LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 janvier 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 15 F-D
Pourvoi n° K 23-19.996
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JANVIER 2025
La société Dassault systèmes, société européenne, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société EuroXa, a formé le pourvoi n° K 23-19.996 contre l'arrêt rendu le 25 mai 2023 par la cour d'appel de Versailles (21e Chambre), dans le litige l'opposant à M. [I] [M], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
M. [M] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations écrites de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Dassault systèmes, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [M], après débats en l'audience publique du 27 novembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ott, conseiller rapporteur, Mme Bérard, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 mai 2023), M. [M] a été engagé en qualité de Senior sales executive, statut cadre, à compter du 4 février 2013 par la société EuroXa, aux droits de laquelle vient désormais la société Dassault systèmes (la société). Il exerçait les fonctions de responsable des ventes pour l'Europe de l'Ouest.
2. Il a été convoqué le 8 juin 2017 à un entretien préalable en vue d'un licenciement et mis à pied à titre conservatoire, puis il a été licencié pour faute grave le 28 juin 2017.
3. Invoquant notamment un harcèlement moral et un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité, il a saisi, le 11 septembre 2017, la juridiction prud'homale en demandant de dire son licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, et a sollicité le paiement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens du pourvoi principal
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter ses prétentions en indemnisation d'un harcèlement moral et d'un manquement de l'employeur à son obligation préventive de sécurité, alors « que méconnaît son obligation de sécurité l'employeur qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, n'a pas pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ; qu'en subordonnant cette obligation à la désignation par le salarié des faits qu'il dénonce sous la qualification juridique de harcèlement moral, la cour d'appel a de nouveau violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1152-4, L. 4121-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, et l'article L. 4121-2 du code du travail :
6. D'une part, il résulte de ces textes que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
7. D'autre part, l'obligation de prévention des risques professionnels et du harcèlement moral, qui résulte de ces textes, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.
8. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d'un manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que le salarié n'avait jamais qualifié les faits dénoncés de harcèlement moral de sorte que l'employeur n'avait nullement l'obligation de le prévenir et que, n'ayant d'autres moyens en la cause, force est de constater que l'employeur n'a pas manqué à son obligation de sécurité.
9. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser le respect par l'employeur de son obligation de sécurité, alors qu'elle avait constaté d'une part que le salarié avait provoqué le 25 novembre 2016 un entretien avec son supérieur en second pour expliquer ses difficultés à travailler avec son supérieur direct, avait alerté son supérieur en second par un courriel du 30 mai 2017 faisant état de son sentiment de rejet, de découragement et d'anxiété induisant un mal-être dans son travail tous les jours issu du comportement de son supérieur et de reproches d'une attitude agressive puis, par un courriel du 2 juin 2017, le salarié avait fait état d'un acharnement se poursuivant à son égard, peu important que le salarié n'ait pas qualifié dans ses courriels de harcèlement moral les faits sur lesquels il alertait son employeur, et alors qu'elle avait constaté d'autre part que l'employeur, pour toute réaction, avait convoqué le 8 juin 2017 le salarié à un entretien préalable en vue d'un licenciement pour faute grave, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d'un manquement à l'obligation de sécurité n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt rejetant sa demande de dommages-intérêts au titre d'un harcèlement moral qui n'est pas susceptible d'être atteint par les critiques du moyen du pourvoi incident.
11. La cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d'un manquement à l'obligation de sécurité n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [M] de sa demande en condamnation de la société Dassault systèmes à lui payer la somme de 42 075,28 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 25 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Dassault systèmes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Dassault systèmes et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt-cinq.