LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 24-82.237 F-D
N° 01427
ODVS
26 NOVEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 NOVEMBRE 2024
Mme [I] [S] et M. [C] [S] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 26 mars 2024, qui, dans l'information suivie contre eux, des chefs, pour la première, de modification de l'état des lieux d'un crime ou d'un délit et, pour le second, d'infractions à la législation sur les stupéfiants et blanchiment, a prononcé sur leurs demandes d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 24 juin 2024, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.
Des mémoires ampliatif et personnel ont été produits.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [I] [S] et M. [C] [S], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 21 avril 2023, Mme [I] [S] a été mise en examen du chef de modification de l'état des lieux d'un crime ou d'un délit et M. [C] [S] des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et blanchiment.
3. Ils ont tous deux saisi la chambre de l'instruction de requêtes et mémoires en annulation de pièces de la procédure.
Examen de la recevabilité du mémoire personnel de Mme [S]
4. Le mémoire, produit au nom de Mme [S] par un avocat au barreau de Martinique, ne porte pas la signature de la demanderesse.
5. Dès lors, en application des articles 584 et suivants du code de procédure pénale, il n'est pas recevable et ne saisit pas la Cour de cassation des moyens qu'il pourrait contenir.
Examen des moyens
Sur les troisièmes moyens communs aux demandeurs
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen proposé pour M. [S]
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la nullité de la garde à vue à raison de la tardiveté de l'avis à avocat et a dit n'y avoir lieu à annulation de la garde à vue de ce chef, alors :
« 1°/ d'une part que lorsque la personne gardée à vue sollicite l'assistance d'un avocat, l'avocat désigné ¿ ou le bâtonnier en cas de demande de commission d'office ¿ doit être informé de cette demande « sans délai » à peine de nullité de la garde à vue ; qu'au cas d'espèce, il ressortait des éléments de la procédure que Monsieur [S] avait été placé en garde à vue le 20 avril 2024 à 10 heures 40 mais qu'il n'avait pu rencontrer son avocat que le 20 avril 2024 à 18 heures 25, aucune mention d'un avis à avocat ne figurant dans les procès-verbaux de déroulement de la garde à vue ; qu'en déduisant la régularité de l'avis à avocat de l'heure de l'avis à magistrat, de l'heure de demande de prolongation de garde à vue, de l'heure de présentation de Monsieur [S] au juge des libertés et de la détention pour prolongation de la garde à vue et de l'entretien de 18 heures 25, la Cour s'est prononcée par des motifs impropres à établir que l'avis à avocat a été effectué sans délai, et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 63-3-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ d'autre part que lorsque la personne gardée à vue sollicite l'assistance d'un avocat, l'avocat désigné ¿ ou le bâtonnier en cas de demande de commission d'office ¿ doit être informé de cette demande « sans délai » à peine de nullité de la garde à vue ; qu'au cas d'espèce, il ressortait des éléments de la procédure que Monsieur [S] avait été placé en garde à vue le 20 avril 2024 à 10 heures 40 mais qu'il n'avait pu rencontrer son avocat que le 20 avril 2024 à 18 heures 25, aucune mention d'un avis à avocat ne figurant dans les procès-verbaux de déroulement de la garde à vue ; qu'en déduisant la régularité de l'avis à avocat des mentions portées ex post sur le procès-verbal récapitulatif de garde à vue, lesquelles ne pouvaient suppléer l'indication par un procès-verbal spécifique, établi au cours de la garde à vue, des modalités d'avis à avocat, la Chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 63-3-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'absence d'avis à avocat, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort du procès-verbal récapitulatif de garde à vue que Mme [U], avocat, a été avisée du placement en garde à vue de M. [S] à 10 heures 40, puis après la prolongation de garde à vue à 14 heures 15.
9. En prononçant ainsi, et dès lors que l'intéressé a signé sans observation le procès-verbal récapitulatif de déroulement de sa garde à vue, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
10. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen proposé pour M. [S]
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de M. [S] tendant à la restitution de son téléphone, placé sous scellé du fait de son placement en garde à vue, hors toute perquisition, alors :
« 1°/ d'une part que la saisie et le placement sous scellé au cours de la garde à vue, hors toute perquisition, d'un téléphone portable détenu par la personne gardée à vue trouve dans la mesure de garde à vue son support nécessaire, de sorte que l'annulation des auditions de la personne gardée à vue doivent entraîner l'annulation de la saisie et du placement sous scellé de son téléphone ; que viole les articles 64-1, 174, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale la Chambre de l'instruction qui, ayant annulé les auditions de Monsieur [S] en garde à vue à raison de l'absence d'enregistrement audiovisuel, refuse d'annuler par voie de conséquence la saisie et le placement sous scellé du téléphone de Monsieur [S], pourtant intervenus hors perquisition, du seul fait du placement de Monsieur [S] en garde à vue ;
2°/ d'autre part qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les saisies et placements sous scellés litigieux, explicitement critiqués par la défense, ne trouvaient pas leur fondement dans la mesure de garde à vue dont elle a pourtant relevé l'irrégularité, la Chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 64-1, 174, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
12. Pour rejeter le moyen de nullité des saisies et placements sous scellés, l'arrêt attaqué énonce que l'irrégularité de la garde à vue n'affecte pas la régularité de la perquisition, dès lors que cette mesure n'en est pas le support nécessaire.
13. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu les textes visés au moyen.
14. En effet, la saisie du téléphone ne trouve pas son support nécessaire dans les auditions annulées mais dans la mesure de garde à vue, non annulée en l'espèce.
15. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le premier moyen proposé pour Mme [S]
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen d'annulation de la garde à vue tiré de la tardiveté de l'avis à Parquet et a dit n'y avoir lieu à annulation de la garde à vue de ce chef, alors « que le procureur de la République doit être informé, dès le début de cette mesure, du placement d'une personne en garde à vue et des motifs de ce placement ; que cette obligation s'impose même lorsque le placement intervient sur instruction du procureur ; qu'au cas d'espèce, il ressort des éléments de la procédure que le procureur de la République a été informé le 19 avril 2023 à 20 heures 05 du placement en garde à vue de Madame [S], intervenu à 19 heures 20 ; qu'en affirmant, pour écarter le moyen tiré de la tardiveté de cette information, que Madame [S] avait été placée en garde à vue sur instructions du procureur de la République, la Chambre de l'instruction a statué par un motif inopérant en violation des articles 62, 63, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Pour rejeter le moyen de nullité tiré de ce que l'avis au procureur de la République du placement en garde à vue de l'intéressée est intervenu tardivement, l'arrêt attaqué énonce que ce magistrat a été informé le 19 avril 2023, à 20 h 05, du placement en garde à vue de Mme [S] intervenu le soir même à 19 h 20.
18. Les juges ajoutent que c'est le procureur de la République, lors d'un compte rendu téléphonique de l'officier de police judiciaire à 19 h 10, qui a donné instructions à ce dernier de procéder à l'interpellation de Mme [S] et à la perquisition de son domicile.
19. Les juges en concluent que le contrôle de la garde à vue par le procureur de la République a été effectif, ses instructions ayant été exécutées dans les dix minutes de l'appel téléphonique, même si l'information du respect de celles-ci n'a été donnée que quarante-cinq minutes plus tard.
20. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance, la chambre de l'instruction, qui a constaté que le procureur de la République avait été informé du placement en garde à vue, intervenu sur ses directives, a justifié sa décision.
21. Le moyen doit dès lors être écarté.
Sur le deuxième moyen proposé pour Mme [S]
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [S] tendant à la restitution de son téléphone, placé sous scellé du fait de son placement en garde à vue, hors toute perquisition, alors :
« 1°/ d'une part que la saisie et le placement sous scellé au cours de la garde à vue, hors toute perquisition, d'un téléphone portable détenu par la personne gardée à vue trouve dans la mesure de garde à vue son support nécessaire, de sorte que l'annulation des auditions de la personne gardée à vue doit entraîner l'annulation de la saisie et du placement sous scellé de son téléphone ; que viole les articles 64-1, 174, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale la Chambre de l'instruction qui, ayant annulé les auditions de Madame [S] en garde à vue à raison de l'absence d'enregistrement audiovisuel, refuse d'annuler par voie de conséquence la saisie et le placement sous scellé du téléphone de Madame [S], pourtant intervenus hors perquisition, du seul fait du placement de Madame [S] en garde à vue ;
2°/ d'autre part qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les saisies et placements sous scellés litigieux, explicitement critiqués par la défense, ne trouvaient pas leur fondement dans la mesure de garde à vue dont elle a pourtant relevé l'irrégularité, la Chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 64-1, 174, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
23. Le moyen n'est pas fondé dès lors que la saisie du téléphone ne trouve pas son support nécessaire dans les auditions annulées mais dans la mesure de garde à vue, non annulée en l'espèce.
Mais sur le quatrième moyen proposé pour Mme [S]
Enoncé du moyen
24. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [S] tendant à l'annulation de sa mise en examen, alors : « que devant les juges du fond, Madame [S] sollicitait l'annulation de sa mise en examen en relevant que l'examen de la procédure les amènerait, au besoin après avoir prononcé les autres annulations sollicitées, à constater qu'il n'existe à son encontre aucun indice de la commission d'une infraction quelconque, et a fortiori de l'infraction objet de sa mise en examen ; qu'en rejetant cette demande sans y consacrer aucun motif de son arrêt, la Chambre de l'instruction a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
25. Selon ce texte tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
26. Pour rejeter la demande de Mme [S] qui exposait que la nullité de ses auditions en garde à vue devait entraîner le prononcé de la nullité de sa mise en examen, en l'absence d'indices graves ou concordants, l'arrêt attaqué énonce que l'irrégularité de la garde à vue n'affecte pas l'interrogatoire de première comparution, dès lors que cette mesure n'en est pas le support nécessaire.
27. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
28. En effet, dès lors qu'elle prononçait l'annulation des procès-verbaux d'audition de la personne mise en examen, la chambre de l'instruction devait, comme cela lui était demandé, apprécier la persistance d'indices graves ou concordants pouvant justifier la mise en examen au regard des annulations ainsi prononcées.
29. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
30. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la demande d'annulation de la mise en examen de Mme [S], toutes autres dispositions étant expressément maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 26 mars 2024, mais en ses seules dispositions relatives à la demande d'annulation de la mise ne examen de Mme [S], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt-quatre.