LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 24-80.583 F-D
N° 01458
LR
4 DÉCEMBRE 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 DÉCEMBRE 2024
Mme [F] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 14 décembre 2023, qui, pour blessures involontaires aggravées, l'a condamnée à 1 500 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Coirre, conseiller, les observations de la SCP Duhamel, avocat de Mme [F] [P], les observations de la SCP Poupet & Kacenelenbogen, avocat de Mme [I] [T], épouse [O] et la Caisse nationale de santé, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Coirre, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [I] [T], épouse [O], a été mordue par des chiens appartenant à Mme [F] [P] et a subi une incapacité totale de travail de dix jours.
3. Mme [P] a été poursuivie pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, résultant de l'agression d'un chien.
4. Les juges du premier degré, après requalification, l'ont déclarée coupable de la contravention de blessures involontaires avec incapacité inférieure ou égale à trois mois, condamnée à une amende, et ont prononcé sur les intérêts civils.
5. Mme [P], le ministère public et l'assureur de la prévenue, partie intervenante, ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, les troisième et quatrième moyens
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [P] coupable du délit de blessure involontaire par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement et ayant causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois sur la personne de Mme [O], l'atteinte résultant de l'agression commise par un chien dont elle était, selon l'arrêt, propriétaire ou gardienne au moment des faits, ce qui était toutefois contesté, alors :
« 1°/ que le délit les blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois suppose la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement ; que les dispositions de l'article 1385 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui traitent, de manière générale, de la responsabilité civile du propriétaire d'un animal du fait des dommages qu'il a causés, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé, n'instaurent pas une telle obligation particulière au sens de l'article 222-20 du code pénal ; qu'en affirmant cependant, pour juger qu'il existait une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi, que si aucune loi ou règlement n'impose de clôturer son terrain en cas de possession d'un chien, il appartenait à Mme [P] de mettre tout en oeuvre pour assurer l'absence de dommage causé par un chien sous sa responsabilité, ainsi qu'en dispose l'article 1385 du code civil, la cour d'appel a violé les articles 222-20 et 222-20-2 du code pénal et l'article 1385 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance précitée du 10 février 2016, et l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 222-20 du code pénal et 1243 du code civil :
8. Il résulte du premier de ces textes que le délit de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois ne peut être caractérisé qu'en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement.
9. Aux termes du second, le propriétaire d'un animal, ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé.
10. Pour dire établi le délit de blessures involontaires avec incapacité n'excédant pas trois mois par agression d'un chien, l'arrêt attaqué énonce
qu'en sa qualité de gardienne de celui-ci, il appartenait à Mme [P] de mettre tout en oeuvre pour assurer l'absence de dommage causé par cet animal placé sous sa responsabilité, ainsi qu'en dispose l'article 1385 du code civil.
11. Les juges retiennent qu'en ne sécurisant pas suffisamment son grillage, alors qu'elle était parfaitement avisée de cette nécessité au regard de la dangerosité de ses chiens, la prévenue a commis une violation manifestement délibérée de l'obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par ce texte.
12. En statuant ainsi, par référence à l'article 1243, anciennement 1385, du code civil, qui, s'il pose le principe général d'une responsabilité civile extracontractuelle du propriétaire ou de l'utilisateur d'un animal, ne prévoit pas d'obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d'appréciation personnelle du sujet, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
13. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Metz, en date du 14 décembre 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille vingt-quatre.