LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 novembre 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 615 FS-B
Pourvoi n° R 23-18.575
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 NOVEMBRE 2024
1°/ M. [M] [J], domicilié [Adresse 3],
2°/ M. [T] [J], domicilié [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° R 23-18.575 contre l'arrêt rendu le 16 mai 2023 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 2e section), dans le litige les opposant à M. [R] [J], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de MM. [M] et [T] [J], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [R] [J], et l'avis de Mme Compagnie, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mme Schmitt, M. Baraké, Mme Gallet, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, Mme Compagnie, avocat général, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 mai 2023) et les productions, par acte du 7 décembre 2001, M. [M] [J] et son épouse, [Z] [J], ont donné à bail diverses parcelles à l'un de leurs fils, M. [R] [J].
2. Au décès de [Z] [J], les parcelles louées sont devenues la propriété de M. [M] [J] pour cinq huitièmes en pleine propriété et trois huitièmes en usufruit, et de leurs trois enfants, MM. [R] et [T] [J] et Mme [F] [J], pour un huitième en nue-propriété chacun.
3. Le 23 avril 2018, M. [M] [J] a donné congé à M. [R] [J] pour le 31 octobre 2019 aux fins de reprise pour exploitation par son fils, M. [T] [J].
4. Le 16 août 2019, M. [R] [J] a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en annulation du congé.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. MM. [M] et [T] [J] font grief à l'arrêt de déclarer nul et de nul effet le congé délivré pour reprise le 23 avril 2018 et de rejeter toutes leurs demandes, alors « que le bénéficiaire de la reprise, qui doit justifier de la conformité de sa situation au regard du contrôle des structures, peut valablement prétendre au bénéfice du régime de la déclaration préalable quel que soit le titre en vertu duquel il exploitera les biens objet du congé pour reprise ; qu'en retenant, pour dire que M. [T] [J] ne pouvait bénéficier du régime de la déclaration préalable et par conséquent annuler le congé pour reprise, qu'il n'était pas justifié que le mode de mise à disposition des biens objet de la reprise consisterait en une donation, une location, une vente ou une succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré, quand, en l'absence de bail, les exposants exposaient que les terres seraient exploitées dans le cadre d'un prêt à usage ou en qualité d'indivisaire, la cour d'appel a violé les articles L. 331-1 et L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles L. 411-58 et L. 411-59 du même code. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 331-2, II, du code rural et de la pêche maritime, les opérations soumises à autorisation préalable sont, par dérogation et à certaines conditions, soumises à déclaration préalable lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus.
7. Ce texte fixant, de manière limitative, les modes de transmission d'un bien agricole ouvrant droit au régime de la déclaration, le candidat à l'exploitation qui entend mettre en valeur le bien au moyen d'un prêt à usage consenti par un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus ne peut relever de ce régime.
8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
9. MM. [M] et [T] [J] font le même grief à l'arrêt, alors « que le régime de la déclaration préalable peut s'appliquer à la mise en valeur d'un bien agricole de famille reçu par succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus ; qu'en retenant, pour dire que M. [T] [J] ne pouvait bénéficier du régime de la déclaration préalable et par conséquent annuler le congé pour reprise, qu'il ne justifiait pas avec son père que le mode de mise à disposition des biens objet de la reprise consisterait en une donation, une location, une vente ou une succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré, après avoir pourtant constaté qu'ils exposaient qu'à défaut de bail, les biens pourraient être exploités par M. [T] [J] en qualité d'indivisaire des biens, qualité qui était la sienne à la suite du décès de sa mère, ce dont il résultait qu'ils avaient été reçus par succession, la cour d'appel a violé les articles L. 331-1 et L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, ensemble les articles L. 411-58 et L. 411-59 du même code. »
Réponse de la Cour
10. Selon l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime, le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu'il répond aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées aux articles L. 331-2 à L. 331-5 de ce code ou qu'il a bénéficié d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions.
11. Selon l'article L. 331-2, II, du même code, les opérations soumises à autorisation préalable sont, par dérogation et à certaines conditions, soumises à déclaration préalable lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus.
12. Aux termes de l'article 578 du code civil, l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance.
13. Aux termes de l'article 582 du même code, l'usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l'objet dont il a l'usufruit.
14. Le droit transmis selon l'une des quatre modalités prévues par l'article L. 331-2, II, précité devant permettre à lui seul la mise en valeur du bien agricole par le candidat à l'exploitation, celui qui n'a reçu par succession que la nue-propriété du bien, ne lui conférant aucun droit de jouissance sur celui-ci, ne peut relever du régime de la déclaration.
15. Il ressort des constatations de la cour d'appel que M. [M] [J] a conservé l'usufruit sur le bien agricole donné à bail. Il en résulte que M. [T] [J] ne relève pas du régime de la déclaration et que le congé pour reprise est nul.
16. Par ces motifs de pur droit, substitués d'office à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne MM. [M] et [T] [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [M] et [T] [J] et les condamne in solidum à payer à M. [R] [J] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.