LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 janvier 2025
Cassation sans renvoi
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 83 F-D
Pourvoi n° Z 23-16.651
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JANVIER 2025
La caisse primaire d'assurance maladie de la Manche, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 23-16.651 contre l'arrêt n° RG : 21/00587 rendu le 6 avril 2023 par la cour d'appel de Caen (2e chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société [3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], ayant un établissement [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lapasset, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [3], et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Lapasset, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 6 avril 2023), la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (la caisse) a pris en charge, au titre du tableau n° 57 des maladies professionnelles, par décision du 21 décembre 2017, l'affection du coude droit déclarée par l'un des salariés (la victime) de la société [3] (l'employeur).
2. L'employeur a contesté l'opposabilité de cette décision devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt de déclarer inopposable à l'employeur la décision litigieuse, alors « que la première constatation médicale de la maladie professionnelle peut se déduire de toute manifestation de nature à révéler l'existence de cette maladie ; qu'elle se déduit en particulier de l'avis favorable du médecin conseil contenu dans le colloque médico-administratif fondé sur un élément médical extrinsèque, sans qu'il ait besoin d'être corroboré ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que dans le colloque médico-administratif, le médecin conseil de la caisse avait fixé la date de première constatation de la maladie au 15 mai 2017 sur la base d'un arrêt de travail établi à cette date ; qu'en jugeant, pour déclarer inopposable à l'employeur la décision de la caisse de prendre en charge la maladie déclarée le 2 octobre 2017, que la cause de cet arrêt de travail n'était ni établie ni certaine, qu'aucun élément de nature médicale ne permettait de déterminer au titre de quelle pathologie cet arrêt avait été prescrit ni de retenir la date du 15 mai 2017 comme constituant la date de première constatation médicale, et enfin que la caisse n'apportait aucun autre élément que la fiche de colloque médico-administratif, sans prendre en considération l'avis favorable du médecin conseil, qui était suffisant, ayant estimé que la première constatation de la maladie du salarié pouvait être fixée à cette date en se fondant sur l'arrêt de travail litigieux, la cour d'appel a violé les articles L. 461-1, L. 461-2 et D. 461-1 du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 461-1, L. 461-2 et D. 461-1-1 du code de la sécurité sociale, et le tableau n° 57 des maladies professionnelles :
4. Il résulte de la combinaison des trois premiers de ces textes que la première constatation médicale de la maladie professionnelle exigée au cours du délai de prise en charge écoulé depuis la fin de l'exposition au risque concerne toute manifestation de nature à révéler l'existence de cette maladie, que la date de la première constatation médicale est celle à laquelle les premières manifestations de la maladie ont été constatées par un médecin avant même que le diagnostic ne soit établi et qu'elle est fixée par le médecin conseil.
5. Pour dire que la caisse n'apporte pas la preuve que la condition du tableau n° 57 relative au délai de prise en charge est remplie, l'arrêt retient que le médecin conseil de la caisse a fixé la date de première constatation médicale au 15 mai 2017, sur la base d'un arrêt de travail qui n'est pas produit, alors que le certificat médical initial mentionnait une date de première constatation au 26 septembre 2017 et que la victime était affectée de deux pathologies (épicondylite droite et épicondylite gauche), rendant la cause de l'arrêt de travail incertaine.
6. En statuant ainsi, sans prendre en considération l'avis du médecin conseil qui fixait au 15 mai 2017 la date de la première constatation médicale de l'affection déclarée du coude droit au vu de l'arrêt de travail prescrit à cette date, de sorte que le délai de prise en charge de la pathologie déclarée n'était pas dépassé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
9. Il ressort de ce qui est dit aux paragraphes 4 et 6 qu'il y a lieu d'infirmer le jugement et de rejeter la demande de l'employeur aux fins d'inopposabilité de la décision litigieuse.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
INFIRME le jugement du 20 janvier 2021 du tribunal judiciaire de Coutances ;
DÉBOUTE la société [3] de sa demande aux fins d'inopposabilité de la décision du 21 décembre 2017 de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche de prise en charge, au titre du tableau n° 57 des maladies professionnelles, de l'affection du coude droit de M. [T] ;
Condamne la société [3] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Caen ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [3] et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche la somme de 1 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente janvier deux mille vingt-cinq.