LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° H 24-82.350 F-B
N° 01491
MAS2
10 DÉCEMBRE 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 DÉCEMBRE 2024
M. [K] [U] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 28 mars 2024, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 5 mars 2024, pourvoi n° 23-80.229), dans l'information suivie contre lui des chefs d'abus de confiance, escroquerie en bande organisée et blanchiment aggravé, a prononcé sur sa contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet d'un avocat.
Par ordonnance du 5 août 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [K] [U], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [K] [U], avocat au barreau de la Guadeloupe, a été mis en cause dans des faits objet d'une enquête préliminaire, puis d'une information ouverte des chefs susvisés.
3. Sur saisine du juge d'instruction, le juge des libertés et de la détention a autorisé des perquisitions, notamment au cabinet de M. [U].
4. Cette perquisition a donné lieu à la saisie du contenu du téléphone portable de cet avocat, transféré sur une clé USB. Cette saisie a été contestée par le délégué du bâtonnier au motif de son caractère global.
5. Après réalisation d'une expertise aux fins d'extraire du contenu du téléphone les éléments correspondant à une liste de trois cent trente mots-clés, le juge des libertés et de la détention a ordonné le versement à la procédure des éléments ainsi sélectionnés.
6. Cette décision a été confirmée par ordonnance du 19 décembre 2022 du président de la chambre de l'instruction.
7. Par arrêt du 5 mars 2024, la Cour de cassation a cassé et annulé cette ordonnance en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel, autrement composée.
8. Entre-temps, le juge d'instruction a délivré une commission rogatoire aux fins d'exploitation des éléments saisis et a, le 8 février 2023, mis en examen M. [U] des chefs susvisés.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours, dirigé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 14 décembre 2022 statuant sur la contestation portant sur la saisie de pièces au cabinet de M. [U], avocat, alors « qu'il est constant que cette ordonnance a été précédée d'un débat contradictoire irrégulier, tenu le 8 décembre 2022 en l'absence du conseil de l'avocat concerné dont le juge des libertés et de la détention a refusé la présence dans son cabinet ; cette circonstance avait nécessairement pour effet d'entraîner la nullité de l'ordonnance prise à la suite de ce débat tenu en violation des droits de la défense, et du principe selon lequel il doit être oral autant qu'écrit, peu important que M. [U] ait lui-même déposé un mémoire devant le juge des libertés et de la détention puis devant le président de la chambre de l'instruction saisi en appel ; en considérant que le refus opposé par le juge des libertés et de la détention à M. [U] d'être assisté par un avocat n'entache pas la validité du débat ni de l'ordonnance dont appel, « M. [U] ayant pu faire valoir ses droits au travers notamment des mémoires successifs visés en procédure et auxquels il a été répondu », le président de la chambre de l'instruction a violé les droits de la défense, l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article préliminaire du code de procédure pénale, et l'article 56-1 du même code ; la cassation interviendra sans renvoi. »
Réponse de la Cour
10. Selon l'article 609-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, lorsque la Cour de cassation annule un arrêt de chambre de l'instruction autre qu'un arrêt de règlement, la compétence de la chambre de l'instruction de renvoi est limitée, sauf si la Cour de cassation en décide autrement, à la solution du contentieux qui a motivé sa saisine. Pour l'application de cette disposition, l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction statuant sur le fondement de l'article 56-1 du code précité s'assimile à un arrêt de chambre de l'instruction.
11. En l'absence de décision autre de la Cour de cassation, il s'en déduit que, le président de la chambre de l'instruction statuant sur renvoi après cassation étant compétent pour la solution du contentieux fondé sur l'article 56-1 du code susvisé, est recevable le moyen de nullité du débat contradictoire qui s'est tenu devant le juge des libertés et de la détention, même s'il n'a pas été soulevé devant le président de la chambre de l'instruction primitivement saisi.
12. Pour rejeter ce moyen, l'ordonnance attaquée énonce que, si le juge des libertés et de la détention a pris à tort la décision de refuser à M. [U] l'assistance de son avocat lors du débat contradictoire tenu devant lui, ce débat n'apparaît pas entaché d'irrégularité, l'intéressé ayant pu faire valoir ses droits au travers notamment des mémoires successifs visés en procédure, auxquels il a été répondu.
13. C'est à tort que le président de la chambre de l'instruction a écarté le moyen d'irrégularité de ce débat, alors que toute personne poursuivie ou suspectée, qui ne souhaite pas se défendre elle-même, a droit à l'assistance d'un défenseur de son choix.
14. L'ordonnance n'encourt cependant pas la censure, dès lors que, au cours du débat contradictoire tenu le 27 mars 2024 devant le président de la chambre de l'instruction statuant à nouveau, en fait et en droit, sur son recours suspensif, l'intéressé a été assisté de son avocat et a pu exercer pleinement les droits de la défense.
15. Le moyen doit, dès lors, être écarté.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la demande de M. [U] tendant à ce que le président de la chambre de l'instruction, statuant sur le renvoi ordonné par la chambre criminelle après cassation et annulation d'une précédente ordonnance du président en date du 19 décembre 2022, annule la commission rogatoire qui avait été délivrée par le juge d'instruction aux fins d'exploitation des scellés saisis dans le cadre de la procédure de perquisition et de saisies validées par cette ordonnance du 19 décembre 2022 annulée ainsi que tous les actes d'exploitation subséquents, alors :
« 1°/ que la circonstance que le pourvoi formé contre l'ordonnance du 19 décembre 2022 n'avait pas d'effet suspensif est sans incidence sur les conséquences de l'annulation de cette décision par la Cour de cassation ; la cassation entraîne nécessairement l'annulation de tous les actes diligentés sur le fondement de la décision annulée ; dès lors que c'est en vertu de la décision du 19 décembre 2022 (l'appel étant suspensif) ultérieurement cassée que les actes d'exploitation des scellés ont eu lieu, ces actes étaient nécessairement nuls ; en refusant de le constater le président de la chambre de l'instruction a violé les articles 609, 56-1, 173 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'il appartient au président de la chambre de l'instruction saisi dans le
cadre de l'article 56-1 du code de procédure pénale de la question de la régularité des saisies opérées dans un cabinet d'avocat de tirer toutes les conséquences de la cassation de la décision validant ces saisies ; en considérant que ce pouvoir ne relevait pas de l'exercice de sa compétence, le président de la chambre de l'instruction a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes précités. »
Réponse de la Cour
17. Pour rejeter la demande tendant à voir prononcer la nullité, dans le dossier de la procédure d'information, de la commission rogatoire d'exploitation des éléments saisis et des actes subséquents, l'ordonnance attaquée énonce que le pourvoi en cassation formé contre l'ordonnance du 19 décembre 2022 n'a pas d'effet suspensif et que son examen immédiat n'a pas été sollicité, que, toutefois, la demande dépasse l'office du président de la chambre de l'instruction saisi sur le fondement de l'article 56-1 du code de procédure pénale, s'agissant d'une appréciation de la validité des actes du juge d'instruction qui ne peut s'envisager qu'au visa de l'article 173 du code de procédure pénale.
18. C'est à tort que le président de la chambre de l'instruction a retenu que le pourvoi en cassation formé contre l'ordonnance du 19 décembre 2022 était dépourvu d'effet suspensif, alors que M. [U], à la date de son pourvoi, était un tiers à la procédure comme n'étant pas encore mis en examen, qu'en conséquence, l'ordonnance attaquée mettait fin à la procédure à son égard et que, conformément aux articles 569 et 570, alinéa 1er, du code de procédure pénale, il devait être sursis à l'exécution de cette ordonnance jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de cassation.
19. L'ordonnance n'encourt cependant pas la censure, dès lors que, d'une part, il entre seulement dans la compétence du président de la chambre de l'instruction, saisi sur le fondement de l'article 56-1, alinéa 8, du code de procédure pénale, de se prononcer sur la cancellation d'actes et de pièces figurant au dossier de la procédure d'information qui se réfèrent aux documents ou objets dont ce magistrat ordonne la restitution immédiate, ou au contenu des documents restitués.
20. D'autre part, le demandeur dispose de la faculté de demander la nullité de la saisie et de ses conséquences devant la chambre de l'instruction.
21. Le moyen doit, dès lors, être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours dirigé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 14 décembre 2022 statuant sur la contestation de la saisie de pièces au cabinet de M. [U], avocat, ainsi que sa demande tendant à la restitution des pièces saisies, alors :
« 1°/ qu'il appartient au juge des libertés et de la détention puis au président de la chambre de l'instruction statuant dans le cadre du recours ouvert par l'article 56-1 du code de procédure pénale de vérifier le caractère proportionnel de la saisie effectuée, au regard d'une part du périmètre de l'information, d'autre part de la nécessité de protéger le secret professionnel et les intérêts des clients non concernés par cette information ; cette appréciation doit être concrète et effectuée au vu des pièces effectivement saisies et non simplement au regard d'une méthode de saisie qu'aurait définie le juge d'instruction ; il est constant que le juge d'instruction a opéré une copie du téléphone portable de Maître [U], placée sous scellés, puis a extrait de cette copie un nombre considérable de données recueillies à partir d'une liste de plus de 330 mots clés tenant sur plus de 7 pages, en plaçant ces données sous scellés ; le juge des libertés et de la détention a validé la saisie de ces données (à l'exception de celles résultant de l'utilisation des mots clés « or » et « docteur ») ; en répondant à la contestation élevée par M. [U] tirée du caractère excessif de la saisie au motif que « les mots clés saisis ? ont été retenus de manière stricte et il ne peut qu'être apprécié qu'ils sont en relation avec l'activité de l'avocat spécialisé en réparation du préjudice corporel », qu'ils sont « en rapport direct avec les faits et infractions objets de la procédure » quand il lui appartenait de déterminer si les éléments recueillis présentaient ce rapport direct, l'utilisation de mots-clés ayant pour effet de mettre dans le dossier d'information la quasi-intégralité de l'activité du cabinet de l'avocat sans que la saisie soit de façon concrète et précise limitée aux faits de l'information, le président de la chambre de l'instruction a méconnu l'étendue de son office, violé les articles 56-1 du code de procédure pénale et 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
2°/ qu'en contestant de façon expresse le recours à la technique des mots clés de surcroît très généraux et très nombreux dont la réunion aboutissait à appréhender la totalité de l'activité et du cabinet et en soulignant que d'après les renseignements donnés au bâtonnier seuls 120 clients du cabinet pouvaient être concernés par les faits de l'information, M. [U] faisait nécessairement valoir que cette saisie de l'ensemble de son cabinet dépassait les nécessités de l'information et que les éléments relatifs à ses clients autres que les 120 désignés en procédure devaient être écartés ; en lui reprochant de ne pas avoir désigné les éléments sans lien direct avec les infractions, le président de chambre de l'instruction a encore violé les principes et textes précités ;
3°/ qu'en refusant de vérifier si les éléments saisis et maintenus par lui en procédure étaient en rapport avec des faits inclus dans la saisine in rem du juge d'instruction, le président de la chambre de l'instruction a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et a encore violé les principes et textes précités outre l'article 80 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
23. Pour rejeter le moyen pris de l'irrégularité de la sélection des éléments saisis par mots-clés, l'ordonnance attaquée énonce que la saisie a été effectuée de manière sélective et non intégrale, avec le concours d'un expert, que, si les mots-clés choisis sont en nombre important, ils ont cependant été retenus strictement et sont en rapport direct avec l'activité professionnelle de l'avocat et les faits et infractions objet de la procédure.
24. Le juge ajoute qu'il appartenait à l'intéressé de désigner les éléments qu'il estimait sans lien direct avec les infractions poursuivies, afin de permettre leur contrôle, ce qu'il n'a pas fait.
25. Il relève encore que l'examen de la proportionnalité de la saisie au regard du périmètre de l'information dépasse l'office du président de la chambre de l'instruction statuant sur le fondement de l'article 56-1 du code de procédure pénale, s'agissant d'une appréciation de la validité des actes du juge d'instruction qui ne peut s'envisager qu'au visa de l'article 173 du même code.
26. En statuant ainsi, le président de la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, lequel doit être écarté.
27. Par ailleurs, l'ordonnance est régulière en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille vingt-quatre.