LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 novembre 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1020 F-B
Pourvois n°
V 23-12.369
R 23-15.102 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 NOVEMBRE 2024
M. [J] [K], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 23-12.369 contre l'arrêt rendu le 14 décembre 2022 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile) et le pourvoi et R 23-15.102 contre l'arrêt rectificatif rendu le 20 mars 2023 par la même cour d'appel, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Groupama Paris Val de Loire, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié au ministère des solidarités et de la santé, [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi n° V 23-12.369, trois moyens de cassation et, à l'appui de son pourvoi n° R 23-15.102, un moyen unique de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [K], de la SCP Richard, avocat de la société Groupama Paris Val de Loire et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 septembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° V 23-12.369 et R 23-15.102 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Agen, 14 décembre 2022 et 20 mars 2023), le 23 août 2003, M. [K], alors âgé de 17 ans, a été victime d'un accident de la circulation impliquant un véhicule automobile assuré par la société Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Groupama Paris Val de Loire (l'assureur).
3. La consolidation de son état de santé a été fixée au 13 avril 2007. Il a été indemnisé de plusieurs postes de préjudice par une transaction signée le 6 décembre 2007.
4. Invoquant une aggravation de son état de santé et de sa situation socio-professionnelle, survenue à partir de l'année 2012, il a assigné l'assureur, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne, devant un tribunal de grande instance, en indemnisation des préjudices issus du dommage initial et du dommage aggravé.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches, et le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° V 23-12.369
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi n° V 23-12.369
Enoncé du moyen
6. M. [K] fait grief à l'arrêt de lui allouer les seules sommes de 206 732,14 euros au titre du poste de pertes de gains professionnels futurs et de 15 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors « que les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort ; que l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction conclue entre la victime d'un accident de la circulation et l'assureur du véhicule impliqué dans cet accident s'oppose à ce que le juge soit saisi d'une demande tendant à remettre en cause l'indemnisation allouée dans le cadre de la transaction ; qu'en revanche, elle ne s'oppose pas à ce que la victime demande un complément d'indemnité pour le préjudice qui résulte d'une aggravation du dommage postérieurement à la transaction ou pour tout chef de préjudice préexistant non inclus dans le champ de cette transaction ; que, pour juger que la demande formée par M. [K] n'était recevable qu'à compter du 2 janvier 2012, la cour d'appel a relevé qu'aucun des deux rapports d'expertise ne concluait à augmenter le taux d'incapacité permanente et qu'en l'état, il avait existé une aggravation médicale transitoire de janvier à novembre 2012 inclus ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était cependant invitée, si, indépendamment de l'existence d'une aggravation de l'état de la victime, les parties avaient entendu inclure dans le champ de la transaction le poste lié à la perte de gains professionnels futurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2052 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2052 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
7. Il résulte de ce texte et de ce principe que l'autorité de chose jugée attachée à une transaction ne fait pas obstacle à la demande d'indemnisation des préjudices initiaux qui n'y sont pas inclus.
8. Pour dire que la demande d'indemnisation des pertes de gains professionnels de M. [K] n'est recevable qu'à compter du 2 janvier 2012, l'arrêt relève que, dans l'offre définitive d'indemnisation, ayant donné lieu à la transaction intervenue en 2007, les préjudices professionnels étaient considérés presqu'inexistants. Il ajoute que les parties à la transaction n'ont pas considéré que les postes de pertes de gains professionnels anciens et futurs et d'incidence professionnelle étaient bien caractérisés.
9. Il constate, par ailleurs, qu'il a existé, d'une part, une aggravation médicale transitoire de janvier à novembre 2012, d'autre part, une aggravation situationelle tenant au fait que M. [K] n'évolue plus vers un emploi dans la vente en milieu ordinaire, comme encore envisagé en 2013, mais est pris en charge par un établissement et service d'aide par le travail.
10. En se déterminant ainsi, en limitant l'indemnisation des pertes de gains professionnels à compter de l'aggravation de l'état de santé, par des motifs insuffisants à établir que ce poste de préjudice avait été inclus dans le champ de la transaction intervenue en 2007 réparant les préjudices initiaux, ce que la victime contestait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° V 23-12.369
Enoncé du moyen
11. M. [K] fait grief à l'arrêt de lui allouer la seule somme de 15 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors « que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; que, pour limiter l'indemnisation allouée au titre de l'incidence professionnelle, la cour d'appel a relevé que M. [K] n'avait pas justifié, par des essais, que d'autres adaptations de postes de travail ordinaires auraient échoué ; qu'en limitant ainsi l'indemnisation de l'incidence professionnelle en fonction de la recherche et des essais effectués, par la victime, à des postes de travail en milieu ordinaire, la cour d'appel a méconnu l'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
12. Pour évaluer le poste de l'incidence professionnelle à la somme de 15 000 euros, l'arrêt constate que M. [K] subit une dévalorisation sur le marché du travail en ce qu'il se trouve dans une situation nouvelle, désormais pérenne, d'emploi protégé.
13. Il relève que M. [K] n'a pas justifié, par des essais, que d'autres adaptations de postes de travail en milieu ordinaire auraient échoué.
14. En statuant ainsi, alors que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt du 14 décembre 2022 entraîne, par voie de conséquence, celle de l'arrêt rectificatif du 20 mars 2023, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Groupama Paris Val de Loire à payer à M. [K] la somme de 206 732,14 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs, la somme de 15 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, et en ce qu'il statue sur les dépens, l'arrêt rendu le 14 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
CONSTATE, par voie de conséquence, l'annulation en toutes ses dispositions de l'arrêt rectificatif rendu le 20 mars 2023, entre les mêmes parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Groupama Paris Val de Loire aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Groupama Paris Val de Loire et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé et de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille vingt-quatre.