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20/11/2024 | FRANCE | N°C2401404

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 novembre 2024, C2401404


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° Z 23-84.570 F-D


N° 01404




SL2
20 NOVEMBRE 2024




CASSATION SANS RENVOI




Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 NOVEMBRE

2024






M. [N] [E] et Mme [Y] [T], épouse [E], ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-12, en date du 3 juillet 2023, qui, pour fraude fiscale, a condamné, l...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° Z 23-84.570 F-D

N° 01404

SL2
20 NOVEMBRE 2024

CASSATION SANS RENVOI

Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 NOVEMBRE 2024

M. [N] [E] et Mme [Y] [T], épouse [E], ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-12, en date du 3 juillet 2023, qui, pour fraude fiscale, a condamné, le premier, à six mois d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction de gérer, la seconde, à un mois d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction de gérer, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [N] [E] et Mme [Y] [T], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des finances publiques, de la direction départementale des finances publiques de Seine-et-Marne et de l'Etat français, et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 octobre 2024 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Piazza, conseiller rapporteur, M. Wyon, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. L'administration fiscale a déposé plainte auprès du procureur de la République le 21 septembre 2017 pour fraude fiscale contre M. [N] [E] et Mme [Y] [T], épouse [E], pour des minorations de revenus au titre des années 2012, 2013 et 2014 portant sur un montant total de 119 224 euros.

3. Ils ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel.

4. Par jugement en date du 27 février 2020, le tribunal correctionnel les a déclarés coupables du chef de fraude fiscale et condamnés à dix mois d'emprisonnement avec sursis, 25 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction de gérer. Le tribunal a également reçu la constitution de partie civile de l'administration fiscale.

5. M. et Mme [E] ont relevé appel du jugement, ainsi que le procureur de la République.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches

6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. et Mme [E] coupables de fraude fiscale pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2015, alors :

« 3°/ que, en tout état de cause, lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ; qu'en refusant, pour apprécier la gravité de la fraude reprochée à M. [E] et Mme [T], de connaître de la contestation élevée par les prévenus quant au montant des droits éludés avancé par l'administration, la cour d'appel, qui a ainsi méconnu l'étendue de son office, a méconnu l'article 1741 du code général des impôts et les décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016 546 QPC du 24 juin 2016 du Conseil constitutionnel ;

4°/ qu'en se contentant par ailleurs de relever, pour dire que la fraude reprochée à M. [E] et Mme [T] était suffisamment grave pour justifier la répression pénale complémentaire, que les prévenus auraient perçu sur trois années consécutives, sans les déclarer, des sommes conséquentes provenant de sociétés dans lesquelles M. [E] était associé ou avait des responsabilités sociales, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision au regard de l'article 1741 du code général des impôts, des décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 du Conseil constitutionnel et de l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme aux principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines le cumul des poursuites et sanctions pénales et fiscales en cas de dissimulation de sommes sujettes à l'impôt, comme en cas d'omission de déclaration.

9. Cependant, le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 1741 du code général des impôts qui sanctionne la fraude fiscale ne s'applique qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt, ou d'omission déclarative, cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention.

10. Il résulte de cette réserve d'interprétation que lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.

11. Pour condamner les prévenus du chef de fraude fiscale, l'arrêt attaqué énonce notamment que M. et Mme [E] ont fait l'objet d'une procédure fiscale et qu'à la suite du jugement rendu par le tribunal administratif, les omissions déclaratives de l'impôt sur le revenu portent, selon l'administration fiscale, sur la somme totale de 104 213 euros.

12. Les juges précisent que les prévenus ont perçu sur leurs comptes bancaires personnels, durant trois années consécutives, les sommes conséquentes précitées, au titre de capitaux mobiliers, provenant de plusieurs sociétés, qu'ils n'ont pas déclarées.

13. Ils en concluent que cela constitue une fraude grave de nature à justifier la répression pénale complémentaire.

14. En se déterminant ainsi, par des motifs qui, procédant de son appréciation souveraine, établissent qu'elle a procédé au contrôle des éléments de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. et Mme [E] à la peine complémentaire d'interdiction de gérer une entreprise ou une société pour une durée de cinq ans, alors « que l'article 1750 du code général des impôts limite l'interdiction de gérer, prononcée à titre de peine complémentaire, aux entreprises commerciales ou industrielles et aux sociétés commerciales, de sorte qu'en condamnant néanmoins les prévenus à une peine d'interdiction de gérer une entreprise ou une société, sans limitation, pendant une durée de cinq ans, la cour d'appel, qui a ainsi puni les prévenus d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, a méconnu les articles 111-3 du code pénal et 1750 du code général des impôts. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 111-3 du code pénal :

17. Selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.

18. Après avoir déclaré M. et Mme [E] coupables de fraude fiscale, l'arrêt attaqué les a condamnés, notamment, à l'interdiction de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de cinq ans.

19. En prononçant ainsi une interdiction de gérer toute entreprise ou toute société, alors que l'article 1750 du code général des impôts applicable limite une telle interdiction aux entreprises commerciales ou industrielles et aux sociétés commerciales, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

20. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation, qui sera limitée aux dispositions relatives à la peine complémentaire d'interdiction de gérer prononcée, aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

22. Les dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de M. et Mme [E] étant devenue définitive par suite du rejet du premier moyen, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 3 juillet 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la peine complémentaire d'interdiction de gérer prononcée, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT que l'interdiction de gérer prononcée à titre de peine complémentaire contre M. et Mme [E] est limitée à la direction, à l'administration, au contrôle ou à la gestion, directes ou indirectes, d'une entreprise commerciale ou industrielle ou d'une société commerciale ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. et Mme [E] devront payer aux parties représentées par la SCP Foussard et Froger, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2401404
Date de la décision : 20/11/2024
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 03 juillet 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 20 nov. 2024, pourvoi n°C2401404


Composition du Tribunal
Président : Mme de la Lance (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Laurent Goldman, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 10/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:C2401404
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