LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 décembre 2024
Cassation partielle
sans renvoi
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1211 F-D
Pourvoi n° Z 22-14.623
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 DÉCEMBRE 2024
M. [A] [Z], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 22-14.623 contre l'arrêt rendu le 8 février 2022 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Rhône Alpes Auvergne (Groupama Rhône Alpes Auvergne), caisse de réassurances mutuelles agricoles, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à M. [X] [Z], domicilié [Adresse 5],
3°/ à Mme [C] [E], domiciliée [Adresse 6],
4°/ à M. [F] [N] [R], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [A] [Z], de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Rhône Alpes Auvergne (Groupama Rhône Alpes Auvergne), et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 8 février 2022), le 25 avril 2011, [W] [Z] a été victime d'un accident de la circulation survenu alors qu'il était passager d'un véhicule assuré par la société Groupama Rhône Alpes Auvergne (la société Groupama). Il est décédé des suites de ses blessures le [Date décès 3] 2012.
2. La société Groupama, assignée en indemnisation de leurs préjudices par Mme [E], M. [X] [Z] et M. [N] [R], héritiers de [W] [Z], a, par conclusions du 8 septembre 2016, formé contre ceux-ci une demande reconventionnelle tendant à la restitution d'une partie de la provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice corporel de [W] [Z], qui lui avait été versée le 7 mars 2012.
3. Le 10 mai 2017, la société Groupama a formé la même demande contre M. [A] [Z], père de [W] [Z].
4. Les deux instances ont été jointes.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
6. La première chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, après débats à l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Lion, conseiller rapporteur, et Mme Layemar, greffier de chambre.
Enoncé du moyen
7. M. [A] [Z] fait grief à l'arrêt de dire que les conclusions de la société Groupama ne sont pas prescrites et, en conséquence, de le condamner, in solidum avec M. [X] [Z], Mme [E] et M. [N] [R], à payer à la société Groupama la somme de 89 700 euros, alors :
« 1°/ que la demande en justice n'interrompt la prescription qu'à l'encontre de ceux contre lesquels elle est formée et leurs codébiteurs solidaires ; que les héritiers ne sont pas tenus solidairement des dettes du de cujus ; qu'en l'espèce, M. [A] [Z] faisait valoir qu'il n'avait été attrait à la procédure par la société Groupama que par assignation du 10 mai 2017, soit plus de cinq années après le versement des provisions dont le remboursement était sollicité, intervenu le 7 mars 2012, de sorte que la prescription était acquise à son profit ; qu'en se fondant, pour écarter toute prescription, sur la circonstance que la société Groupama avait formulé sa demande de restitution dans des conclusions notifiées le 8 septembre 2016, quand ces conclusions n'étaient pas dirigées contre M. [A] [Z], alors tiers à la procédure, la cour d'appel a violé les articles 2241 et 2245 du code civil ;
2°/ que la demande en justice n'interrompt la prescription qu'à l'encontre de ceux contre lesquels elle est formée et leurs codébiteurs solidaires ; que les héritiers ne sont pas tenus solidairement des dettes du de cujus ; qu'en condamnant M. [A] [Z], in solidum avec les autres héritiers de [W] [Z], à rembourser les provisions versées sans cause à ce dernier, la cour d'appel a violé les articles 873 et 2245 du code civil, ensemble l'article 1220 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte des articles 1235 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 2224 du même code que la prescription quinquennale de l'action en répétition de l'indu court à compter de la date à laquelle le titulaire de l'action a connu ou aurait dû connaître le caractère indu du paiement.
9. L'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la société Groupama a, le 7 mars 2012, versé à [W] [Z] une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel, comprenant l'indemnisation de préjudices permanents qu'il n'y avait pas lieu d'indemniser, son décès étant survenu avant toute consolidation de son état, et que seuls pouvaient être indemnisés des préjudices temporaires d'une durée fixée par la date du décès, soit 17 mois.
10. Il en résulte que la part de provision excédant l'indemnisation de préjudices temporaires calculés sur une durée de 17 mois n'est devenue indue qu'au décès de [W] [Z], survenu le [Date décès 3] 2012, de sorte que le délai de prescription de cinq ans n'a pu courir avant cette date et que la demande de restitution de cette part formée par la société Groupama contre M. [A] [Z] le 10 mai 2017 n'était pas atteinte par la prescription.
11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.
12. Par conséquent, le moyen ne peut être accueilli.
Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche
13. La première chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, après débats à l'audience publique du 11 juin 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Lion, conseiller rapporteur, et Mme Layemar, greffier de chambre.
Enoncé du moyen
14. M. [A] [Z] fait grief à l'arrêt de le condamner, in solidum avec M. [X] [Z], Mme [E] et M. [N] [R], à payer à la société Groupama la somme de 89 700 euros, alors « que les héritiers ne sont pas tenus solidairement des dettes du de cujus ; qu'en condamnant M. [A] [Z] in solidum avec les autres héritiers de [W] [Z] à rembourser les provisions versées sans cause à ce dernier, la cour d'appel a violé les articles 873 et 1220 du code civil, le second dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
15. La société Groupama conteste la recevabilité du moyen, comme étant nouveau.
16. Cependant, le moyen ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.
17. Le moyen, de pur droit, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 873 du code civil et l'article 1220 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
18. Les dettes d'une succession se divisent entre les héritiers qui n'en sont tenus personnellement qu'au prorata de leurs droits respectifs.
19. En prononçant contre les héritiers de [W] [Z] une condamnation in solidum au paiement de la somme due à la société Groupama au titre de provisions indûment versées à ce dernier, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
20. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
21. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
22. La cassation prononcée ne remet en cause ni le principe ni le quantum de la créance de la société Groupama mais seulement l'obligation in solidum des débiteurs.
23. En application de l'article 873 du code civil et de l'article 1220 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la condamnation de Mme [E], M. [X] [Z], M. [N] [R] et M. [T] [Z] à payer à la société Groupama la somme de 89 700 euros doit être prononcée au prorata de leurs droits respectifs dans la succession.
24. La cassation du chef de dispositif condamnant in solidum Mme [E], M. [X] [Z], M. [N] [R] et M. [T] [Z] à payer à la société Groupama la somme de 89 700 euros n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt les condamnant in solidum aux dépens d'appel et disant n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum Mme [E], M. [X] [Z], M. [N] [R] et M. [T] [Z] à payer à la société Groupama la somme de 89 700 euros, l'arrêt rendu le 8 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne Mme [E], M. [X] [Z], M. [N] [R] et M. [A] [Z] à payer à la société Groupama la somme de 89 700 euros, au prorata de leurs droits respectifs dans la succession ;
Condamne la société Groupama Rhône Alpes Auvergne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille vingt-quatre.