LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 novembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 610 F-D
Pourvoi n° C 23-19.437
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 NOVEMBRE 2024
Mme [D] [X], veuve [O], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 23-19.437 contre l'arrêt rendu le 16 mai 2023 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [G] [O], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à Mme [U] [O], domiciliée [Adresse 4],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pons, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de Mme [X], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mmes [G] et [U] [O], après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Pons, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 mai 2023), [B] [O] est décédé le 14 septembre 1989, laissant pour lui succéder Mme [X], son épouse, à qui il avait cédé le 16 septembre 1985 l'usufruit de l'universalité des biens et droits composant sa succession, et Mmes [G] et [U] [O] (Mmes [O]), ses deux filles, issues d'une première union.
2. Soutenant que Mme [X] avait laissé dépérir les biens issus de la succession, Mme [G] [O] l'a assignée, ainsi que Mme [U] [O], en extinction de l'usufruit.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [X] fait grief à l'arrêt d'ordonner l'extinction absolue de son usufruit sur le bien sis [Adresse 3] à [Localité 5], alors « que tenu des grosses réparations, à moins qu'elles n'aient été occasionnées par le défaut de réparations d'entretien depuis l'ouverture de l'usufruit, auquel cas l'usufruitier en est aussi tenu, le nu-propriétaire doit veiller à l'entretien de son immeuble, sans avoir à être informé par l'usufruitier de la nécessité de travaux à effectuer ; que pour prononcer la déchéance de l'usufruit de Mme [X], la cour d'appel a retenu, aux motifs adoptés des premiers juges et par ses motifs propres, que Mme [X] avait laissé dépérir le bien par défaut d'entretien et de soin de telle manière qu'il était devenu à l'abandon et inhabitable, compte tenu, pendant au moins 25 ans, d'une absence totale d'entretien du bien par l'usufruitière ayant entraîné une importante détérioration du gros oeuvre, notamment en raison d'inondations dont Mme [X] ne justifiait pas avoir averti les nues-propriétaires ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si Mmes [U] et [G] [O] s'étaient, pendant ces 25 années, enquises à un moment quelconque de l'état du bien, Mme [X] soulignant à cet égard qu'elles n'avaient pendant 25 ans, jamais manifesté le moindre intérêt ni la moindre interrogation sur les biens de leur père, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 618, 605 et 606 et code civil. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel a, d'abord, retenu, à bon droit, que la déchéance ne pouvait être prononcée que si l'usufruitier avait abusé de la jouissance de son usufruit, au sens de l'article 618 du code civil, en le laissant dépérir, faute d'entretien ou en le dégradant.
5. Elle a, ensuite, relevé, par motifs propres et adoptés, que Mme [X] avait quitté l'immeuble à la fin de l'année 1993, qu'il avait été ensuite loué occasionnellement à des dates non précisées, qu'il avait subi trois inondations d'origines diverses sans faire l'objet d'aucun entretien pendant près de vingt-cinq ans, les équipements de confort minimal ayant disparu ou étant hors service, des pigeons s'étant installés dans le grenier et le toit ayant subi des infiltrations d'eau, ce qui avait entraîné une importante détérioration du gros oeuvre et qu'il se trouvait, depuis plusieurs années, en état de délaissement total du fait de Mme [X], avant même le sinistre routier.
6. Elle en a souverainement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que l'abus de jouissance commis justifiait le prononcé de l'extinction du droit d'usufruit et a ainsi légalement justifié sa décision.
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7. Mme [X] grief à l'arrêt de la condamner à payer à Mmes [O] la somme de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du bien sis [Adresse 3] à [Localité 5], alors « que le préjudice, qui doit être intégralement réparé, sans perte ni profit pour la victime, ne peut être réparé deux fois ; que Mme [X] faisait valoir qu'en raison de l'accident routier ayant détruit une partie de l'immeuble litigieux, les nues propriétaires avaient perçu de l'assureur du responsable une indemnité couvrant la démolition/reconstruction de cet immeuble, pour une somme de 400 000 euros ; que la cour d'appel a considéré, au vu du rapport d'expertise, que l'indemnisation de l'accident routier était sans emport du fait que le rapport d'expertise avait distingué les désordres issus de cet accident et ceux imputables à Mme [X], la somme de 200 000 euros correspondant à la réparation des dommages, antérieurs à l'accident, imputables à Mme [X] ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'expert évaluait à la somme 405 082,03 euros le montant total des travaux de réparation/réhabilitation de l'immeuble, qu'il imputait pour partie au défaut d'entretien de l'immeuble par Mme [X] et pour partie à l'accident routier, et sans expliquer en quoi les nues-propriétaires, qui, de leur propre aveu, avaient déjà perçu 349 600 euros du chef de l'accident routier, pouvaient dans ces conditions revendiquer un préjudice matériel supplémentaire de 200 000 euros à raison des désordres imputés à Mme [X], peu important qu'ils aient été antérieurs à l'accident routier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil, ensemble le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux
conclusions constitue un défaut de motifs.
9. Pour fixer le montant des dommages-intérêts alloués à Mmes [O] en réparation de leur préjudice, l'arrêt retient qu'il résulte des productions et du rapport d'expertise que les désordres issus de l'accident routier et ceux imputables précédemment à Mme [X] ont été distingués et que la somme de 200 000 euros correspond à la réparation des dommages imputables à Mme [X].
10. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de Mme [X] qui soutenait que Mmes [O] se prévalaient, pour former leur demande, d'un rapport d'expertise chiffrant à 405 082 euros le coût des travaux de remise en état totale du bien consécutif tant au défaut d'entretien imputable à Mme [X] qu'à l'accident routier, mais reconnaissaient avoir été indemnisées par l'assureur du véhicule à hauteur de 349 600 euros, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme [X] à payer à Mmes [G] et [U] [O] la somme de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts, des suites de l'extinction du droit d'usufruit sur le bien sis [Adresse 3] à [Localité 5], l'arrêt rendu le 16 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne Mmes [G] et [U] [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mmes [G] et [U] [O] et les condamne à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.