LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 octobre 2024
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 574 FS-B
Pourvoi n° A 23-16.882
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 OCTOBRE 2024
La Société industrielle et agricole mantaise (SIAM), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° A 23-16.882 contre l'arrêt rendu le 28 mars 2023 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant à la commune de [Localité 3], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de la Société industrielle et agricole mantaise, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la commune de [Localité 3], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Oppelt, Foucher-Gros, conseillers, Mmes Schmitt, Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, Mme Bironneau, M. Cassou de Saint-Mathurin, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 mars 2023), la commune de [Localité 3] (la commune), par deux délibérations de son conseil municipal, a décidé de mettre en oeuvre la procédure de biens présumés sans maître pour plusieurs parcelles, dont deux cadastrées section E n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2], situées sur son territoire.
2. L'incorporation des deux parcelles dans le domaine privé de la commune a été adoptée par une délibération de son conseil municipal du 8 décembre 2015, puis régularisée par acte notarié du 14 avril 2016, publié au service de la publicité foncière, le 17 mai 2016.
3. La Société industrielle et agricole mantaise (la société SIAM), propriétaire de parcelles voisines, a assigné la commune en revendication de la propriété de ces deux parcelles par l'effet de la prescription acquisitive trentenaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société SIAM fait grief à l'arrêt de rejeter sa revendication de la propriété des parcelles, alors « que l'élément intentionnel de la possession consiste dans l'intention de se comporter comme le véritable titulaire du droit, peu important que l'on sache ne pas en être titulaire ; qu'en affirmant, pour décider qu'elle n'était pas animée de l'animus domini, qu'elle savait ne pas être propriétaire des parcelles dont elle revendique la propriété par l'effet de l'usucapion pour en avoir envisagé l'acquisition auprès de propriétaires inconnus, la cour d'appel a déduit un motif inopérant, en violation des articles 2255 et 2261 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2261 du code civil :
5. Aux termes de ce texte, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
6. Pour refuser à la société SIAM le bénéfice de la prescription acquisitive, l'arrêt relève que, par courriers du 29 juin 1985, celle-ci a adressé aux anciens propriétaires des parcelles une proposition d'achat, et retient que les termes de ces écrits démontrent que la société SIAM avait parfaitement conscience de ne pas en être propriétaire, de sorte que son animus domini n'était pas établi et que, dès lors, si elle a, à partir de juillet 1987, accompli des actes matériels de possession sur les parcelles revendiquées, cette possession n'a pas été accomplie à titre de propriétaire, puisqu'elle savait qu'elle ne l'était pas.
7. En statuant ainsi, alors que la conscience du possesseur de ne pas être propriétaire est sans incidence sur l'appréciation de son intention de se conduire comme tel, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à écarter l'animus domini de la société SIAM, a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. La société SIAM fait le même grief à l'arrêt, alors « que rien ne s'oppose à l'acquisition par prescription d'une dépendance du domaine privé de la commune ; qu'en affirmant que la société SIAM ne pouvait plus se prévaloir de l'accomplissement d'actes de possession utiles pour prescrire, après la publication au service de la publicité foncière de la décision autorisant l'incorporation au domaine privé de la commune, des parcelles revendiquées, la cour d'appel a violé les articles 2255 et 2261 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2261 et 2272 du code civil :
9. Aux termes du premier de ces textes, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
10. Selon le second, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.
11. Pour écarter une prescription acquisitive trentenaire, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la société SIAM justifie d'actes matériels de possession sur les parcelles revendiquées à partir du 10 juillet 1987 utiles pour prescrire, mais qu'il s'est écoulé moins de trente ans avant la publication au service de la publicité foncière, le 17 mai 2016, de l'acte entérinant l'incorporation dans le domaine privé de la commune des deux parcelles revendiquées.
12. En statuant ainsi, alors que la publication d'un acte autorisant l'incorporation de parcelles dans le domaine privé d'une commune n'est ni interruptive de prescription, ni de nature à vicier une possession en cours et qu'il est toujours possible de prescrire contre un titre de propriété, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la commune de [Localité 3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la commune de [Localité 3] et la condamne à payer à la Société industrielle et agricole mantaise la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille vingt-quatre.