LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 novembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 591 F-D
Pourvoi n° U 23-15.634
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 NOVEMBRE 2024
La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° U 23-15.634 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2023 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre civile TGI), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [A] [D], domicilié [Adresse 6],
2°/ à la société Les Muriers, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société [C] [O], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], ayant un établissement secondaire [Adresse 5], prise en la personne de M. [C] [O], en sa qualité de mandataire liquidateur de M. [I] [G],
4°/ à la société Allianz France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
5°/ à la société Hirou, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 7], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. [D],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société civile immobilière Les Muriers, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Boyer, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 10 mars 2023), en 2007, la société civile immobilière Les Muriers (la SCI Les Muriers) a confié à M. [D], assuré auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), la maîtrise d'oeuvre de la construction d'immeubles de logement.
2. Les lots gros oeuvre et charpente ont été confiés à M. [G], assuré auprès de la société AGF, aux droits de laquelle vient la société Allianz IARD.
3. En raison de retards et de réserves quant à la qualité des travaux, le maître de l'ouvrage a procédé au remplacement de M. [G] en cours de chantier.
4. M. [G] a été mis en liquidation judiciaire, M. [L] puis la société [C] [O] étant désignés en qualité de liquidateur.
5. La SCI Les Muriers a assigné M. [G] et son liquidateur, ainsi que la société Allianz IARD et M. [D], aux fins de réparation de ses préjudices. M. [D] a appelé la société Axa en intervention forcée.
6. M. [D] a été mis en liquidation judiciaire en cours d'instance et son liquidateur, la société Hirou, a été assigné en intervention forcée.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La société Axa fait grief à l'arrêt de dire qu'elle garantira M. [D] de l'ensemble des sommes que celui-ci sera condamné à verser et de la condamner à payer à la SCI Les Muriers la somme de 442 627,66 euros dont 377 670,22 TTC, somme à laquelle il conviendra de déduire la TVA récupérable, déduction faite de la part de responsabilité de la maîtrise d'ouvrage, et de rejeter ses demandes relatives à l'application d'un plafond de garantie et de la franchise contractuelle, alors « que le juge doit motiver sa décision en fait et en droit ; qu'en se bornant à énoncer, après avoir rappelé les dispositions de l'article L. 124-5 du code des assurances ainsi que les principes applicables en matière d'application dans le temps des assurances de responsabilité civile professionnelle, que « l'appelante est mal fondée à soutenir qu'elle ne doit plus sa garantie à raison d'un sinistre déclaré après la résiliation du contrat d'assurance », et par motifs éventuellement adoptés des premiers juges, qu' « il est reproché au maître d'oeuvre l'inexécution de ses obligations d'exécution et de suivi de chantier, rentrant donc dans le champ d'application de l'assurance (?) », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
9. Pour condamner la société Axa à garantir les dommages subis par le maître de l'ouvrage, l'arrêt reproduit l'article L. 124-5 du code des assurances, pour en déduire que l'assureur est mal fondé à soutenir qu'il ne doit plus sa garantie à raison d'un sinistre déclaré après la résiliation du contrat d'assurance.
10. En statuant ainsi, par simple affirmation, sans s'expliquer sur le choix des parties au contrat d'assurance quant au déclenchement de la garantie par le fait dommageable ou par la réclamation, alors que la société Axa soutenait que la garantie était déclenchée par la réclamation et que celle-ci était intervenue après la résiliation du contrat, à une date à laquelle l'architecte était assuré auprès d'un autre assureur, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
11. La société Axa fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société Allianz IARD, venant aux droits de la société AGF, alors « qu'ayant expressément retenu l'existence de « fautes incontestables de l'entreprise MJB » ayant contribué à la survenance des préjudices subis par la SCI Les Muriers et, par ailleurs, admis la recevabilité de l'action récursoire de la société Axa, assureur de M. [D], sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la cour d'appel aurait dû nécessairement en déduire le bien-fondé de la demande de garantie dirigée par la société Axa, assureur de M. [D], contre la compagnie Allianz, assureur de M. [G] ; que dès lors, en déboutant la société Axa de cette demande, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
12. Il résulte de ce texte que la contribution à la dette de réparation du dommage causé par plusieurs auteurs a lieu en proportion de la gravité des fautes respectives de ces derniers.
13. Pour rejeter entièrement la demande de garantie de la société Axa contre la société Allianz IARD, l'arrêt retient que les préjudices subis par M. [D], résultant de ses propres manquements, constitués par une insuffisance de contrôle des opérations de construction et notamment de la bonne exécution du marché par M. [G], ne peuvent être imputés seulement à celui qui devait être surveillé par le maître d'oeuvre.
14. Il en déduit que l'assureur de M. [D] est mal fondé à solliciter la garantie de M. [G] et, donc, de son assureur, à raison des fautes de cet entrepreneur, alors que l'architecte avait justement pour mission de les empêcher, d'en limiter les effets ou d'alerter rapidement le maître de l'ouvrage, ce qu'il n'a fait qu'à partir du mois de mai 2009.
15. En statuant ainsi, après avoir retenu que M. [D] et M. [G] avaient, par leurs fautes respectives, contribué à la survenance de 75 % des dommages et que, dans leurs rapports entre eux, le partage de responsabilité devait se faire par moitié, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation ne s'étend pas au chef de dispositif rejetant l'application des franchises et plafonds du contrat d'assurance souscrit auprès de la société Axa, dès lors que les motifs critiqués par les premier et deuxième moyens ne sont pas le soutien de cette disposition.
17. Par ailleurs, les dispositions attaquées par le troisième moyen étant cassées, il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la société Axa France IARD garantira M. [D] de l'ensemble des sommes que celui-ci sera condamné à verser, en ce qu'il la condamne à payer à la société civile immobilière Les Muriers la somme de 442 627,66 euros dont 377 670,22 TTC somme à laquelle il conviendra de déduire la TVA récupérable, déduction faite de la part de responsabilité de la maîtrise d'ouvrage, en ce qu'il met hors de cause la société Allianz IARD venant aux droits de la société AGF et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 10 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis autrement composée ;
Condamne la société civile immobilière Les Muriers et la société Allianz IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille vingt-quatre.