LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° T 24-80.037 F-D
N° 01276
SL2
22 OCTOBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 OCTOBRE 2024
M. [C] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 4 décembre 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, d'associations de malfaiteurs, recel et blanchiment, aggravés, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 28 mars 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [C] [H], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [C] [H] a été mis en examen des chefs rappelés ci-dessus le 27 juin 2022.
3. Le 22 décembre 2022, il a déposé une requête en annulation de pièces de la procédure.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce, alors « que le recours aux techniques spéciales d'enquête ne peut être autorisé par le juge d'instruction qu'après avis du procureur de la République ; qu'en retenant, pour écarter le moyen tiré de la nullité, faute d'avis préalable du procureur de la République, de la commission rogatoire du 7 janvier 2022 ayant autorisé le recours aux services de la société [1] dans le cadre de la surveillance de la ligne téléphonique utilisée par M. [N], que la commission rogatoire du 28 janvier 2022, par laquelle le juge d'instruction avait autorisé l'installation d'un dispositif destiné à capter les données informatiques émises ou reçues par le téléphone portable de M. [N], avait bien été « transmise préalablement pour avis au Procureur de la République », la chambre de l'instruction, qui s'est ainsi prononcée sur la validité d'une autorisation de recours à une technique spéciale d'enquête distincte de celle arguée de nullité, s'est déterminée par un motif inopérant et a ainsi méconnu l'article 706-95-12 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 de ce code. »
Réponse de la Cour
5. Pour écarter le moyen de nullité de la commission rogatoire autorisant des interceptions de communications électroniques et la géolocalisation de lignes téléphoniques, en date du 7 janvier 2022, tiré de l'absence d'avis préalable du procureur de la République, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'un tel avis a été sollicité et obtenu préalablement à l'émission de la commission rogatoire autorisant la mise en place d'un dispositif de captation de données informatiques sur le téléphone de M. [N], en date du 28 janvier 2022.
6. C'est à tort que les juges ont constaté la régularité de la commission rogatoire en date du 28 janvier 2022 dès lors que la commission rogatoire contestée était celle du 7 janvier précédent.
7. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que le juge d'instruction qui autorise, en application des articles 100 et 230-33 du code de procédure pénale, l'interception de lignes téléphoniques et leur géolocalisation en temps réel, n'est pas tenu de recueillir l'avis du procureur de la République, de telles mesures d'investigation ne constituant pas des techniques spéciales d'enquête au sens de l'article 706-95-12 dudit code.
8. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce, alors « que lorsque les données informatiques obtenues ont fait l'objet d'opérations de transformation empêchant d'accéder aux informations en clair qu'elles contiennent ou de les comprendre, ou que ces données sont protégées par un mécanisme d'authentification, une personne qualifiée peut être désignée en vue d'effectuer les opérations techniques permettant d'obtenir l'accès à ces informations, leur version en clair ainsi que, dans le cas où un moyen de cryptologie a été utilisé, la convention secrète de déchiffrement, si cela apparaît nécessaire ; que sous réserve des obligations découlant du secret de la défense nationale, les résultats sont accompagnés des indications techniques utiles à la compréhension et à leur exploitation, ainsi que d'une attestation visée par le responsable de l'organisme technique certifiant la sincérité des résultats transmis et les éléments ainsi obtenus font l'objet d'un procès-verbal de réception et sont versés au dossier de la procédure ; qu'en affirmant, pour écarter le moyen de nullité des opérations de captation de données informatiques sur le téléphone de M. [N], pris de l'absence à la procédure des éléments ci-dessus mentionnés, qu'il n'y avait « pas eu recours à une mise au clair préalable », sans répondre au mémoire de M. [H] faisant valoir qu'il y avait bien eu une mise au clair des données, celles-ci étant protégées par un mécanisme d'authentification, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 230-1, 230-3, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'absence d'attestation de sincérité, l'arrêt attaqué énonce que seule la réalisation du dispositif de captation, à savoir le programme informatique injecté, a nécessité le recours à des moyens de l'Etat couverts par le secret de la défense nationale, et que les enquêteurs ont procédé à l'exploitation des données du téléphone sans recourir à une opération de déchiffrement.
11. En statuant ainsi, et dès lors qu'il se déduit des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, qu'il n'a pas été fait recours aux moyens de déchiffrement relevant du secret de la défense nationale, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
12. Le moyen doit donc être écarté.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce, alors :
« 1°/ que les dispositifs techniques ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d'accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, de les conserver et de les transmettre, telles qu'elles sont stockées dans un système informatique, telles qu'elles s'affichent sur un écran pour l'utilisateur d'un système de traitement automatisé de données, telles qu'il les y introduit par saisie de caractères ou telles qu'elles sont reçues et émises par des périphériques, doivent faire l'objet d'une autorisation ministérielle ; qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité tiré par M. [H] de ce que le logiciel de captation des données informatiques inséré dans le téléphone de M. [N] n'avait pas fait l'objet d'un agrément ministériel, qu'« aucune disposition légale n'impose que soit produit l'agrément ministériel de ce dispositif », la chambre de l'instruction s'est déterminée par un motif impropre à établir l'existence d'un tel agrément, contestée par M. [H], et a ainsi méconnu les articles 223-3 et R. 223-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'irrégularité fait nécessairement grief au requérant lorsque la méconnaissance de la règle a irrévocablement affecté les droits de celui-ci ; que tel est le cas lorsque l'acte attentatoire à la vie privée a été accompli par une autorité qui n'était pas compétente, à défaut d'y avoir été autorisée conformément à la loi ; qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de ce que le logiciel de captation des données informatiques inséré dans le téléphone de M. [N] n'avait pas fait l'objet d'un agrément ministériel, qu'« une telle absence n'aurait en tout état de cause causé aucun préjudice au requérant, lequel ne conteste pas la teneur des messages captés grâce à ce dispositif, et un grief ne pouvant résulter de sa seule mise en cause », la cour d'appel a méconnu les articles 8 de la convention européenne des droits de l'homme et 802 du code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 226-3, 1°, R. 226-3 et R. 226-5 du code pénal, et 593 du code de procédure pénale :
13. Il se déduit des deux premiers de ces textes que la fabrication, l'importation, la détention, l'exposition, l'offre, la location ou la vente d'appareils ou de dispositifs techniques ayant pour objet la captation de données informatiques prévue à l'article 706-102-1 du code de procédure pénale doit faire l'objet d'une autorisation ministérielle, délivrée après avis de la commission mentionnée à l'article R.226-2 du code pénal.
14. Selon le troisième, cette autorisation est accordée de plein droit aux services de l'Etat désignés par arrêté du Premier ministre pour la fabrication d'appareils ou de dispositifs techniques destinés à cette fin.
15. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
16. Pour écarter le moyen de nullité tiré de l'absence d'autorisation ministérielle du dispositif technique utilisé, l'arrêt attaqué énonce qu'aucun texte ne fait obligation de produire l'autorisation, qui, de plus, recouvre des données couvertes par le secret de la défense nationale.
17. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
18. En effet, saisie d'une demande en ce sens, il lui appartenait de rechercher, au besoin par un supplément d'information, si le dispositif technique installé avait été fabriqué soit par un service de l'Etat visé à l'article R. 226-5 du code pénal, soit par une personne physique ou morale disposant d'une autorisation.
19. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la mise en oeuvre (D 1969) d'un dispositif de captation de données informatiques autorisée par la commission rogatoire du 28 janvier 2022 (D 5548). Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 4 décembre 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la mise en oeuvre d'un dispositif de captation de données informatiques autorisée par la commission rogatoire du 28 janvier 2022 (D 1969), toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille vingt-quatre.