LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 23-83.440 F-B
N° 01363
LR
14 NOVEMBRE 2024
CASSATION
IRRECEVABILITE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 NOVEMBRE 2024
M. [X] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises des Yvelines, en date du 15 mai 2023, qui, pour viols aggravés, l'a condamné à dix ans de réclusion criminelle, dix ans d'interdiction du territoire français et une confiscation, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour aurait prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de M. [X] [Y], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 9 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt du 12 mai 2022, la cour criminelle du département du Val-d'Oise a condamné M. [X] [Y], pour viols aggravés, à onze ans de réclusion criminelle, cinq ans de suivi socio-judiciaire, l'interdiction définitive du territoire français et une confiscation.
3. L'accusé a relevé appel principal de cette décision, limitant son appel aux peines prononcées.
4. Le ministère public a formé appel incident « à l'encontre des dispositions pénales de l'arrêt rendu le 12 mai 2022 par la Cour criminelle départementale du Val d'Oise ayant condamné [X] [G] [Y] [...] :
- à la peine de onze (11) années de réclusion criminelle,
- à une mesure de suivi socio-judiciaire durant cinq (5) années,
- à une injonction de soins,
- à trois (3) ans la durée maximum de l'emprisonnement encouru en cas d'inobservation des obligations qui lui sont imposées,
- à l'interdiction définitive du territoire français,
- à la confiscation des scellés,
- et ayant constaté son inscription au Fichier Judiciaire National Automatisé des auteurs d'Infractions Sexuelles et Violentes pour des faits de viol commis sur mineur de plus de 15 ans, le 13 mai 2016, à [Localité 2] (78) et de viol commis sur un mineur de plus de 15 ans, le 31 mai 2016, à [Localité 1] (95) dont a été victime [S] [C]. »
Examen de la recevabilité du pourvoi formé contre l'arrêt civil
5. Aucun arrêt civil n'ayant été rendu le 15 mai 2023, le pourvoi formé contre une décision inexistante est irrecevable.
Examen du pourvoi formé contre l'arrêt pénal
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, par arrêt incident, rejeté les conclusions d'incident déposées à l'audience du 12 mai 2023 sollicitant que la cour d'assises dise avoir commis une erreur de droit par violation de l'article 380-1 du code de procédure pénale en estimant ne pas avoir à se prononcer sur la culpabilité de l'accusé mais être seulement saisie des peines prononcées par la cour criminelle départementale du Val-d'Oise le 12 mai 2022, alors :
« 1°/ que l'affaire est dévolue à la cour d'assises, statuant en appel, dans la limite fixée par l'acte d'appel ; qu'il résulte de l'article 380-2-1 A du code de procédure pénale, que l'appel formé par l'accusé ou le ministère public peut indiquer qu'il ne conteste pas les réponses données par la cour d'assises sur la culpabilité et qu'il est limité à la décision sur la peine, que dans ce cas, seuls sont entendus devant la cour d'assises statuant en appel les témoins et experts dont la déposition est nécessaire afin d'éclairer les assesseurs et les jurés sur les faits commis et la personnalité de l'accusé, sans que soient entendues les personnes dont la déposition ne serait utile que pour établir sa culpabilité et que, dans une telle hypothèse lorsque la cour d'assises se retire pour délibérer, les dispositions relatives aux questions sur la culpabilité ne sont pas applicables ; que dès lors, en l'absence d'indication expresse dans l'acte d'appel limitant l'appel à la décision sur la peine, celui-ci doit être entendu comme portant tant sur la décision de culpabilité que sur la peine ; qu'ainsi, l'énonciation dans l'acte d'appel incident du ministère public formé « à l'encontre des dispositions pénales de l'arrêt rendu » de l'ensemble des peines auxquelles l'accusé a été condamné n'entraîne pas la limitation de l'effet dévolutif aux seules peines prononcées, en l'absence d'une expression de volonté formellement exprimée en ce sens, et quand bien même l'accusé aurait quant à lui limité son appel principal aux peines prononcées contre lui ; qu'en l'espèce, l'énonciation dans l'acte d'appel incident du ministère public formé « à l'encontre des dispositions pénales de l'arrêt rendu » de l'ensemble des peines auxquelles M. [Y] a été condamné n'entraîne pas la limitation de l'effet dévolutif aux seules peines prononcées, en l'absence d'une expression de volonté formellement exprimée dans l'acte d'appel incident du ministère public en date du 19 mai 2022 ; que la cour d'assises, statuant en appel, après avoir relevé que « la déclaration d'appel mentionnant l'ensemble des peines auxquelles l'accusé [X] [G] [Y] a été condamné » (procès-verbal des débats, p. 8, § 2) et énoncé que la « déclaration du ministère public, qui a formé appel incident, mentionne expressément les peines auxquelles l'accusé a été condamné, limitant ainsi l'objet de cet appel aux seules peines prononcée » (ibidem, § 7) en a déduit que « l'appel incident du ministère public doit nécessairement s'entendre comme un recours formé du seul chef des peines prononcées afin, comme il est d'usage, de permettre à la juridiction d'appel d'apprécier pleinement les dites peines et leur quantum » (ibidem, § 9) et que « la cour d'assises, statuant en appel, n'étant pas saisie des infractions dont [X] [G] [Y] a été déclaré coupable par une décision à ce jour définitive, ne pourra statuer à nouveau sur la culpabilité de ce dernier et rejettera dès lors les conclusions d'incident de la défense comme mal fondées » (ibidem, § 10) ; qu'elle a énoncé par ailleurs qu'il « appartient à la cour d'assises d'appel d'apprécier l'étendue de sa saisine dans la limite des termes des actes d'appel » (ibidem, § 5) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'assises, statuant en appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a statué pardes motifs contradictoires en violation de l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 380-2-1 A dudit code ;
2°/ que le ministère public, qui veille au respect de l'application de la loi et à l'exécution des décisions de justice, dispose d'un droit général d'appel des décisions prononcées par les juridictions répressives statuant en première instance ; qu'il en résulte qu'est recevable l'appel du ministère public formé contre une déclaration de culpabilité conforme à ces réquisitions ; qu'il résulte, en outre, de l'article 380-2-1 A du code de procédure pénale, que l'appel formé par l'accusé ou le ministère public peut indiquer qu'il ne conteste pas les réponses données par la cour d'assises sur la culpabilité et qu'il est limité à la décision sur la peine, que dans ce cas, seuls sont entendus devant la cour d'assises statuant en appel les témoins et experts dont la déposition est nécessaire afin d'éclairer les assesseurs et les jurés sur les faits commis et la personnalité de l'accusé, sans que soient entendues les personnes dont la déposition ne serait utile que pour établir sa culpabilité et que, dans une telle hypothèse lorsque la cour d'assises se retire pour délibérer, les dispositions relatives aux questions sur la culpabilité ne sont pas applicables ; qu'il se déduit de ce texte que le ministère public est recevable à interjeter appel de l'arrêt de condamnation d'une cour d'assises, statuant en appel, conforme à ses réquisitions de condamnation ; que pour rejeter les conclusions d'incident déposées à l'audience du 12 mai 2023 sollicitant que la cour d'assises dise avoir commis une erreur de droit par violation de l'article 380-1 du code de procédure pénale en estimant ne pas avoir à se prononcer sur la culpabilité de l'accusé mais être seulement saisie des peines prononcées par la cour criminelle départementale du Val d'Oise le 12 mai 2022, la cour d'assises, statuant en appel, a énoncé qu'il n'est pas davantage contestable que le ministère public n'a pas souhaité relever appel de la culpabilité, l'accusé ayant été déclaré coupable de l'ensemble des faits objets de l'accusation » (procès-verbal des débats, p. 8, § 8) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'assises, statuant en appel, a méconnu le principe selon lequel le ministère public dispose d'un droit général d'appel, ensemble l'article 380-2-1 A du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 380-2-1 A, alinéa 1er, du code de procédure pénale :
7. Aux termes de ce texte, l'appel formé par l'accusé ou le ministère public peut indiquer qu'il ne conteste pas les réponses données par la cour d'assises sur la culpabilité et qu'il est limité à la décision sur la peine.
8. Pour rejeter les conclusions de l'accusé tendant à ce que la cour d'assises se prononce non seulement sur les peines mais aussi sur la culpabilité, l'arrêt incident du 12 mai 2023 énonce que la déclaration d'appel incident du ministère public mentionne l'ensemble des peines auxquelles l'intéressé a été condamné, limitant ainsi l'objet de cet appel aux seules peines prononcées.
9. Les juges ajoutent que le ministère public n'a pas souhaité relever appel de la culpabilité, l'accusé ayant été déclaré coupable de l'ensemble des faits objets de l'accusation.
10. Ils en déduisent que l'appel incident du ministère public doit nécessairement s'entendre comme un recours formé du seul chef des peines prononcées afin, comme il est d'usage, de permettre à la juridiction d'appel d'apprécier pleinement lesdites peines et leur durée.
11. En statuant ainsi, en l'absence de mention dans l'acte de ce que le ministère public ne contestait pas les réponses données par la cour d'assises sur la culpabilité, ou que l'appel était limité à la décision sur la peine, la cour a méconnu le texte susvisé.
12. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé contre l'arrêt civil :
Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;
Sur le pourvoi formé contre l'arrêt pénal :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'assises des Yvelines, en date du 15 mai 2023, ensemble la déclaration de la cour et du jury et les débats qui l'ont précédée ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'assises
des Hauts-de-Seine, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises des Yvelines et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.