LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 novembre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 698 F-D
Pourvoi n° M 23-19.560
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 NOVEMBRE 2024
La société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, société coopérative de banque à forme anonyme et capital variable, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 23-19.560 contre l'arrêt rendu le 7 juin 2023 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [T] [U],
2°/ à M. [B] [U],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
3°/ à la société Europodium, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ à M. [J] [N], domicilié [Adresse 4], pris en qualité de liquidateur de la société Europodium,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [T] [U], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [B] [U], après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 7 juin 2023), par une convention du 11 juillet 1994, la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque) a ouvert un compte courant au profit de la société Europodium (la société).
2. Par actes des 2 juillet 1996 et 2 avril 1997, MM. [B] et [T] [U] se sont rendus cautions des obligations de la société envers la banque.
3. Le 4 août 2011, la banque a consenti à la société une nouvelle convention de compte courant.
4. La société s'étant montrée défaillante, la banque a assigné les cautions en paiement du solde débiteur du compte courant.
5. Ces dernières ont soutenu ne s'être engagées que pour garantir la seule convention du 11 juillet 1994, et non celle du 4 août 2011.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
6. La banque fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré réguliers les cautionnements de MM. [U], de déclarer caducs les actes de cautionnements consentis par MM. [U] les 2 juillet 1996 et 2 avril 1997, et de dire, en conséquence, irrecevables les demandes en paiement de la banque, alors :
« 3°/ que si une caution prend l'engagement, limité en montant et non en durée, de garantir toutes les dettes dont le débiteur pourrait être tenu envers un établissement de crédit, son cautionnement couvre également les dettes nées des conventions non encore conclues à la date où elle s'engage ; que pour déclarer caducs les cautionnements souscrits par MM. [U] envers la banque les 2 juillet 1996 et 2 avril 1997 au profit de la société Europodium, la cour d'appel a retenu que la banque ne justifiait pas avoir informé les deux cautions de la conclusion de la nouvelle convention de compte courant le 4 août 2011 ni d'avoir sollicité qu'elles manifestent leur volonté de maintenir leur engagement, et en a déduit qu'au jour de l'exercice de l'action en paiement contre les cautions le 31 mai 2018, la cause des cautionnements initialement souscrits avait disparu ; qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que les cautionnements litigieux couvraient à hauteur de 700 000 francs pour M. [T] [U] et de 300 000 francs pour M. [B] [U] toutes les dettes dont la société Europodium pourrait être tenue envers la banque sans limitation de durée, ce dont il résultait qu'ils couvraient aussi les dettes nées de conventions non encore conclues au jour où les cautions se sont engagées, et donc que les cautions pouvaient être valablement poursuivies en paiement d'une dette née de la convention de compte du 4 août 2011, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l'article 2015 du code civil en sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2006-346 du 23 mars 2006, ensemble l'article 1134 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°/ que par actes des 2 juillet 1996 et 2 avril 1997, MM. [U] se sont engagés à garantir à hauteur de 700 000 francs pour M. [T] [U] et de 300 000 francs pour M. [B] [U] toutes les dettes dont la société Europodium pourrait être tenue envers la banque sans limitation de durée, ce dont il résultait qu'ils couvraient aussi les dettes nées de conventions non encore conclues au jour où les cautions se sont engagées, et donc que les cautions pouvaient être valablement poursuivies en paiement d'une dette née de la convention de compte du 4 août 2011 ; qu'en jugeant les cautionnement caducs au motif que les cautions n'avaient pas renouvelé leurs engagements après la conclusion de la convention du 4 août 2011, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
7. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
8. Pour déclarer caducs les cautionnements consentis par MM. [U], l'arrêt, après avoir énoncé que le cautionnement ne se présume pas et doit être exprès et que, par application des dispositions de l'article 2292 du code civil, il ne peut pas être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté, retient qu'en cas de modification dans les relations contractuelles entre le débiteur et le créancier postérieure à la souscription de l'engagement de caution, la caution doit manifester de manière expresse sa volonté de maintenir son engagement. Après avoir relevé que la banque ne justifiait pas avoir informé MM. [U] de la signature de la nouvelle convention de compte courant et d'avoir sollicité de ceux-ci leur accord pour maintenir leur engagement de caution, il en déduit que leurs cautionnements étaient caducs, la cause de l'engagement initialement consenti ayant disparu.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que, par les actes de cautionnement litigieux, MM. [U] s'étaient rendus cautions de toutes les obligations dont le débiteur principal pourrait être tenu vis-à-vis de la banque et qu'il n'était pas établi que cette dernière les en ait déchargés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne MM. [B] et [T] [U] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [B] et [T] [U] et les condamne à payer à la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre.