LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 23-85.581 F-D
N° 01364
LR
14 NOVEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 NOVEMBRE 2024
Mme [M] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 25 avril 2023, qui, pour envoi réitéré de messages malveillants et atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, l'a condamnée à trois ans d'interdiction de paraître, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de Me Soltner, avocat de Mme [M] [N], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 9 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [M] [N] a été poursuivie des chefs de mise en danger d'autrui, envoi réitéré de messages malveillants et atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui.
3. Les juges du premier degré ont relaxé la prévenue du chef de mise en danger d'autrui et l'ont condamnée, pour les autres infractions, à trois mois d'emprisonnement avec sursis. Il ont également prononcé sur les intérêts civils.
4. Mme [N] a relevé appel principal de cette décision et le ministère public a formé appel incident.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé sur la peine le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Bordeaux le 14 décembre 2021 et statuant à nouveau, fait application des dispositions de l'article 131-6-12° du code pénal et condamné en répression Mme [N] à une interdiction de paraître sur la commune de Lesparre-Médoc pendant trois ans, alors :
« 1°/ que les peines qui portent atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, telle la peine faisant interdiction au prévenu de paraitre dans la commune où se trouve son domicile, ne peuvent être prononcées que pour autant qu'elles sont proportionnées au but légitime recherché ; qu'en l'espèce, pour prononcer à l'encontre de Madame [N] la peine d'interdiction de paraître sur la commune de Lesparre-Médoc, la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'une telle mesure lui permettrait de quitter les lieux qui sont le siège des infractions commises ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher si l'interdiction de paraître pendant trois ans dans la commune du lieu de son domicile n'était pas disproportionnée au regard de la situation particulière de la prévenue qui est âgée, gravement malade, sans capacité de travail, bénéficiant d'une allocation adulte handicapé pour une invalidité de plus de 80% et n'ayant pour seule famille qu'une s?ur habitant à plusieurs centaines de kilomètres, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des exigences de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3°/ qu'en matière correctionnelle toute peine doit être motivée au regard de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle tant en ce qui concerne son principe que son quantum ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à dire que le prononcé de la peine alternative à l'emprisonnement prévue au 12° de l'article 131-6 du code pénal, à savoir l'interdiction de paraitre sur la commune de Lesparre-Médoc, était justifiée en ce qu'une telle mesure permettrait à Madame [N] de quitter les lieux qui sont le siège des infractions commises mais n'a accordé aucune motivation quant au choix de la durée de cette peine qui n'apparait que dans le dispositif comme étant fixé à trois années, soit le maximum prévu par le texte susvisé ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des exigences de l'article 132-1 du code pénal, ensemble l'article 131-6 du même code et les articles 485, 485-1 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme :
6. Il se déduit du texte conventionnel susvisé que le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte au droit au respect du domicile de l'intéressé portée par la peine qu'il prononce lorsqu'une telle garantie est invoquée, ou procéder à cet examen d'office lorsque les modalités d'une peine non prononcée en première instance et non requise par le ministère public privent le condamné de la jouissance de son domicile.
7. Pour condamner la prévenue à une interdiction de paraître pendant trois ans sur la commune de Lesparre-Médoc, l'arrêt attaqué constate d'abord que l'intéressée y habite seule dans un appartement qu'elle loue depuis 2014, évoquant comme seule famille une soeur demeurant dans le Tarn et qu'elle n'a aucune activité professionnelle, percevant l'allocation adulte handicapé pour un handicap fixé à un taux de 80 %.
8. Les juges ajoutent qu'il convient de tenir compte de la gravité de l'infraction et de la personnalité de son auteur, les informations disponibles sur sa situation matérielle, familiale et sociale révélant que Mme [N] ne supporte ni ses voisins, ni les autorités municipales, et passe donc le plus clair de son temps à essayer de leur nuire.
9. Ils en déduisent qu'elle doit bénéficier de la peine alternative à l'emprisonnement prévue par les dispositions de l'article 131-6-12° du code pénal pour lui permettre, du moins temporairement, de quitter le lieu où les infractions ont été commises, à savoir la commune de [Localité 1].
10. En se déterminant ainsi, alors que l'interdiction de paraître n'ayant pas été prononcée en première instance et n'ayant pas été requise par le ministère public, il lui appartenait de rechercher si l'atteinte portée au droit au respect du domicile de la prévenue ainsi que de sa vie privée et familiale était proportionnée, la cour d'appel a méconnu le texte conventionnel susvisé et le principe ci-dessus énoncé.
11. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation sera limitée à la peine, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 25 avril 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.