LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 décembre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 753 F-D
Pourvoi n° Y 23-13.108
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 DÉCEMBRE 2024
1°/ M. [N] [C],
2°/ Mme [X] [P], épouse [C],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° Y 23-13.108 contre l'arrêt rendu le 9 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige les opposant :
1°/ à la société MMA Iard, société anonyme,
2°/ à la société MMA Iard assurances mutuelles,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 3], et toutes deux venant aux droits de la société Covéa Risks,
3°/ à la société Montrachet Finance et patrimoine, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à la société Financière du Cèdre, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
5°/ à la société JP Océan gestion, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
6°/ à la société AIG Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SCP Duhamel, avocat de M. [C] et Mme [P], épouse [C], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés MMA Iard, MMA Iard assurances mutuelles, Montrachet Finance et patrimoine et Financière du Cèdre, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société AIG Europe, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société JP Océan gestion, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 janvier 2023) et les productions, les 4 octobre et 10 novembre 2002, après avoir donné mandat de recherche d'investissement à la société Financière du Cèdre, M. et Mme [C] ont acquis, à des fins de défiscalisation, des parts dans des sociétés en nom collectif sur les conseils de la société Montrachet Finance et patrimoine, conseiller en gestion de patrimoine, et de la société JP Océan gestion.
2. Le 31 mai 2006, l'administration fiscale, remettant en cause les réductions d'impôts dont M. et Mme [C] s'étaient prévalus au titre de ces investissements, leur a adressé un avis de mise en recouvrement qu'il ont contesté devant le juge administratif.
3. Les 15, 18 et 29 mai 2015, M. et Mme [C] ont assigné en responsabilité la société JP Océan gestion en manquement à son devoir de conseil, la société Montrachet Finance et patrimoine en manquement à son obligation de les garantir en cas de redressement fiscal et la société Financière du Cèdre en manquement à ses obligations de vérification de la régularité des opérations en cause ainsi que leurs assureurs respectifs, la société AIG et les sociétés MMA Iard et MMA assurances mutuelles.
4. Le 10 mai 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté leur contestation formée contre l'avis de mise en recouvrement. M. et Mme [C] ont formé un recours devant le Conseil d'Etat contre cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. M. et Mme [C] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables car prescrites leurs demandes, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le dommage résultant d'un redressement fiscal n'est réalisé qu'à la date où la décision du juge de l'impôt est devenue définitive ; qu'en l'espèce, ils faisaient valoir que la prescription de l'action en responsabilité consécutive à un redressement fiscal ne court qu'à l'issue de la décision définitive rendue dans le contentieux avec l'administration, que le point de départ du délai de prescription de leur action en responsabilité contre les sociétés de conseils en investissements et leurs assureurs était la date de la décision définitive de la juridiction administrative, que la cour administrative d'appel de Versailles avait rejeté leur recours contre l'administration fiscale par arrêt du 10 mai 2016, et qu'ainsi leur action en responsabilité introduite par assignations délivrées en mai 2015 n'était pas prescrite ; qu'en jugeant cependant que la notification de l'avis de mise en recouvrement du 31 mai 2006 constituait le point de départ de la prescription quinquennale, tandis qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'ils ont contesté le redressement fiscal, que leur requête a été rejetée par arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 10 "avril" [en réalité mai] 2016 et que leur action devant le tribunal judiciaire a été introduite "les 15, 18 et 29 mai 2015", de sorte qu'elle n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil :
6. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
7. Il s'en déduit que le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.
8. Lorsque le dommage invoqué par une partie dépend d'une procédure contentieuse l'opposant à un tiers, il ne se manifeste qu'au jour où cette partie est condamnée par une décision passée en force de chose jugée ou devenue irrévocable et que, son droit n'étant pas né avant cette date, la prescription de son action ne court qu'à compter de cette décision.
9. Ainsi, en matière fiscale, le préjudice n'est pas réalisé et la prescription n'a pas couru tant que le sort des réclamations contentieuses n'est pas définitivement connu.
10. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité de M. et Mme [C] contre les sociétés JP Océan gestion, Montrachet Finance et patrimoine et Financière du Cèdre, l'arrêt retient que le délai de prescription a couru à compter de la notification par l'administration fiscale de l'avis de mise en recouvrement, qu'il fixe au 31 mai 2006.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que M. et Mme [C] avaient contesté la dette fiscale en introduisant un recours contentieux dont le sort n'était pas définitivement connu pour être toujours pendant devant le Conseil d'Etat à la date à laquelle elle statuait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne les sociétés Montrachet Finance et patrimoine, Financière du Cèdre, JP Océan gestion, MMA Iard, MMA Iard assurances mutuelles et AIG Europe aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés Montrachet Finance et patrimoine, Financière du Cèdre, JP Océan gestion, MMA Iard, MMA Iard assurances mutuelles et AIG Europe à payer à M. [N] [C] et Mme [X] [P], épouse [C], la somme globale de 3 000 euros et rejette toute autre demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui, le conseiller rapporteur et Mme Sezer, greffier, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.