LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 9 F-D
Pourvoi n° N 23-19.653
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 15 JANVIER 2025
1°/ L'Unedic (délégation AGS), association, dont le siège est [Adresse 5], agissant en la personne de son représentant légal, domicilié au centre de gestion et d'étude AGS (CGEA Ile-de-France Ouest),
2°/ l'AGS, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° N 23-19.653 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige les opposant :
1°/ à la société BTSG, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [J] [S], prise en qualité de co-liquidateur de la société Alvance Foundry Poitou,
2°/ à la société MJA, société anonyme d'exercice libéral, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de Mme [K] [B], prise en qualité de co-liquidateur de la société Alvance Foundry Poitou,
3°/ à la société Alvance Foundry Poitou, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ à la société [U], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 6], en la personne de M. [R] [U], prise en qualité de mandataire ad hoc de la société Alvance Foundry Poitou,
5°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, service financier et commercial, [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gouarin, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'Unedic (délégation AGS), ès qualités, et de l'AGS, de la SCP Boucard-Capron-Maman, avocat des sociétés BTSG, ès qualités, et MJA, ès qualités, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Gouarin, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la délégation Unédic AGS (l'AGS) et à l'Association de garantie des salaires (l'AGS) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société [U], en sa qualité de mandataire ad hoc de la société Alvance Foundry Poitou.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 juillet 2023), les 23 avril et 23 juillet 2021, la société Alvance Foundry Poitou a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la société BTSG, devenue la société BTSG², et la société MJA étant désignées liquidateurs.
3. La délégation Unédic AGS (l'AGS) ayant avancé aux salariés différentes rémunérations couvertes par le privilège édicté aux articles L. 3253-2 et L. 3253-4 du code de travail (le superprivilège), le juge-commissaire a ordonné aux liquidateurs de payer à l'AGS, à titre provisionnel, une somme correspondant pour partie à ces avances.
4. L'AGS a contesté le caractère provisionnel du paiement et demandé le règlement de la totalité de sa créance couverte par le superprivilège.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. L'AGS fait grief à l'arrêt d'ordonner à son profit un paiement à caractère provisionnel et de rejeter sa demande en paiement de sa créance superprivilégiée, alors « que les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 du code du travail sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ; que nonobstant l'existence de toute autre créance, les créances que garantit le privilège établi aux articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail doivent, sur ordonnance du juge-commissaire, être payées dans les dix jours du prononcé du jugement ouvrant la procédure par le débiteur ou, lorsqu'il a une mission d'assistance, par l'administrateur, si le débiteur ou l'administrateur dispose des fonds nécessaires ; que toutefois, avant tout établissement du montant de ces créances, le débiteur ou l'administrateur s'il a une mission d'assistance doit, avec l'autorisation du juge-commissaire et dans la mesure des fonds disponibles, verser immédiatement aux salariés, à titre provisionnel, une somme égale à un mois de salaire impayé, sur la base du dernier bulletin de salaire, et sans pouvoir dépasser le plafond visé à l'article L. 143-10 du code du travail ; qu'à défaut de disponibilités, les sommes dues en vertu des deux règles précitées doivent être acquittées sur les premières rentrées de fonds ; qu'en jugeant que "le paiement immédiat de la créance salariale est un droit exclusivement attaché à la personne du salarié. En effet, le paiement rapide des salaires étant indispensable à sa survie, revêt un caractère alimentaire" et qu'il "s'ensuit que l'UNEDIC AGS, malgré la subrogation dont elle bénéficie, ne peut, en procédure de liquidation judiciaire, obtenir le paiement immédiat de sa créance, avant la répartition des fonds entre les différents créanciers, selon leur rang, sauf dans l'hypothèse où le juge-commissaire autorise un versement en application de l'article L. 643-3 du code de commerce" (arrêt, p. 7), la cour d'appel a violé l'article L. 3253-16 du code du travail, ensemble l'article L. 625-8 du code de commerce et l'article 1346-4 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 625-8 du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-14, alinéa 1er, du même code et l'article L. 3253-16, 2° du code du travail :
6. Selon le premier de ces textes, nonobstant l'existence de toute autre créance, les créances que garantit le privilège établi aux articles L. 143-10 [L. 3253-2 et L. 3253-3], L. 143-11 [L. 3253-4], L. 742-6 et L. 751-15 [L. 7313-8] du code du travail doivent, sur ordonnance du juge-commissaire, être payées dans les dix jours du prononcé du jugement ouvrant la procédure par le débiteur ou, lorsqu'il a une mission d'assistance, par l'administrateur, si le débiteur ou l'administrateur dispose des fonds nécessaires et, qu'à défaut de disponibilités, ces sommes doivent être acquittées sur les premières rentrées de fonds.
7. Il résulte du troisième de ces textes que les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 du code du travail sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8, et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8 du même code, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
8. Il s'en déduit que la subrogation, dont bénéficient les institutions de garantie, a pour effet de les investir de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir et que le superprivilège garantissant le paiement de leurs créances, lequel n'est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l' AGS qui bénéficie ainsi du droit à recevoir un paiement qui, effectué sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective et hors le classement des différentes créances sujettes à admission, ne constitue pas un paiement à titre provisionnel opéré sur le fondement de l'article L. 643-3, alinéa 1er, du code de commerce.
9. Pour ordonner un paiement provisionnel au profit de l'AGS au titre de sa créance superprivilégiée et rejeter la demande de cette dernière tendant au paiement immédiat de la totalité de cette créance, l'arrêt retient que si l'article L. 3253-14 du code du travail ne prévoit aucune limitation des effets de la subrogation accordée à cette institution de garantie par les dispositions de l'article L. 3253-16 de ce code, le paiement de la créance salariale est un droit exclusivement attaché à la personne du salarié et que l'AGS, en dépit de la subrogation dont elle bénéficie, ne peut, en liquidation judiciaire, obtenir le paiement immédiat de sa créance avant la répartition des fonds entre les différents créanciers selon leur rang, sauf dans l'hypothèse où le juge-commissaire autorise un versement provisionnel en application de l'article L. 643-3 du code de commerce.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de l'Unedic, délégation AGS et AGS tendant à ce que les liquidateurs de la société Alvance Foundry Poitou soient autorisés à lui payer la somme de 2 369 244,78 euros au titre de sa créance superprivilégiée, l'arrêt rendu le 6 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société BTSG², et la société MJA, en leur qualité de liquidateurs de la société Alvance Foundry Poitou, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du quinze janvier deux mille vingt-cinq et signé par Mme Schmidt, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau président, empêché, le conseiller rapporteur et le greffier conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.