LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 janvier 2025
Cassation partielle sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 12 FS-B
Pourvoi n° K 23-11.417
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JANVIER 2025
Mme [X] [J], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 23-11.417 contre l'arrêt rendu le 24 novembre 2022 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'Unedic délégation AGS CGEA [Localité 5], dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à Mme [G] [U], domiciliée [Adresse 1], prise en qualité de liquidateur de la société CL services,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Panetta, conseiller, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [J], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'Unedic délégation AGS CGEA Rouen, et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Panetta, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Barincou, Seguy, Mmes Douxami, Brinet, conseillers, Mme Prieur, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 24 novembre 2022), Mme [J] a été engagée en qualité d'assistante polyvalente à compter du 11 mai 2009 par la société CL services (la société). En dernier lieu, elle exerçait les fonctions de responsable d'agence.
2. Par jugement du 26 février 2019, un tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société CL services.
3. Le 4 mars 2019, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et en fixation au passif de la société de sommes au titre de l'exécution et de la rupture de ce contrat.
4. La liquidation judiciaire de la société a été prononcée le 14 mai 2019. Mme [U], désignée en qualité de liquidateur, a notifié à la salariée son licenciement pour motif économique le 27 mai 2019.
5. Par jugement du 21 juillet 2020, le conseil de prud'hommes a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, prenant effet à la date du licenciement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
6. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que la garantie de l'AGS CGEA de [Localité 5] ne porte pas sur les créances résultant de la rupture du contrat de travail, à savoir l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents, l'indemnité légale de licenciement, les dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 2°/ qu'aux termes de l'article L. 3253 8, 2° du code du travail, l'assurance des salariés contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation ; que cette disposition, comme la directive 2008/94/CE du 22 octobre 2008 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, ne limitent pas l'obligation de paiement des institutions de garantie aux seules ruptures résultant de l'initiative de l'administrateur judiciaire ou du mandataire liquidateur ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 3253 8, 2° du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur, tel qu'interprété à la lumière de la directive 2008/94/CE ;
3°/ que la Cour de justice de l'Union européenne juge que la faculté reconnue au droit national, par la directive 2008/94/CE du 22 octobre 2008 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, de préciser les prestations à la charge de l'institution de garantie est soumise aux exigences découlant du principe général d'égalité et de nondiscrimination qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée ; que pour exclure de la garantie de l'AGS les créances résultant de la rupture, l'arrêt retient que les créances résultant de la rupture du contrat de travail visées par l'article L. 3253-8 2° du code du travail s'entendent d'une rupture à l'initiative de l'administrateur judiciaire ou du mandataire liquidateur et que tel n'est pas le cas de la résiliation judiciaire sollicitée devant la juridiction prud'homale à l'initiative du salarié, ce peu important qu'un licenciement ait été notifié ultérieurement dans le délai de garantie de l'article L. 3253-8 du code du travail ou que la rupture du contrat de travail ait été effective dans ce même délai ; qu'en statuant ainsi, cependant que le salarié qui demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et dont la rupture intervient, antérieurement au prononcé de la résiliation, à l'initiative du liquidateur judiciaire dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation se trouve dans une situation identique à celle d'un salarié qui ne demande pas la résiliation judiciaire de son contrat de travail dont la rupture intervient à l'initiative du liquidateur judiciaire dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation, dans la mesure où dans les deux cas, le juge peut condamner l'employeur au paiement d'indemnités de rupture et d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou pour licenciement nul, la cour d'appel a violé le principe général d'égalité et de non-discrimination. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3253-6 et L. 3253-8 2° du code du travail, interprétés à la lumière de l'article 3 de la Directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur :
7. Aux termes de l'article L. 3253-6 du code du travail, tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l'étranger ou expatriés mentionnés à l'article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation.
8. Selon l'article L. 3253-8 2° du code du travail, l'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 couvre les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :
a) Pendant la période d'observation ;
b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;
c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
d) Pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité.
9. La Cour de cassation a jugé que les créances résultant de la rupture du contrat de travail visées par l'article L. 3253-8, 2°, du code du travail, s'entendent d'une rupture à l'initiative de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur de sorte que les indemnités dues au salarié à la suite de la prise d'acte de la rupture contrat de travail aux torts de l'employeur ne sont pas garanties par l'AGS (Soc., 20 décembre 2017, pourvoi n° 16-19.517, Bull. 2017, V, n° 221, voir également Soc., 19 avril 2023, pourvoi n° 21-20.651) ou à la suite d'une résiliation judiciaire aux torts de l'employeur (Soc., 14 juin 2023, pourvoi n° 20-18.397).
10. Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 22 février 2024 (CJUE, 22 février 2024, Association Unédic délégation AGS de [Localité 4], aff. C-125/23), a dit pour droit que la directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit la couverture des créances impayées des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail par le régime national assurant le paiement des créances des travailleurs salariés par une institution de garantie, établi conformément à l'article 3 de cette directive, lorsque la rupture du contrat de travail est à l'initiative de l'administrateur judiciaire, du mandataire liquidateur ou de l'employeur concerné, mais exclut la couverture de telles créances par cette institution de garantie lorsque le travailleur en cause a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et une juridiction nationale a jugé cette prise d'acte comme étant justifiée.
11. La Cour de justice de l'Union européenne a relevé que la différence de traitement résultant de l'article L. 3253-8, 2°, du code du travail, tel qu'interprété par la Cour de cassation, selon que l'auteur de la rupture du contrat de travail est ou non le salarié, outre le fait que la cessation du contrat de travail par une prise d'acte de la rupture de ce contrat par un travailleur ne saurait être regardée comme résultant de la volonté de ce travailleur dans le cas où elle est, en réalité, la conséquence des manquements de l'employeur, ne peut être justifiée pour les besoins de la poursuite de l'activité de l'entreprise, du maintien de l'emploi et de l'apurement du passif, lesdits besoins ne pouvant occulter la finalité sociale de la directive 2008/94 (points 49 et 50).
12. Elle a précisé que cette finalité sociale consiste, ainsi qu'il ressort de l'article 1er, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec le considérant 3 de celle-ci, à garantir à tous les travailleurs salariés un minimum de protection au niveau de l'Union en cas d'insolvabilité de l'employeur par le paiement des créances impayées résultant de contrats ou de relations de travail (point 51).
13. Ces principes sont applicables à la résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée par la juridiction prud'homale en raison des manquements de l'employeur.
14. Il en résulte qu'il y a lieu de juger désormais que l'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 du code du travail couvre les créances impayées résultant de la rupture d'un contrat de travail, lorsque le salarié obtient la résiliation judiciaire de celui-ci en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat et que la rupture intervient pendant l'une des périodes visées à l'article L. 3253-8 2° du même code.
15. Pour exclure de la garantie de l'AGS CGEA de [Localité 5] les sommes allouées à la salariée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité légale de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'au sens de l'article L. 3253-8 2° du code du travail, les créances résultant de la rupture du contrat de travail s'entendent d'une rupture à l'initiative de l'administrateur ou du liquidateur judiciaire et que tel n'est pas le cas de la résiliation judiciaire sollicitée devant la juridiction prud'homale à l'initiative du salarié.
16. Il ajoute qu'il ne peut être soutenu que la garantie est due en cas de rupture intervenue dans le délai de 15 jours de la liquidation judiciaire à l'initiative du liquidateur judiciaire et de résiliation judiciaire prenant rétroactivement effet à cette date, la demande de résiliation judiciaire étant antérieure et ses effets reculés à la date du licenciement lorsque celui-ci est prononcé.
17. En statuant ainsi, alors que la rupture du contrat de travail avait pris effet à la date du licenciement notifié par le liquidateur dans le délai de quinze jours suivant le jugement de liquidation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
18. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
19. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
20. Il convient de dire que l'Unédic AGS CGEA de [Localité 5] garantit les créances d'indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 3 888,24 euros, de congés payés afférents d'un montant de 388,82 euros, d'indemnité légale de licenciement d'un montant de 4 730,87 euros et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 19 441,12 euros.
21. La cassation du chef de dispositif disant que la garantie de l'AGS CGEA de [Localité 5] ne porte pas sur les créances résultant de la rupture du contrat de travail n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la salariée aux dépens ainsi que rejetant le paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la garantie de l'AGS CGEA de Rouen ne porte pas sur les créances résultant de la rupture du contrat de travail, à savoir l'indemnité compensatrice de préavis (3 888,24 euros), les congés payés afférents (388,82 euros), l'indemnité légale de licenciement (4 730,87 euros), les dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse (19 441,12 euros), l'arrêt rendu le 24 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 5] doit garantir les créances d'indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 3 888,24 euros, de congés payés afférents d'un montant de 388,82 euros, d'indemnité légale de licenciement d'un montant de 4 730,87 euros et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 19 441,12 euros ;
Condamne l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 5] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 5] et la condamne à payer à Mme [J] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt-cinq.