LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 11 décembre 2024
Cassation partielle partiellement sans renvoi
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1281 F-B
Pourvoi n° X 23-10.439
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
Mme [W] [R], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° X 23-10.439 contre l'arrêt rendu le 21 octobre 2022 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [K] [J] [X], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [I] [J]-[X], en qualité de liquidateur de la société Socopre,
2°/ à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 3], dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat de Mme [R], de la SCP Boucard-Maman, avocat de la société [K] [J] [X] ès qualités, après débats en l'audience publique du 14 novembre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Bérard, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 21 octobre 2022), Mme [R] a été engagée en qualité de manageur polyvalent avec reprise d'ancienneté au 1er novembre 2001 par la société Socopre (la société). Elle a été élue déléguée du personnel le 23 juillet 2015.
2. Par jugement du 10 janvier 2017, le tribunal mixte de commerce de Fort de France a prononcé la liquidation judiciaire de la société et a désigné la société [K] [J]-[X], prise en la personne de M. [J]-[X], en qualité de liquidateur judiciaire.
3. A la demande de ce dernier, l'inspecteur du travail a autorisé, le 12 avril 2017, le licenciement de la salariée, qui a été licenciée pour motif économique le 18 avril 2017. Par jugement définitif du 15 février 2018, le tribunal administratif de la Martinique a annulé l'autorisation de licenciement.
4. Par requête reçue le 15 avril 2019, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à fixer au passif de la liquidation de la société notamment une somme à titre de complément de salaire pour la période du 20 avril 2017 au 20 avril 2018, fondée sur l'article L. 2422-4 du code du travail.
5. L'AGS CGEA et le liquidateur judiciaire ont soulevé la prescription de la demande.
Examen des moyens
Sur les deuxième et troisième moyens
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui, pour le deuxième moyen, est irrecevable et, pour le troisième moyen, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. La salariée fait grief à l'arrêt de dire prescrite sa demande tendant à ce que soit fixée sa créance au passif de la société Socopre à une certaine somme à titre de complément de salaire pour la période du 20 avril 2017 au 20 avril 2018, alors « que lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation du licenciement d'un salarié protégé est devenue définitive, le salarié protégé peut, à son choix, soit solliciter sa réintégration dans le délai de deux mois à compter du jour où la décision d'annulation est devenue définitive, soit demander le paiement d'une indemnité spéciale réparant la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre le licenciement et l'expiration du délai pour demander la réintégration, cette dernière demande devant être formulée dans le délai de prescription de droit commun ; qu'en retenant à l'inverse, après avoir constaté que le jugement du tribunal administratif du 15 février 2018 ayant annulé l'autorisation de licenciement était définitif depuis le 21 février 2018, que ''Mme [W] [R] disposait d'un délai jusqu'au 21 avril 2018 pour demander le bénéfice de l'indemnisation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 2422-4'', la cour d'appel a violé l'article L. 2422-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. Le liquidateur judiciaire conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est irrecevable comme nouveau, la salariée n'ayant pas soutenu que le délai de deux mois, prévu par l'article L. 2422-4 du code du travail, ne concernerait que la demande de réintégration à l'exclusion de la demande d'indemnité prévue par le même texte.
9. Cependant, dans ses conclusions d'appel la salariée soutenait qu'elle n'avait pas demandé sa réintégration en sorte que l'exception d'irrecevabilité de sa demande d'indemnité devait être écartée.
10. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 2422-1, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, et L. 2422-4 du code du travail :
11. En premier lieu, selon l'article L. 2422-1 du code du travail, lorsque le ministre compétent annule, sur recours hiérarchique, la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement d'un salarié investi de l'un des mandats énumérés par ce texte, ou lorsque le juge administratif annule la décision d'autorisation de l'inspecteur du travail ou du ministre compétent, le salarié concerné a le droit, s'il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d'être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent. Cette disposition s'applique, notamment, au délégué du personnel, titulaire ou suppléant.
12. Aux termes de l'article L. 2422-4 du même code, lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire.
13. Il résulte de ces textes que seule la demande de réintégration doit être formée, à peine d'irrecevabilité, dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement annulant l'autorisation administrative de licenciement.
14. En second lieu, aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
15. D'une part, la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'indemnité due en application de l'article L. 2422-4 du code du travail qui a, de par la loi, le caractère d'un complément de salaire, a la nature d'une créance salariale, en sorte qu'elle est soumise à la prescription triennale prévue par l'article L. 3245-1 du code du travail.
16. D'autre part, l'indemnisation prévue par l'article L. 2422-4 du code du travail en cas d'annulation de l'autorisation de licenciement par jugement du tribunal administratif n'est due que lorsque l'annulation de la décision d'autorisation est devenue définitive. Il en résulte que le délai de prescription de l'action au titre de cette indemnisation ne court qu'à compter de cette date.
17. Pour juger irrecevable comme prescrite la demande de la salariée tendant à ce que soit fixée sa créance au passif de la société à une certaine somme à titre de complément de salaire pour la période du 20 avril 2017 au 20 avril 2018, l'arrêt retient que la décision du tribunal administratif en date du 15 février 2018 annulant le licenciement de la salariée lui a été notifiée le 21 février 2018, que la lettre de notification précisait que celle-ci faisait courir le délai d'appel de deux mois, que la salariée disposait donc d'un délai jusqu'au 21 avril 2018 pour demander le bénéfice de l'indemnisation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 2422-4 du code du travail et qu'elle n'a saisi le conseil de prud'hommes que le 15 avril 2019.
18. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'il ressortait de ses constatations que la salariée avait agi dans le délai de la prescription triennale, ce dont il résultait que sa demande de complément d'indemnité au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail était recevable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue partiellement au fond, en jugeant recevable la demande de la salariée tendant à ce que soit fixée sa créance au passif de la société à une certaine somme à titre de complément de salaire pour la période du 20 avril 2017 au 20 avril 2018.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable car prescrite la demande de Mme [R] tendant à ce que soit fixée sa créance au passif de la société Socopre à une certaine somme à titre de complément de salaire pour la période du 20 avril 2017 au 20 avril 2018 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 21 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi sur la recevabilité de la demande de Mme [R] tendant à ce que soit fixée sa créance au passif de la société Socopre à une certaine somme à titre de complément de salaire pour la période du 20 avril 2017 au 20 avril 2018 ;
DÉCLARE recevable ladite demande ;
RENVOIE l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Basse-Terre pour qu'il soit statué sur le bien fondé de cette demande ;
Condamne la société [K] [J]-[X], prise en la personne de M. [J]-[X], en qualité de liquidateur judiciaire, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [K] [J]-[X], prise en la personne de M. [J]-[X], ès qualités, et la condamne à payer à Mme [R] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre.