LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 23-82.263 F-D
N° 01402
SL2
20 NOVEMBRE 2024
CASSATION
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 NOVEMBRE 2024
Le procureur général près la cour d'appel de Lyon a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 7e chambre, en date du 29 mars 2023, qui a relaxé MM. [S] [Z], [U] [I], [Y] [M] et [G] [T] du chef d'abus de confiance.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Wyon, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de MM. [S] [Z], [U] [I], [Y] [M] et [G] [T], et les conclusions de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 octobre 2024 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Wyon, conseiller rapporteur, Mme Piazza, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 10 février 2016, la société [2] a déposé plainte contre certains de ses anciens salariés, leur reprochant d'avoir détourné des documents et fichiers informatiques lui appartenant au profit de la société [1], au sein de laquelle ils travaillaient désormais.
3. La plaignante a produit à l'appui de sa plainte des documents saisis en avril 2015 par un huissier de justice, qui avait été mandaté par une ordonnance du président du tribunal de commerce, rendue à la requête de la société [2] sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, aux fins de se rendre dans les locaux de la société [1] et de saisir les documents susceptibles de conforter ses soupçons de concurrence déloyale.
4. Par arrêt du 10 janvier 2017, la cour d'appel de Lyon a rétracté l'ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce du 8 avril 2015, annulé les opérations de constat de l'huissier de justice du 15 avril 2015, ordonné la restitution à la société [1] dudit constat et des pièces saisies, et fait interdiction à la société [2] d'en faire usage.
5. Après une enquête préliminaire, le procureur de la République a fait citer devant le tribunal correctionnel MM. [S] [Z], [U] [I], [Y] [M] et [G] [T] pour abus de confiance.
6. Par jugement du 23 octobre 2020, le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus.
7. Le ministère public a relevé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité du pourvoi, contestée par le mémoire en défense
8. Le ministère public puisant dans les articles 567 et 591 du code de procédure pénale le droit de se pourvoir en cassation afin de poursuivre l'annulation d'une décision qui lui paraît entachée d'illégalité, le pourvoi du procureur général est recevable, quand bien même le ministère public n'a pas, devant la cour d'appel, sollicité de condamnation à l'encontre des prévenus, s'en remettant à la décision des juges.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Énoncé du moyen
9. Le moyen est pris de la violation des articles 1er, 427, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, 9, 496 et 497 du code de procédure civile.
10. Il reproche à l'arrêt attaqué d'avoir relaxé les prévenus :
1°/ en écartant des débats des pièces pourtant soumises au contradictoire, sans aucun fondement juridique ;
2°/ alors qu'une infraction se prouve selon le principe de la libre administration de la preuve, dès lors que celle-ci est discutée contradictoirement devant le juge, le particulier n'étant pas soumis au principe de loyauté et de licéité de la preuve ;
3°/ alors qu'en l'espèce, l'autorité judiciaire n'est à l'origine d'aucun stratagème et n'est intervenue dans le cadre d'aucune procédure pénale ;
4°/ sans expliquer en quoi le défaut de désistement de la plaignante serait un moyen déloyal ou illicite de preuve, l'action publique étant mise en mouvement par le ministère public.
Réponse de la Cour
Vu l'article 427 du code de procédure pénale :
11. Selon ce texte, hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui.
12. Pour renvoyer les prévenus des fins de la poursuite en ne retenant que des éléments de la procédure autres que ceux résultant de l'intervention annulée de l'huissier, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que dès lors que l'ordonnance sur requête autorisant la saisie d'éléments de preuve est rétractée, elle devient nulle et non avenue, et que les opérations de constat étant alors purement et simplement annulées, les pièces saisies, qui doivent être restituées, ne doivent plus apparaître ni être utilisées, étant censées ne jamais avoir existé.
13. Les juges ajoutent que si ces pièces figurent encore matériellement en procédure, puisqu'elles avaient été saisies avant la décision d'annulation, elles ne pouvaient pas être utilisées postérieurement, ni pour servir de base à la citation devant le tribunal correctionnel après une nouvelle saisine des gendarmes, ni comme élément de preuve dans le cadre du procès.
14. Ils en concluent que le principe de la liberté de la preuve édicté par l'article 427 du code de procédure pénale se heurte au principe de la licéité et de la loyauté de la preuve, qui doit prévaloir.
15. En prononçant ainsi, dès lors qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter des moyens de preuve remis par un particulier aux services d'enquête au seul motif qu'ils auraient été obtenus ou conservés de façon illicite, mais qu'il leur appartient seulement, en application de l'article 427 du code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire des parties, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le premier moyen de cassation proposé, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 29 mars 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille vingt-quatre.