LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 24-85.354 F-D
N° 01680
ODVS
10 DÉCEMBRE 2024
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 DÉCEMBRE 2024
M. [X] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 8 août 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction le plaçant sous contrôle judiciaire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [X] [V], et les conclusions de M. Dureux, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 30 juin 2022, M. [X] [V], ressortissant français, a été remis par les autorités judiciaires espagnoles aux autorités judiciaires belges sur le fondement d'un mandat d'arrêt européen émis par ces dernières pour l'exécution d'une peine de quinze ans d'emprisonnement prononcée le 4 mars 2021 pour des faits de vols aggravés.
3. Le 3 janvier 2023, les autorités judiciaires belges ont adressé aux autorités judiciaires françaises un certificat aux fins de reconnaissance et d'exécution de la peine susmentionnée, M. [V] étant ressortissant français et faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire belge et d'une interdiction d'entrée d'une durée de vingt ans, à l'issue de sa condamnation. A la suite de la réponse favorable donnée à cette demande, le 1er février 2023, par le procureur de la République de Paris, M. [V] a été transféré et écroué en France le 14 avril 2023.
4. Antérieurement à son transfert en France, le 9 novembre 2022, les autorités judiciaires françaises avaient décerné un mandat d'arrêt européen à l'encontre de M. [V] aux fins de poursuites des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment.
5. Le 1er mars 2023, les autorités judiciaires belges ont refusé d'exécuter ce mandat d'arrêt européen, à défaut de la production par les autorités françaises d'une décision de consentement des autorités espagnoles à la remise de M. [V] aux autorités françaises pour ces faits.
6. Le 17 avril 2023, les autorités espagnoles ont accordé aux autorités judiciaires françaises l'extension de remise sollicitée.
7. Le 8 février 2024, M. [V] a été mis en examen du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, et placé en détention provisoire ce même jour. Par arrêt du 1er mars 2024, la chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance de placement en détention provisoire.
8. Par arrêt du 28 mai 2024 (Crim., 28 mai 2024, pourvoi n° 24-81.539, publié au Bulletin), la Cour de cassation a prononcé la cassation, sans renvoi, de l'arrêt susmentionné et constaté que M. [V] était détenu sans titre, dans la présente procédure, depuis le 8 février 2024.
9. Par ordonnance du 7 juin 2024, le juge d'instruction a ordonné le placement sous contrôle judiciaire de M. [V].
10. Ce dernier a interjeté appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation de l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire de M. [V], dit l'appel mal fondé et confirmé cette ordonnance, alors :
« 1°/ d'une part que la Cour de cassation peut faire usage des pouvoirs conférés par l'article 803-7 du Code de procédure pénale à toute juridiction qui ordonne la remise en liberté d'une personne dont la détention provisoire est irrégulière de placer cette personne sous contrôle judiciaire ; qu'en affirmant, pour refuser de tirer les conséquences qui s'évinçaient de l'absence de placement de Monsieur [V] sous contrôle judiciaire par l'arrêt du 28 mai 2024 de la Cour de cassation, que « la Cour de cassation, qui n'est pas juge du fond, ne peut faire application de l'article 803-7 du Code de procédure pénale », la Cour d'appel a violé ce texte, ensemble les articles 591 et 593 du même Code ;
2°/ d'autre part, que ne peut faire l'objet d'aucune mesure de sûreté la personne poursuivie en France en violation du principe de spécialité ; qu'au cas d'espèce, la Cour de cassation a constaté que Monsieur [V] était poursuivi en France pour des faits autres que ceux ayant motivé son transfèrement par la Belgique, sans que les autorités belges aient donné leur accord à ces poursuites ; qu'il s'en déduisait que les poursuites engagées en France contre Monsieur [V] l'étaient en méconnaissance du principe de spécialité, de sorte qu'elles ne pouvaient s'accompagner d'aucune mesure de sûreté à l'encontre de Monsieur [V], ce qui justifiait que la Cour de cassation, après avoir ordonné la remise en liberté de Monsieur [V] par son arrêt du 28 mai 2024, ne l'ait astreint à aucun contrôle judiciaire ; qu'en affirmant, pour dire n'y avoir lieu à annulation de l'ordonnance du juge d'instruction plaçant Monsieur [V] sous contrôle judiciaire, qu'aucune disposition légale ou conventionnelle ne s'opposait au placement de Monsieur [V] sous contrôle judiciaire, la Chambre de l'instruction a violé les articles 137, 728-62, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
12. C'est à tort que l'arrêt attaqué énonce que la Cour de cassation, qui n'est pas juge du fond, ne peut faire application de l'article 803-7, alinéa 1er, du code de procédure pénale.
13. En effet, les dispositions de ce texte, inséré dans une partie « dispositions générales » du code de procédure pénale et qui vise toute juridiction, permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des délais ou formalités prévus audit code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.
14. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que la violation du principe de spécialité, qui entache d'irrégularité la mesure de sûreté prononcée à l'encontre d'une personne remise dans le cadre d'une procédure de reconnaissance et d'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privative de liberté prononcée par une juridiction d'un autre Etat membre, ne constitue pas la méconnaissance d'une formalité au sens dudit code.
15. Ainsi, le grief doit être écarté.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Vu les articles 18 de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil du 27 novembre 2008 et 728-62 du code de procédure pénale :
16. Selon le 3° du second de ces textes, la personne transférée sur le territoire français pour la mise à exécution d'une condamnation à une peine ou à une mesure privative de liberté prononcée par une juridiction d'un Etat membre peut être recherchée, poursuivie, condamnée ou détenue, pour un fait quelconque antérieur à son transfèrement autre que celui qui a motivé celui-ci, sans que l'autorité compétente de l'Etat de condamnation y ait expressément consenti, pour autant qu'aucune mesure privative ou restrictive de liberté n'est appliquée.
17. Il se déduit de ces textes qu'une personne remise à la France sur le fondement d'une décision de reconnaissance et d'exécution d'une condamnation pénale prononcée par un Etat membre, qui n'a pas renoncé au principe de spécialité et qui avait été préalablement remise à l'Etat de condamnation par un autre Etat membre selon la procédure de mandat d'arrêt européen, ne peut faire l'objet d'une mesure de détention provisoire pour une infraction autre que celle qui a motivé son transfèrement, avant que le consentement de l'autorité compétente de l'Etat de condamnation ait été obtenu, sans que ne soit requis le consentement du premier Etat ayant remis l'intéressé à l'Etat de condamnation selon la procédure de mandat d'arrêt européen (Crim., 28 mai 2024, pourvoi n° 24-81.539, publié au Bulletin).
18. Dès lors, le même principe s'applique en matière de contrôle judiciaire.
19. En cas de contestation soulevée devant elle sur ce point, il appartient donc à la chambre de l'instruction de s'assurer du respect du principe de spécialité.
20. En l'espèce, pour écarter la demande d'annulation de l'ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, l'arrêt attaqué énonce que l'article 139, alinéa 1er, du code de procédure pénale dispose que la personne mise en examen est placée sous contrôle judiciaire par une ordonnance du juge d'instruction qui peut être prise en tout état de l¿instruction.
21. Les juges en concluent qu'aucune disposition légale ou conventionnelle ne s'oppose à ce que le juge d'instruction décide, à tout stade de l'information et, le cas échéant, après la mise en liberté d'une personne mise en examen par suite de l'annulation de son titre de détention, d'un placement sous contrôle judiciaire.
22. En statuant ainsi, alors que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de s'assurer que les autorités belges, Etat de condamnation, n'ont pas donné leur consentement à ce qu'il soit dérogé au principe de spécialité dans la présente procédure, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
24. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 8 août 2024 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que le placement sous contrôle judiciaire de M. [X] [V], contraire au principe de spécialité, est illégal ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille vingt-quatre.