LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 novembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 632 FS-B
Pourvoi n° T 23-17.036
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 NOVEMBRE 2024
1°/ M. [T] [G],
2°/ Mme [P] [X], épouse [G],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° T 23-17.036 contre l'arrêt rendu le 13 avril 2023 par la cour d'appel de Rouen (chambre de la proximité - section paritaire), dans le litige les opposant à Mme [E] [O], épouse [Y], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme [G], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [O], et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mme Schmitt, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 13 avril 2023), par acte du 20 juin 1982, Mme [O] (la bailleresse) a donné à bail à long terme à M. et Mme [X] un domaine agricole comprenant une maison d'habitation.
2. Par acte du 7 octobre 1996, M. et Mme [X] ont cédé le bail à M. et Mme [G] (les preneurs).
3. Les preneurs ont fait construire, sans l'autorisation préalable de la bailleresse, divers bâtiments d'exploitation sur le fonds et aménager une chambre supplémentaire dans la maison d'habitation.
4. Le 15 janvier 2020, la bailleresse a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en fixation du montant du fermage du bail renouvelé, tenant compte de la valeur locative de ces constructions.
Examen du moyen
Sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire et juger que les preneurs ont réalisé des constructions irrégulières pendant le bail
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de dire et juger que la bailleresse est bien fondée à solliciter l'inclusion dans le prix du bail de la valeur locative des constructions irrégulières
Enoncé du moyen
6. Les preneurs font grief à l'arrêt de dire et juger que la bailleresse est bien fondée à solliciter dans le prix du bail renouvelé les modifications qu'ils ont réalisées irrégulièrement avant le renouvellement du bail, alors « que les conditions du bail renouvelé sont en principe celles du bail précédent ; que le bailleur ne peut solliciter d'augmentation du montant du fermage que si, en accord avec le preneur, il a réalisé des investissements dépassant ses obligations légales ou lorsque des investissements lui sont imposés par une personne morale de droit public, ou encore lorsqu'il a supporté définitivement l'indemnité due au preneur sortant en application des articles L. 411-69 à L. 411-77 ; qu'en conséquence, les améliorations apportées par le preneur ¿ qu'elles aient ou non été autorisées par le bailleur ¿ ne peuvent en principe être prises en considération pour le calcul du loyer à l'occasion du renouvellement du bail ; qu'en retenant, pour dire que Mme [Y] était bien fondée à solliciter dans le prix du bail renouvelé les modifications réalisées irrégulièrement par les époux [G] avant le renouvellement du bail, qu'elle est devenue propriétaire des constructions érigées sans son accord et au cours des renouvellements et que le preneur a perdu tout droit à indemnisation en sortie de bail, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé l'article L. 411-12 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 411-50 du même code ».
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 411-12, L. 411-50, L. 411-69 et L. 411-73 du code rural et de la pêche maritime :
7. Aux termes du deuxième de ces textes, à défaut de congé, le bail est renouvelé pour une durée de neuf ans. Sauf conventions contraires, les clauses et conditions du nouveau bail sont celles du bail précédent ; toutefois, à défaut d'accord entre les parties, le tribunal paritaire fixe le prix et statue sur les clauses et conditions contestées du nouveau bail ; le prix est établi conformément aux articles L. 411-11 à L. 411-16 de ce code.
8. Selon le premier, sauf si le bailleur, en accord avec le preneur, a réalisé des investissements dépassant ses obligations légales ou lorsque des investissements sont imposés au bailleur par une personne morale de droit public, ou encore lorsque le bailleur a supporté définitivement l'indemnité due au preneur sortant en application des articles L. 411-69 à L. 411-77, le fermage ne peut comprendre, en sus du prix calculé comme indiqué à l'article L. 411-11, aucune redevance ou service de quelque nature que ce soit.
9. Il résulte des derniers que le preneur qui a apporté des améliorations au fonds loué, sans obtenir l'autorisation préalable du bailleur, alors qu'elle était nécessaire, est privé de l'indemnité que ces textes prévoient.
10. Il est jugé que, pour fixer le montant du fermage du bail renouvelé, il n'y a pas lieu de tenir compte des améliorations apportées par le preneur qui ne doivent être appréciées qu'à la sortie de ferme (Soc., 18 octobre 1962, pourvoi n° 60-13.905, Bull. N° 734 ; 3e Civ., 13 février 1970, pourvoi n° 67-13.752, Bull. N° 108).
11. Dès lors, les améliorations irrégulièrement apportées au fonds loué par le preneur, qui ne donneront lieu à aucune indemnisation de la part du bailleur, ne peuvent être prises en considération pour la fixation du prix du fermage du bail renouvelé.
12. Pour dire et juger que la bailleresse est fondée à solliciter dans le prix du bail renouvelé les modifications que les preneurs ont réalisées irrégulièrement avant le renouvellement du bail, l'arrêt énonce, d'abord, que l'accession du bailleur à la propriété des constructions édifiées par le preneur intervient à l'expiration du bail en cours, le bail renouvelé s'analysant comme un nouveau bail.
13. Il retient, ensuite, que s'il est constant que le renouvellement du bail a pour effet de reporter l'indemnisation du preneur, au titre des améliorations qu'il a apportées, à l'époque de sa sortie de ferme, de sorte que les améliorations sont évaluées à cette date et qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte pour déterminer le prix du bail renouvelé, ce raisonnement ne vaut que si les travaux ont été autorisés préalablement par le bailleur puisque le non-respect de l'autorisation préalable a pour sanction l'impossibilité pour le preneur de se faire indemniser en fin de bail.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt jugeant que la bailleresse est bien fondée à solliciter dans le prix du bail renouvelé les modifications que les preneurs ont réalisées irrégulièrement entraîne la cassation des chefs de dispositif ordonnant une expertise judiciaire et confiant à l'expert la mission de chiffrer le montant du fermage au regard des constructions réalisées par les preneurs, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit et juge que M. et Mme [G] ont réalisé des constructions irrégulières pendant le bail, l'arrêt rendu le 13 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne Mme [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [O] et la condamne à payer à M. et Mme [G] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille vingt-quatre.