LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° V 24-82.224 FS-B
N° 01388
SL2
4 DÉCEMBRE 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 DÉCEMBRE 2024
Mme [G] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 8 mars 2024, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et importation de marchandises prohibées, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 3 juin 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Bloch, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [G] [O], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction des douanes et droits indirects, et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Bloch, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, M. de Lamy, Mmes Jaillon, Clément, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, M. Michon, conseillers référendaires, M. Crocq, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 16 mai 2023, les agents des douanes ont procédé au contrôle et à la fouille du véhicule de Mme [G] [O], qui ont permis la découverte de produits stupéfiants.
3. Mme [O] a été mise en examen des chefs susmentionnés.
4. Le 6 juillet 2023, elle a saisi la chambre de l'instruction d'une requête aux fins de nullité du contrôle douanier et des actes subséquents.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche
5. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de nullité portant sur le contrôle douanier opéré le 16 mai 2023 sur le véhicule de Mme [O], et sur l'ensemble des actes subséquents (fouille du véhicule, interpellation, placement en retenue douanière, ouverture d'une enquête, puis d'une information), alors « que par décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022, publiée au Journal Officiel le 23 septembre 2022, le Conseil Constitutionnel a constaté la non-conformité à la constitution de l'article 60 du code des douanes, avec report au 1er septembre 2023 de l'abrogation du texte, et interdiction de contester sur le fondement de cette inconstitutionnalité les mesures prises avant la publication de la décision du Conseil ; en l'espèce, le contrôle douanier a été effectué le 16 mai 2023 sur le fondement de dispositions non conformes à la Constitution et à une date à laquelle il était interdit aux douanes de mettre en oeuvre ces dispositions sous peine de les voir annuler ; en affirmant que le Conseil Constitutionnel aurait entendu que les dispositions restent en vigueur jusqu'à leur abrogation, et que la régularité des opérations contestées ne pouvait être appréciée qu'à la lumière du droit commun des nullités de procédure, la chambre de l'instruction a méconnu l'autorité de chose jugée attachée à la décision QPC précitée, méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé l'article 62 de la Constitution de 1958. »
Réponse de la Cour
7. Pour rejeter la nullité du contrôle douanier tirée de l'inconstitutionnalité de l'article 60 du code des douanes dans sa version applicable au litige, issue du décret n° 48-1985 du 8 décembre 1948, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de la décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022 que le Conseil constitutionnel, considérant que l'abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives, a reporté au 1er septembre 2023 la date de leur abrogation tout en précisant que les mesures prises avant la publication de sa décision ne pouvaient être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
8. Les juges en déduisent que les mesures prises postérieurement à cette publication, intervenue le 23 septembre 2022, peuvent être contestées.
9. Ils ajoutent que pour autant, elles ne sauraient être considérées comme étant nulles du seul fait du constat d'inconstitutionnalité de l'article 60 du code des douanes dès lors que le Conseil constitutionnel a entendu que ce texte demeurerait en vigueur jusqu'à la date de son abrogation.
10. Ils en concluent que la régularité des opérations de fouille contestées doit être appréciée à la lumière du droit commun des nullités de procédure.
11. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu le texte visé au moyen.
12. En effet, il résulte de la décision précitée que la date de l'abrogation de l'article 60 du code des douanes a été reportée au 1er septembre 2023 et que le Conseil constitutionnel n'a pas assorti sa décision d'une réserve transitoire s'appliquant avant cette abrogation, une telle réserve ne pouvant être qu'explicite.
13. Par ailleurs, il ne saurait être déduit de ce que le Conseil constitutionnel a précisé dans sa décision que les mesures prises avant la publication de celles-ci ne peuvent être contestées sur le fondement de l'inconstitutionnalité retenue, que les contrôles douaniers effectués entre cette publication et l'abrogation de l'article 60 du code des douanes pourraient l'être.
14. Enfin, à la suite de cette décision, le législateur a réécrit cet article 60 par la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023, entrée en vigueur le 20 juillet 2023.
15. Les contrôles opérés avant cette date sur le fondement de l'article 60 du code des douanes ne peuvent donc être contestés en raison de l'inconstitutionnalité de cet article.
16. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de nullité portant sur le contrôle douanier opéré le 16 mai 2023 sur le véhicule de Mme [O], et sur l'ensemble des actes subséquents (fouille du véhicule, interpellation, placement en retenue douanière, ouverture d'une enquête, puis d'une information), alors :
« 1°/ que l'interpellation, la fouille et le placement en retenue douanière d'une personne, attentatoire à sa liberté d'aller et venir et à sa vie privée, doivent être prévus et organisés par la loi au sens des articles 5 § 1 et 8 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, c'est-à-dire par une loi accessible, claire et exclusive de toute généralité ; l'article 60 du code des douanes dans sa rédaction de 1949, antérieur à la loi du 18 juillet 2023, ici applicable, permet à tout agent des douanes, sans aucune distinction ni précision, de procéder à des visites de marchandises, des moyens de transport et des personnes sur l'ensemble du territoire douanier pour « l'application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude » ; ce texte ne répond pas aux exigences de précision et de proportionnalité que doit présenter la loi au sens des articles 5 et 8 précités pour permettre aux autorités de porter atteinte à la liberté d'aller et venir et à la vie privée ; en validant des mesures prises sur le fondement de ce texte inconventionnel, faute d'un cadre légal juridique actuel et suffisant, la chambre de l'instruction a violé les articles 5 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
18. L'article 60 du code des douanes, dans sa version applicable aux faits, permet aux agents des douanes, pour l'application des dispositions de ce code et en vue de la recherche de la fraude, de procéder au contrôle des marchandises, des moyens de transport et des personnes, sans accord de la personne, ni autorisation préalable de l'autorité judiciaire et sans qu'il soit nécessaire de relever l'existence préalable d'un indice laissant présumer la commission d'une infraction, en tout lieu public des territoires douanier et national où se trouvent des personnes, des moyens de transports ou des marchandises, à toute heure du jour et de la nuit et à l'égard de toute personne se trouvant sur place, ce qui inclut la possibilité de fouiller ses vêtements et ses bagages.
19. La jurisprudence a précisé que cette mesure de contrainte ne peut s'exercer que le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite, que les agents des douanes ne disposent pas d'un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée, qu'ils ne sont pas autorisés à procéder à la visite d'un véhicule, stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public, libre de tout occupant, qu'ils ne peuvent procéder à une fouille à corps impliquant le retrait des vêtements, qu'ils doivent procéder à l'inventaire immédiat des indices recueillis lors du contrôle et les transmettre dans les meilleurs délais à l'officier de police judiciaire compétent pour qu'il procède à leur saisie et placement sous scellés et que la personne concernée par le contrôle peut, si elle fait l'objet de poursuites, faire valoir par voie d'exception la nullité de ces opérations.
20. En premier lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que ne constitue pas une ingérence à la liberté d'aller et venir la possibilité pour une personne d'être interpellée et soumise à une fouille préventive dans certaines zones dès lors qu'elle n'est nullement empêchée d'y pénétrer, d'y circuler et d'en partir (CEDH, décision du 15 mai 2012, Colon c. Pays-Bas, n° 49458/06).
21. En second lieu, il résulte de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et qu'il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, poursuit un des buts légitimes prévus audit article.
22. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, les termes « prévue par la loi » signifient que la loi doit être suffisamment accessible et prévisible, c'est-à-dire énoncée avec assez de précision pour permettre au justiciable ¿ en s'entourant au besoin de conseils éclairés ¿ de régler sa conduite et que pour répondre à ces exigences, le droit interne doit offrir une certaine protection contre les atteintes arbitraires des pouvoirs publics aux droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH [GC], arrêt du 4 décembre 2008, S. et Marper c. Royaume-Uni, n° 30562/04 et 30566/04). Lorsqu'il s'agit de questions touchant aux droits fondamentaux, la loi irait à l'encontre de la prééminence du droit, l'un des principes fondamentaux d'une société démocratique consacrés par ladite convention, si le pouvoir d'appréciation accordé à l'exécutif ne connaissait pas de limite (CEDH, arrêt du 28 février 2019, Beghal c. Royaume-Uni, n° 4755/16).
23. Afin d'apprécier si les garanties prévues par le droit interne limitent suffisamment ces pouvoirs pour offrir une protection adéquate contre toute ingérence arbitraire dans le droit au respect de la vie privée, il convient de prendre en considération la portée géographique et temporelle des pouvoirs, la latitude accordée aux autorités pour décider si et quand exercer ces pouvoirs, toute limitation éventuelle à l'ingérence que l'exercice de ces pouvoirs occasionne, la possibilité d'un contrôle juridictionnel de l'exercice des pouvoirs et une supervision indépendante de l'usage qui en est fait (CEDH, arrêt du 28 février 2019 précité).
24. Aussi, l'article 60 du code des douanes ne saurait être regardé comme compatible avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qu'aux conditions qui suivent.
25. Les agents des douanes ne peuvent exercer le droit de visite prévu par l'article 60, selon les modalités rappelées aux paragraphes 18 et 19, que s'ils constatent l'existence de raisons plausibles de soupçonner la commission ou la tentative de commission d'une infraction douanière, ou s'ils opèrent dans des zones et lieux présentant des risques particuliers de commission d'infractions douanières. Ces zones et lieux sont le rayon douanier et les bureaux des douanes, tels que définis par l'article 44, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 juillet 2023 précitée, et l'article 47 du code des douanes, ainsi que ceux énumérés par le premier alinéa de l'article 67 quater du même code.
26. La méconnaissance de ces conditions, susceptible d'avoir entraîné une atteinte au droit au respect de la vie privée, n'affecte qu'un intérêt privé. Aussi, le juge pénal ne peut prononcer la nullité, en application des dispositions de l'article 802 du code de procédure pénale, que si cette irrégularité elle-même a occasionné un préjudice au requérant, lequel ne peut résulter de la seule mise en cause de celui-ci par l'acte critiqué (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 21-80.642, publié au Bulletin).
27. Par ailleurs, la Cour de cassation juge que l'ingérence dans la vie privée qui résulte de la fouille d'un véhicule étant, par sa nature même, moindre que celle résultant d'une perquisition dans un domicile, il appartient au requérant d'établir qu'un tel acte lui a occasionné un grief (Crim., 16 janvier 2024, pourvoi n° 22-87.593, publié au Bulletin).
28. En l'espèce, l'arrêt attaqué énonce que le contrôle douanier a fait suite à un renseignement sur une remontée depuis le sud de la France, sur l'autoroute A83, de produits stupéfiants par un convoi composé de deux véhicules précisément identifiés, conforté par les constatations des agents des douanes qui ont observé le passage du véhicule ouvreur suivi de celui conduit par Mme [O].
29. Il s'ensuit que les juges ont relevé que les agents des douanes ont procédé au contrôle après avoir constaté l'existence de raisons plausibles de soupçonner la commission d'une infraction douanière.
30. Dès lors, le grief doit être écarté.
31. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille vingt-quatre.