas que son employeur ne lui adressait plus la parole, qu'elle n'aurait pas été conviée à certaines réunions, qu'elle aurait subi une discrimination lors du versement d'une prime ou qu'elle aurait été dénigrée par son employeur, qu'il n'était pas établi que l'avoir faussement déclaré comme conductrice d'un véhicule en infraction relevait d'une volonté délibérée et que le seul fait d'avoir signé pour elle un constat d'accident sans l'avoir prévenue ''hors de toute intention malveillante'' constituerait un manquement suffisant pour justifier la prise d'acte, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, pris dans leur ensemble, les faits présentés par la salariée ne laissaient pas supposer l'existence d'un harcèlement moral, de nature à justifier sa prise d'acte et si l'employeur justifiait ces faits par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement, la cour d'appel a privé sa décision se base légale au regard de l'article L. 1154-1 du code du travail ;
3°/ que, le juge doit examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement ; qu'en se bornant à retenir, pour rejeter ses prétentions, que Mme [X] [B] n'établissait pas que son employeur ne lui adressait plus la parole, qu'elle n'aurait pas été conviée à certaines réunions, qu'elle aurait subi une discrimination lors du versement d'une prime ou qu'elle aurait été dénigrée par son employeur, qu'il n'était pas établi que l'avoir faussement déclaré comme conductrice d'un véhicule en infraction relevait d'une volonté délibérée et que le seul fait d'avoir signé pour elle un constat d'accident sans l'avoir prévenue ''hors de toute intention malveillante'' constituerait un manquement suffisant pour justifier la prise d'acte, sans examiner le fait, dénoncé par l'exposante, que l'employeur ne l'ait plus fait travailler que des demi-journées à compter de son retour de congé-maladie, en la prévenant au jour le jour de ses horaires, la cour d'appel, qui n'a pas pris en compte l'ensemble des faits présentés par la salariée, a violé l'article L. 1154-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail :
7. Il résulte du premier de ces textes que le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.
8. Il résulte du second de ces textes que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
9. Pour débouter la salariée de ses demandes au titre d'un harcèlement moral et de la rupture du contrat de travail, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que le fait pour l'employeur d'avoir faussement déclaré la salariée comme étant la conductrice d'un véhicule ayant contrevenu à la loi ait procédé d'une volonté délibérée de sa part plutôt que d'une simple interversion dans l'identité de deux conducteurs, que la salariée ne démontrait ni que son employeur ne lui aurait « plus adressé la parole », ni avoir été exclue d'une réunion au mois de décembre 2017, que la prime de fin d'année versée à quatre salariés sur huit de l'entreprise, en l'absence de toute obligation, avait le caractère de libéralité et qu'il n'était pas présenté d'éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination, qu'il n'était produit aucun élément susceptible de laisser supposer que la dégradation de l'état de santé de la salariée trouverait son origine dans le comportement de l'employeur et qu'à lui seul, le fait pour l'employeur d'avoir signé à la place de la salariée sans l'avoir prévenue, par facilité et hors de toute intention malveillante, un constat amiable d'accident automobile ne caractérisait pas un manquement suffisant de l'employeur à ses obligations pour que la rupture produise les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.
10. En statuant ainsi, alors que la salariée invoquait, au titre des éléments laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, notamment le fait que l'employeur ne l'ait plus fait travailler que des demi-journées à compter de son retour de congé pour maladie, en la prévenant au jour le jour de ses horaires, la cour d'appel, qui, d'une part, n'a pas examiné tous les éléments présentés par la salariée, d'autre part, n'a pas apprécié si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, si l'employeur justifiait ses agissements par des éléments étrangers à tout harcèlement, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 septembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la société Eurl Ambulances Taxis [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eurl Ambulances Taxis [L] et la condamne à payer à Mme [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt-cinq.