LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 novembre 2024
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 653 F-D
Pourvoi n° V 23-17.682
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 NOVEMBRE 2024
1°/ la société Somatec manutention, société par actions simplifiée,
2°/ la société Somatec matériels pour les travaux publics et l'industrie, société par actions simplifiée,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° V 23-17.682 contre l'arrêt rendu le 5 avril 2023 par la cour d'appel de Nancy (5e chambre commerciale), dans le litige les opposant à la société Colvemat, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat des sociétés Somatec manutention et Somatec matériels pour les travaux publics et l'industrie, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Colvemat, après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 5 avril 2023), M. [J], engagé par la société Colvemat en qualité de directeur des ventes pour l'industrie, a démissionné le 13 octobre 2020.
2. Soutenant que M. [J] exerçait, pour le compte de la société Somatec manutention et de la société Somatec matériels pour les travaux publics et l'industrie (les sociétés Somatec), en violation de la clause non-concurrence stipulée dans son contrat de travail, des fonctions similaires ou concurrentes de celles exercées en son sein, la société Colvemat a, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, saisi le président d'un tribunal de commerce d'une requête tendant à ce que soient ordonnées des mesures d'instruction dans les locaux des sociétés Somatec.
3. Cette requête a été accueillie par une ordonnance du 7 juillet 2021, qui a constitué l'huissier de justice désigné pour procéder aux mesures d'instruction en qualité de séquestre des documents appréhendés et prévu qu'il ne pourrait être mis fin à ce séquestre que par une décision de justice l'autorisant à remettre les documents saisis. Les mesures d'instruction ont été exécutées le 28 juillet 2021.
4. Le 28 juillet 2021, la société Colvemat a assigné les sociétés Somatec afin qu'il soit ordonné à l'huissier de justice de lui communiquer ces documents.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. Les sociétés Somatec font grief à l'arrêt d'ordonner la remise à la société Colvemat de la copie du document intitulé « Red line » leur appartenant, alors « que si le secret des affaires ne fait pas en lui-même obstacle au prononcé d'une mesure d'instruction in futurum, les juges doivent néanmoins vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ; que les exposantes soulignaient que la communication du document Red line" ne constituait pas une mesure proportionnée au regard de l'atteinte portée au secret de leurs affaires ; qu'en se bornant à retenir que la requérante justifiait d'un motif légitime à obtenir la communication du document intitulé Red line", afin notamment de lui permettre d'établir une éventuelle violation par son ancien salarié de la clause de non-concurrence à laquelle il aurait été lié, ou encore de démontrer l'existence d'un potentiel acte de concurrence déloyale imputable aux différentes sociétés Somatec qui auraient engagé ce dernier de manière illicite sous couvert de la réalisation d'une mission d'audit confiée à la société JA conseils, son nouvel employeur, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette mesure était proportionnée au regard de l'atteinte au secret des affaires bénéficiant aux sociétés Somatec, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 10 et 145 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 145 du code de procédure civile :
7. Il résulte de ce texte que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.
8. Pour ordonner la remise de la copie du document intitulé « Red line » à la société Colvemat, l'arrêt, après avoir rappelé les termes de la clause de non-concurrence stipulée au contrat de travail qui la liait à M. [J], relève que ce dernier, devenu « consultant auditeur » pour le compte de la société JA conseils à la suite de sa démission, a reconnu avoir effectué un audit à la demande des sociétés Somatec, que ces sociétés reconnaissent que le document « Red line » est directement issu de cet audit et qu'il a été établi, en vue de l'élaboration de leur stratégie de professionnalisation et de modernisation, par M. [J], détaché par la société JA conseils. Il en déduit que la société Colvemat justifie d'un motif légitime à obtenir la communication de ce document afin de lui permettre d'établir la preuve d'une violation de la clause de non-concurrence ou encore de démontrer l'existence d'un acte de concurrence déloyale imputable aux sociétés Somatec, qui auraient engagé M. [J] de manière illicite sous couvert de la réalisation d'une mission d'audit confiée à la société JA conseils.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la remise du document intitulé « Red line » ne porterait pas une atteinte disproportionnée au droit des sociétés Somatec à la préservation de leur secret des affaires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne la remise à la société Colvemat, par la société Angle Droit Vosges, société d'huissiers de justice à Épinal, de la copie du document intitulé « Red line » et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Colvemat aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Colvemat et la condamne à payer à la société Somatec manutention et à la société Somatec matériels pour les travaux publics et l'industrie la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.