LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
DeN° K 23-84.028 F-B
N° 01481
RB5
4 DÉCEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 DÉCEMBRE 2024
L'Etat français a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 16 mai 2023, qui a prononcé sur une requête en incident contentieux d'exécution.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Etat français représenté par la direction générale des finances publiques et la direction départementale des finances publiques de Maine-et-Loire, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. [K] [B], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt en date du 21 février 2008, après avoir confirmé la culpabilité de M. [K] [B] du chef d'escroquerie au préjudice de l'administration fiscale et les peines de six mois d'emprisonnement, 45 000 euros d'amende prononcées par le tribunal correctionnel, la cour d'appel a également confirmé le jugement sur la condamnation de M. [B] à payer à l'Etat français la somme de 160 000 euros, outre une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
3. Par arrêt en date du 9 octobre 2008, la cour d'appel a, par ailleurs, confirmé le jugement du tribunal correctionnel qui, pour exercice illégal de la profession d'expert comptable, a notamment condamné M. [B] au paiement d'une amende de 12 000 euros.
4. A la suite de la notification, le 14 janvier 2021, d'un commandement de payer la somme de 225 596 euros correspondant, à hauteur de 45 120 et 162 000 euros aux condamnations mises à sa charge par le premier arrêt, et, à hauteur de 12 120 euros, par le second, M. [B] a saisi le 10 juin 2021 la cour d'appel d'une requête en incident contentieux d'exécution pour faire notamment juger la prescription de la créance de l'administration fiscale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté que la créance de 162 000 euros résultant de l'arrêt définitif n° 136 du 21 février 2008 de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Angers est prescrite, alors :
« 1°/ que, premièrement, la contestation relative aux sommes recouvrées par un comptable public, portant sur le montant de la dette compte-tenu des payements effectués et sur son exigibilité, est portée devant le juge de droit commun selon la nature de la créance ; qu'en retenant sa compétence pour se prononcer sur la prescription de la créance de dommages et intérêts de l'administration, cependant qu'elle n'était pas le juge de droit commun de ladite créance, la chambre des appels correctionnels, statuant sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale, a violé l'article L. 281 du livre des procédures fiscales ;
2°/ que, deuxièmement, il n'appartient pas à la juridiction répressive de connaître des contestations susceptibles de s'élever entre les parties, lors de l'exécution des condamnations civiles qu'elle a prononcées ; qu'en retenant sa compétence pour se prononcer sur la prescription de l'exécution du chef civil de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 21 février 2008, cependant que le juge répressif se prononçant sur un incident n'était pas compétent pour ce faire, la chambre des appels correctionnels, statuant sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 710 du code de procédure pénale et L. 281, 2°, b, du livre des procédures fiscales :
7. Si les juridictions répressives peuvent statuer sur les incidents contentieux relatifs à l'exécution des sentences qu'elles ont prononcées, le premier de ces textes ne leur donne pas le pouvoir de constater la prescription d'une créance civile, même si elle résulte d'une décision pénale.
8. Le juge de droit commun visé par le second de ces textes pour connaître des procédures d'exécution d'une telle créance relevant du code des procédures civiles d'exécution est celui défini par le code de l'organisation judiciaire compte tenu du caractère effectif au 1er décembre 2024 de la décision d'inconstitutionnalité du 17 novembre 2023 du Conseil constitutionnel (Cons. const., 17 novembre 2023, décision n° 2023-1068 QPC).
9. Pour dire recevable la requête en incident d'exécution portée devant elle, la cour d'appel énonce que la jurisprudence admet que les juridictions répressives soient, en application des dispositions de l'article 710 du code de procédure pénale, saisies d'incidents contentieux portant sur les dispositions civiles du jugement, lorsque ceux-ci sont liés à l'action civile en réparation du dommage né d'une infraction pénale.
10. Les juges relèvent que la demande de M. [B] visant à faire juger prescrite la créance de l'administration fiscale constitue un incident d'exécution lié à l'action civile en réparation du dommage né d'une infraction pénale et non pas une difficulté d'exécution relative à cette même action, survenue ultérieurement entre les parties.
11. Ils en concluent qu'ils sont compétents pour statuer sur la requête.
12. En se déterminant ainsi, alors que la requête ne porte pas sur une difficulté en lien avec des dispositions de la décision pénale mais sur une difficulté de recouvrement de créance civile, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
13. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation à intervenir ne concerne que la disposition constatant la prescription de la créance de 162 000 euros. Les autres dispositions seront donc maintenues.
15. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Angers, en date du 16 mai 2023, mais en sa seule disposition relative à la prescription de la créance de 162 000 euros, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que la chambre correctionnelle de la cour d'appel était incompétente pour statuer sur la prescription de la créance de dommages intérêts de l'Etat français de 162 000 euros résultant de l'arrêt n° 136 du 21 février 2008 de la chambre correctionnelle de la cour d'appel d'Angers ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Angers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille vingt-quatre.