LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 octobre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER,
Arrêt n° 577 F-D
Pourvoi n° Z 23-15.432
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 OCTOBRE 2024
1°/ M. [V] [M],
2°/ Mme [S] [M],
tous deux domiciliés [Adresse 9], [Localité 12],
3°/ Mme [C] [M], épouse [I], domiciliée [Adresse 10], [Localité 12],
ont formé le pourvoi n° Z 23-15.432 contre l'arrêt rendu le 9 février 2023 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [G] [E],
2°/ à Mme [J] [L], épouse [N],
tous deux domiciliés [Adresse 13], [Localité 14],
défendeurs à la cassation.
Mme [L] a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pic, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [V] [M] et de Mmes [S] et [C] [M], de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [L], après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Pic, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 9 février 2023), Mme [M], propriétaire suite à une donation-partage du 13 août 1982 de parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 4] et [Cadastre 6], et Mme [I], propriétaire suite à une donation du 4 juillet 1994 par Mme [M] des parcelles contiguës cadastrées section AV n° [Cadastre 3] et [Cadastre 5], ont assigné Mme [N], propriétaire de la parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 7], et M. [E], propriétaire des parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 11] et [Cadastre 8], pour obtenir le rétablissement par ceux-ci du passage par eux obstrué sur le chemin d'exploitation bénéficiant à l'ensemble des parcelles.
2. Les parcelles détenues par Mme [M], Mme [I] et Mme [N] faisaient partie d'une propriété unique objet d'un acte de donation-partage du 10 avril 1947 entre [D] [L], auteur de Mme [N] et [P] [L], auteur de Mme [M].
3. M. [M] est intervenu volontairement à l'instance, les parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 4] et [Cadastre 6] dépendant de la communauté matrimoniale.
4. Mme [N] a demandé, à titre reconventionnel, la suppression de la clôture, implantée par Mme [M], empiétant sur une autre parcelle lui appartenant, cadastrée section AV n° [Cadastre 2]. Elle a également revendiqué la propriété indivise, avec les cohéritiers de [D] [L], d'une part, de la bande de terrain dénommée « Patus », constituée d'une portion de la parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 5] et d'une portion de la parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 6], d'autre part, d'un chemin partant du chemin d'exploitation, au niveau de la parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 3], et permettant d'accéder à la parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 2] sur laquelle est située un étang.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [M] et Mme [I] font grief à l'arrêt de dire que Mme [N] est recevable et bien-fondée à revendiquer la propriété indivise de la bande de terre comprise à la jonction et pour partie sur les parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 6] et [Cadastre 5] indûment occupées par eux et d'ordonner, en conséquence, la suppression de murs de clôture et de tous autres actes matériels d'emprise, tant mobilière qu'immobilière, réalisés sur cette bande de terrain, alors :
« 1°/ que celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans ; que le juste titre est celui qui, s'il était émané du véritable propriétaire, serait de nature à transférer la propriété à la partie qui invoque la prescription ; que pour dire que « les appelants ne peuvent se prévaloir d'une prescription acquisitive abrégée de 10 ans à défaut de juste titre de propriété », la cour d'appel a retenu, par motifs propres que l'acte de donation-partage du 13 août 1982 au profit de Mme [M] « ne peut avoir modifié unilatéralement les attributions de propriété réalisées par l'auteur commun des parties en 1947 » et qu'« une rectification cadastrale attribuant à [P] [L] [auteur de Mme [M]] la parcelle litigieuse sous la référence AV[Cadastre 1] ne peut avoir opéré transfert des droits de propriété attribués sur cette parcelle à [D] [L] par l'acte de partage de 1947 », et par motifs adoptés des premiers juges que « M. [P] [L] n'a pu transmettre à sa fille plus de droits qu'il n'en avait lui-même » ; qu'en statuant ainsi cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la parcelle AV[Cadastre 1] attribuée à Mme [M] par l'acte de donation-partage du 13 août 1982 incluait la bande de terrain litigieuse, peu important que son auteur n'en fut pas propriétaire, ce dont elle devait déduire l'existence d'un juste titre portant sur cette bande de terrain, la cour d'appel a violé l'article 2272 du code civil ;
2°/ qu'il était constant et acquis aux débats que Mme [S] [M] avait elle-même fait donation à sa fille, Mme [C] [M] épouse [I], de deux parcelles sur la commune d'[Localité 14] selon acte du 04 juillet 1994 ; que la cour d'appel ne pouvait exclure l'existence d'un juste titre sans rechercher si cet acte n'attribuait pas au moins pour partie la bande de terrain litigieuse à Mme [I] ; que faute de l'avoir fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2272 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2272, alinéa 2, du code civil :
7. Selon ce texte, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de dix ans pour celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre.
8. Constitue un juste titre au sens de ce texte un acte transférant la propriété consenti par celui qui n'est pas le véritable propriétaire et qui concerne dans sa totalité le bien que le possesseur entend prescrire.
9. Pour dire que Mmes [M] et [I] ne peuvent se prévaloir d'une prescription acquisitive abrégée de dix ans sur la parcelle de terre dénommée « Patus » située entre la muraille et le chemin d'exploitation, l'arrêt retient qu'en application de la clause de subsidiarité figurant dans l'acte de partage du 10 avril 1947, la bande de terrain a été attribuée à [D] [L], auteur de Mme [N], que l'acte de donation-partage du 13 août 1982 de [P] [L] à Mme [M] n'a pu modifier unilatéralement cette attribution de propriété et que Mmes [M] et [I] ne peuvent se prévaloir d'une prescription acquisitive abrégée à défaut de juste titre de propriété.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'acte de donation du 13 août 1982, transférant à Mme [M] la propriété des parcelles cadastrées AV n° [Cadastre 5] et [Cadastre 6], ainsi que l'acte de donation du 4 juillet 1994, transférant à Mme [I] la propriété de la parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 5], alors même qu'ils n'émanaient pas du véritable propriétaire de la bande de terrain litigieuse, n'avaient pas transféré, en l'incluant, la propriété de celle-ci, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
11. Mme [N] fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite son action tendant à la suppression par Mme [M] de la clôture érigée au-delà de la limite séparative de sa parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 4] sur la parcelle cadastrée AV n° [Cadastre 2], alors « que l'action du propriétaire en suppression d'un aménagement indûment implanté sur sa propriété par le propriétaire voisin constitue une action en revendication qui n'est pas susceptible de prescription extinctive ; qu'en retenant que l'action de Mme [N], tendant à la suppression de la clôture érigée par Mme [M] au-delà de la limite séparative des fonds, était une action mobilière soumise à la prescription quinquennale à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les juges du fond ont violé les articles 544, 545 et 2227 nouveau du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 544, 545 et 2227 du code civil :
12. Il résulte de ces textes que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue et qu'elle est imprescriptible.
13. Pour déclarer prescrite l'action de Mme [N] tendant à la suppression, par Mme [M], de la clôture érigée par elle au-delà de la limite séparative de la parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 4], l'arrêt retient que cette action mobilière était prescrite le 18 juin 2013 en application de la prescription quinquennale édictée par l'article 2224 nouveau du code civil.
14.En statuant ainsi, alors que Mme [N] soutenait que la clôture érigée par Mme [M] empiétait sur sa propriété et qu'elle formait ainsi une action en revendication de propriété, imprescriptible, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation des chefs de dispositif par lesquels il a été dit que Mme [N], en sa qualité de coïndivisaire de l'indivision [D] [L], est recevable et bien-fondée à revendiquer la propriété indivise de la bande de terre comprise à la jonction et pour partie sur les parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 6], indûment occupée par M. et Mme [M], et section AV n° [Cadastre 5], indûment occupée par Mme [I], et ordonné la suppression des murs de clôture et de tous autres actes matériels d'emprise, tant mobilière qu'immobilière, réalisés par les consorts [M] sur cette bande de terre et du chef de dispositif par lequel a été déclarée prescrite l'action de Mme [N] tendant à la suppression par Mme [M] de la clôture érigée au-delà de la limite séparative de sa parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 4] sur la parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 2] n'emportent pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant chacune des parties à supporter les entiers dépens à concurrence de la moitié ainsi qu'au rejet des demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres chefs de dispositif.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que Mme [N], en sa qualité de coïndivisaire de l'indivision [D] [L], est recevable et bien-fondée à revendiquer la propriété indivise de la bande de terre comprise à la jonction et pour partie sur les parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 6] indûment occupée par M. et Mme [M] et section AV n° [Cadastre 5] indûment occupée par Mme [I], en ce qu'il ordonne la suppression des murs de clôture et de tous autres actes matériels d'emprise, tant mobilière qu'immobilière, réalisés par les consorts [M] sur cette bande de terre et en ce qu'il déclare prescrite l'action de Mme [N] tendant à la suppression par Mme [M] de la clôture érigée au-delà de la limite séparative de sa parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 4] sur la parcelle cadastrée section AV n° [Cadastre 2], l'arrêt rendu le 9 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille vingt-quatre.