LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 janvier 2025
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 17 F-B
Pourvoi n° A 23-15.410
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JANVIER 2025
M. [P] [G], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 23-15.410 contre l'arrêt rendu le 9 mars 2023 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre civile), dans le litige l'opposant à la compagnie IBM France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bérard, conseiller, les observations écrites de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [G], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la compagnie IBM France, après débats en l'audience publique du 27 novembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bérard, conseiller rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 mars 2023), M. [G] a été engagé en qualité d'agent administratif, le 19 décembre 1974, par la société IBM France (la société). Il occupait un poste de chef de département au dernier temps de la relation de travail.
2. Il a été reconnu travailleur handicapé en 2010.
3. Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 17 janvier 2017 et a perçu une indemnité conventionnelle de licenciement telle que fixée par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 27 avril 1973 applicable à la relation de travail.
4. Soutenant avoir subi un harcèlement moral, ainsi qu'une discrimination à raison de son handicap résultant du manquement de l'employeur à son obligation d'adaptabilité et invoquant l'inopposabilité, à raison de son caractère discriminatoire, des dispositions de la convention collective prévoyant une minoration du montant de l'indemnité de licenciement à compter de l'âge de 61 ans, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 15 février 2018, afin de condamner la société à lui verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts en réparation d'un harcèlement moral et subsidiairement d'une exécution de mauvaise foi du contrat de travail, ainsi que d'une discrimination et d'un manquement à l'obligation d'adaptabilité, et à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le troisième moyen, pris en sa première branche,
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre d'une discrimination et d'un manquement à l'obligation d'adaptabilité, alors « que lorsque le salarié handicapé présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination en raison d'un manquement de l'employeur à son obligation de prendre les mesures appropriées pour lui permettre de conserver son emploi, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un tel manquement et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur d'établir qu'il a pris toutes les mesures appropriées pour répondre au besoin d'aménagement du travailleur handicapé ou, dans le cas contraire, de justifier en quoi ces mesures représentaient pour lui une charge disproportionnée ; qu'en l'espèce, pour débouter le salarié de sa demande, la cour d'appel a retenu qu'il ne se déduit pas des éléments mis en avant par le salarié au soutien de son argumentation que la compagnie IBM France a manqué à son obligation d'adaptabilité et que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation d'adaptabilité, les mesures prises étant justifiées, nécessaires et appropriées au handicap du salarié, qui les a d'ailleurs réclamées ; qu'en statuant ainsi, sans avoir d'abord dit si les différents éléments présentés par le salarié, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l'existence d'un manquement de l'employeur à son obligation d'adapter le poste de travail à son handicap et la discrimination invoquée, la cour d'appel a violé l'article L. 1132-1 dans sa rédaction applicable en la cause, les articles L. 1133-3 et L. 1134-1, ainsi que l'article L. 5213-6 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article L. 5213-6 du code du travail, afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour leur permettre d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, que ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en oeuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur, et que le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3 du code du travail.
8. Le juge, saisi d'une action au titre de la discrimination en raison du handicap, doit, en premier lieu, rechercher si le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'une telle discrimination, tels que le refus, même implicite, de l'employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d'aménagements raisonnables, le cas échéant sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail ou le comité social et économique en application des dispositions des articles L. 1226-10 et L. 2312-9 du code du travail, ou son refus d'accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d'aide à l'emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures. Il appartient, en second lieu, au juge de rechercher si l'employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l'impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l'entreprise des charges consécutives à leur mise en oeuvre.
9. L'arrêt constate que l'employeur avait constamment adapté le poste de travail du salarié en considération des prescriptions du médecin du travail et n'avait pas manqué à son obligation d'adaptabilité en raison du handicap du salarié, lequel a bénéficié d'un suivi tous les deux mois de sa situation par le médecin du travail, de sorte que le salarié ne présentait pas d'éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination à raison du handicap.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
11. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de paiement de reliquat d'indemnité de licenciement, alors « que la différence de traitement fondée sur l'âge ne constitue pas une discrimination à condition qu'elle soit objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires ; qu'en l'espèce, pour retenir que la minoration du montant de l'indemnité de licenciement pour les ingénieurs et cadres âgés de plus de 60 ans prévue par l'article 29 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie n'était pas discriminatoire, la cour d'appel a relevé que "l'employeur explique que cette stipulation avait pour finalité d'inciter le départ des salariés ayant atteint l'âge de la retraite pour favoriser le partage du travail entre les générations et l'insertion professionnelle de jeunes travailleurs, cet objectif étant légitime ainsi que l'a reconnu la Cour de justice. Par ailleurs, au regard du contrôle de proportionnalité, il est constant que ces dispositions sont appropriées car les travailleurs, malgré leur âge, bénéficient d'une couverture économique qui n'est pas déraisonnable au regard de la finalité recherchée de politique de l'emploi et que le mode de calcul n'est pas manifestement inapproprié pour atteindre cet objectif" ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs généraux économiques et démographiques impropres à établir le caractère légitime de la minoration de l'indemnité de licenciement en raison de l'âge, sans rechercher si l'objectif de partage du travail entre les générations et l'insertion professionnelle de jeunes travailleurs était étayé par des éléments précis et concrets, ni si la minoration de l'indemnité de licenciement était nécessaire pour l'atteindre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1133-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
12. L'article L. 1133-2 du code du travail, interprété à la lumière de l'article 6 de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, autorise des différences de traitement en considération de l'âge des salariés, dès lors qu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime et que les moyens mis en oeuvre pour réaliser ce but sont appropriés et nécessaires.
13. Par arrêt du 6 décembre 2012, rendu à propos d'un plan social adopté par accord collectif entre l'employeur et le comité d'entreprise, (CJUE, 6 décembre 2012, Baxter, aff. C-152/11), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit : « Les articles 2, paragraphe 2, et 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation relevant d'un régime de prévoyance sociale propre à une entreprise qui prévoit, pour les travailleurs de celle-ci âgés de plus de 54 ans et faisant l'objet d'un licenciement pour motif économique, que le montant de l'indemnité à laquelle ils ont droit est calculé en fonction de la première date possible de départ à la retraite, contrairement à la méthode standard de calcul, selon laquelle une telle indemnité est fondée notamment sur l'ancienneté dans l'entreprise, de sorte que l'indemnité versée est inférieure à l'indemnité résultant de l'application de cette méthode standard tout en étant au moins égale à la moitié de cette dernière. »
14. Elle a précisé, dans les motifs de sa décision, qu'une différenciation fondée sur l'âge des indemnités versées au titre d'un plan de prévoyance sociale poursuivrait un objectif fondé sur la constatation selon laquelle, puisqu'il s'agit de désavantages économiques pour l'avenir, certains salariés qui ne seront pas confrontés à de tels désavantages résultant de la perte de leur emploi, ou qui n'y seront confrontés que de manière atténuée par rapport à d'autres, peuvent de manière générale être exclus de ces droits (point 40), et que, s'agissant du caractère approprié des dispositions en cause, il y a lieu de relever que la réduction du montant de l'indemnité de licenciement octroyée aux travailleurs qui, à la date de leur licenciement, bénéficient d'une couverture économique n'apparaît pas déraisonnable au regard de la finalité de tels plans sociaux, consistant à apporter une protection plus importante aux travailleurs pour lesquels la transition vers un nouvel emploi s'avère délicate en raison de leurs moyens financiers limités (point 48).
15. Elle a indiqué enfin qu'il convient de relever que la disposition litigieuse est le fruit d'un accord négocié entre les représentants des employés et ceux des employeurs qui ont ainsi exercé leur droit de négociation collective reconnu en tant que droit fondamental, que le fait de laisser ainsi aux partenaires sociaux le soin de définir un équilibre entre leurs intérêts respectifs offre une flexibilité non négligeable, chacune des parties pouvant, le cas échéant, dénoncer l'accord (point 53).
16. En l'espèce, l'arrêt énonce que l'article 29 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 27 avril 1973 prévoit une indemnité conventionnelle de licenciement minorée d'un pourcentage de 5% si l'intéressé est âgé de 61 ans, de 10 % s'il est âgé de 62 ans, 20 % s'il est âgé de 63 ans et 40 % s'il est âgé de 64 ans, la minoration ne pouvant aboutir à porter l'indemnité conventionnelle de licenciement à un montant inférieur à celui de l'indemnité légale de licenciement.
17. L'arrêt retient que cette minoration de l'indemnité conventionnelle de licenciement ne vaut qu'à partir de 61 ans à un moment où l'âge de départ à la retraite à taux plein était fixé à 60 ans, qu'elle poursuit un objectif légitime en ce qu'elle a pour finalité d'inciter au départ les salariés ayant atteint l'âge de la retraite pour favoriser le partage du travail entre les générations et l'insertion des jeunes travailleurs et que, au regard du contrôle de proportionnalité, les dispositions en cause sont appropriées car les travailleurs, malgré leur âge, bénéficient d'une couverture économique qui n'est pas déraisonnable au regard de la finalité recherchée de politique de l'emploi et que le mode de calcul n'est pas manifestement inapproprié pour atteindre cet objectif.
18. La cour d'appel a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, que les dispositions conventionnelles étaient appropriées et nécessaires et ne constituaient pas une discrimination à raison de l'âge.
19. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt-cinq.