LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 décembre 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 650 F-D
Pourvoi n° S 22-24.184
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 DÉCEMBRE 2024
M. [F] [O], domicilié [Adresse 1] (Burkina Faso), a formé le pourvoi n° S 22-24.184 contre l'arrêt rendu le 22 septembre 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige l'opposant à l'association syndicale libre [Adresse 3], dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller doyen, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [O], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de l'association syndicale libre [Adresse 3], après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller doyen rapporteur, Mme Abgrall, conseiller, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 septembre 2022), [Y] [O], aujourd'hui décédé, a créé en 1982 le lotissement du [Adresse 3] à [Localité 4].
2. L'article 17 du cahier des charges, publié le 10 mai 1984, prévoyait que, dès l'achèvement des travaux, la propriété, la gestion et l'entretien des terrains et équipements communs seraient transférés à l'association syndicale libre à constituer.
3. Une association syndicale des propriétaires du lotissement a été créée en 1988, devenue, le 30 juillet 2015, après régularisation, l'association syndicale libre [Adresse 3] (l'ASL).
4. Le transfert par le lotisseur à l'ASL des terrains et équipements communs du lotissement n'est pas intervenu.
5. Par acte du 28 décembre 2016, l'ASL a assigné M. [O], héritier du lotisseur, en cession forcée des parties communes du lotissement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation, et sur le premier moyen, pris en sa première branche, qui est irrecevable.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
7. M. [O] fait grief à l'arrêt de déclarer l'ASL recevable en sa demande, de rejeter ses moyens de nullité au fond et d'ordonner la vente forcée des parcelles dépendant de l'ensemble immobilier [Adresse 3] au prix symbolique d'un euro, alors :
« 2°/ que les associations syndicales libres se forment par consentement unanime des propriétaires intéressés constaté par écrit ; que sont des propriétaires intéressés tous les propriétaires d'une parcelle située dans le périmètre d'un lotissement pour lequel le cahier des charges prévoit la création d'une ASL, y compris les propriétaires des parcelles supportant des équipements communs ; que M. [O] faisait valoir qu'il était propriétaire d'une parcelle dans le lotissement, que le consentement unanime lors de la constitution de l'ASL n'avait pas été réuni par écrit, faute de le mentionner et qu'il n'était pas membre de l'ASL, circonstances que l'ASL admettait ; qu'en concluant pourtant à la validité de la constitution de l'ASL, après avoir, elle-même, reconnu la qualité de propriétaire de M. [O], la cour d'appel a violé l'article R. 315-6 du code de l'urbanisme, devenu R. 442-7 du code de l'urbanisme, ensemble l'article 7 de l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 et l'article 117 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en affirmant, pour justifier de la régularité de la constitution de l'ASL, que l'unanimité s'entend des propriétaires participant à sa création et non de celle des personnes ayant vocation à y adhérer, quand, dans un lotissement pour lequel est prévue la création d'une association syndicale libre, tous les propriétaires d'un bien dans ce lotissement, à la date de la constitution de l'ASL et même ensuite, doivent y consentir à l'unanimité en y adhérant, la cour d'appel a violé l'article R. 315-6 du code de l'urbanisme, devenu R. 442-7 du code de l'urbanisme, ensemble l'article 7 de l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 et l'article 117 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. Selon l'article R. 315-6 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la cause, dans le cas où le projet de lotissement prévoit des équipements communs, le dossier de demande de permis d'aménager comporte l'engagement du lotisseur que sera constituée une association syndicale des acquéreurs de lots à laquelle seront dévolus la propriété, la gestion et l'entretien des terrains et équipements communs jusqu'à leur transfert éventuel dans le domaine d'une personne morale de droit public.
9. Il en résulte que le lotisseur, propriétaire des terrains et équipements communs appelés à être transférés à l'association syndicale des acquéreurs de lots, n'est pas membre de celle-ci.
10. Le moyen, qui, en sa deuxième branche, postule le contraire, n'est donc pas fondé.
11. Ayant constaté que l'article 17 du cahier des charges prescrivait que, dès l'achèvement des travaux, le lotisseur transférerait la propriété, la gestion et l'entretien des terrains et équipements communs à l'association syndicale et, par motif adoptés, que M. [O] était devenu propriétaire par succession de parcelles en nature de voies, chemins, fossés et espaces verts, faisant ainsi ressortir que celles-ci constituaient, non des lots commercialisables mais des terrains et équipements communs appelés à être transférés à l'association syndicale, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, que la demande de nullité de l'association, au motif de l'absence d'adhésion à celle-ci du lotisseur ou de son ayant droit ne pouvait être accueillie.
12. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et sur le quatrième moyen, réunis
Enoncé des moyens
13. Par son deuxième moyen, pris en sa première branche, M. [O] fait grief à l'arrêt de déclarer l'ASL recevable en sa demande de vente forcée des parcelles lui appartenant dépendant de l'ensemble immobilier [Adresse 3] au prix symbolique d'un euro, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en jugeant que le point de départ de l'action de l'association courait à compter de la découverte, à l'occasion de travaux débutés en 2009, de l'absence de réalisation de la cession prévue par le cahier des charges, sans examiner, ainsi qu'il lui était demandé, si l'association n'aurait pas dû connaître, dès sa création, l'inexécution de la cession, puisque cette cession aurait dû intervenir à la date à laquelle l'association des propriétaires du lotissement était créée, quelle que soit sa forme, après achèvement des travaux de construction des équipements communs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil. »
14. Par son quatrième moyen, M. [O] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une interruption de prescription résultant d'une précédente action en justice est non avenue si la demande est rejetée par une fin de non-recevoir ; selon les constatations de la cour d'appel, un précédent jugement définitif du 15 décembre 2015 du tribunal judiciaire de Grasse a déclaré l'association de copropriétaires de lots privatifs du lotissement du [Adresse 3] irrecevable dans une action similaire à celle engagée par l'association syndicale libre du [Adresse 3] actuellement en cause ; à l'issue de ce jugement, l'interruption de prescription de l'action aux fins de vente forcée était nécessairement devenue non avenue ; en jugeant pourtant que l'assignation, ayant abouti au jugement de 2015, a nécessairement interrompu toute prescription extinctive et que l'action aux fins de vente forcée, dont l'association syndicale libre faisait remonter le point de départ du délai de prescription à 2009, n'était pas prescrite lors de la nouvelle assignation, intervenue plus de cinq ans plus tard, soit le 28 décembre 2016, la cour d'appel a violé les articles 2224 et 2243 du code civil. »
Réponse de la Cour
15. Il résulte de l'obligation réglementaire faite au lotisseur de s'engager à transférer, dès l'achèvement des travaux, la propriété, la gestion et l'entretien des terrains et équipements communs à une association syndicale des acquéreurs de lots à constituer, consacrée, en l'espèce, par l'article 17 du cahier des charges, que l'action en cession forcée de terrains et équipements communs engagée par l'association, qui tend à faire reconnaître son droit de propriété sur celles-ci dans les termes du cahier de charges mettant en oeuvre l'obligation réglementaire pesant sur le lotisseur, n'est pas une action personnelle au sens de l'article 2224 du code civil, mais une action réelle immobilière, relevant de la prescription trentenaire de l'article 2227 du même code, qui court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
16. La cour d'appel ayant constaté que l'association des copropriétaires de lots privatifs du lotissement [Adresse 3], aux droits de laquelle est venue, après régularisation, l'ASL, avait été constituée en 1988, l'action en cession forcée des terrains communs, engagée par celle-ci le 28 décembre 2016, n'était pas prescrite.
17. Par ce motif de pur droit, suggéré en défense, substitué à ceux critiqués dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
18. M. [O] fait grief à l'arrêt d'ordonner la vente forcée au prix symbolique d'un euro, alors :
« 1°/ que toute vente suppose l'accord des parties sur le prix ; qu'en ordonnant la vente forcée des parcelles litigieuses au prix d'un euro qu'elle a elle-même fixé, ce dont il résultait l'absence de prix convenu entre les parties et donc l'absence de vente, la cour d'appel a violé les articles 1583, 1591 et 1589 ancien du code civil ;
2°/ que, subsidiairement, toute vente suppose la fixation d'un prix correspondant à la valeur du bien, au besoin par désignation d'un expert ; qu'en ordonnant la vente forcée des parcelles litigieuses au prix symbolique et donc inexistant d'un euro, la cour d'appel a violé les articles 1583, 1591 et 1589 ancien du code civil ;
3°/ que, subsidiairement, en ordonnant la vente forcée des parcelles litigieuses par M. [O] à l'ASL pour le prix symbolique d'un euro, sans préciser en quoi l'article 17 du cahier des charges du lotissement aurait fait obligation de procéder à la cession pour un prix symbolique et donc inexistant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien du code civil, devenu l'article 1103. »
Réponse de la Cour
19. Ayant constaté que l'article 17 du cahier des charges disposait que la vente des lots ne portait pas sur les terrains et équipements communs et que, dès l'achèvement des travaux, le lotisseur transférerait la propriété, la gestion et l'entretien de ceux-ci à l'association syndicale jusqu'à leur intégration éventuelle dans le domaine d'une personne morale de droit public et, par motif adoptés, que M. [O] était devenu propriétaire par succession de parcelles en nature de voies, chemins, fossés et espaces verts, la cour d'appel a pu en déduire que ce transfert, qui ne portait pas sur un lot commercialisable mais sur des terrains communs, accessoires des lots vendus, devait s'opérer au prix symbolique d'un euro.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [O] et le condamne à payer à l'association syndicale libre [Adresse 3] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille vingt-quatre.