LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 23-82.531 F-D
N° 01269
SL2
22 OCTOBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 OCTOBRE 2024
M. [C] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 9 mars 2023, qui, pour provocation non suivie d'effet à des atteintes à la vie et à l'intégrité de la personne, outrage et refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement des chefs des deux premiers délits et à la même peine du chef du troisième.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Duhamel, avocat de M. [C] [B], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 10 décembre 2019, à 13 heures, les fonctionnaires du commissariat de police de [Localité 2] encadrant une manifestation de « gilets jaunes », ont rapporté qu'un homme avait pris la parole au micro en ces termes : « il ne faut pas que les manifs se terminent aussi bien, les syndicalistes policiers ne sont pas des camarades, je parle du syndicat [1] ! Jeudi, il faudra les expulser de force. Ils vont voir ce que c'est la violence. Ce sont des syndicats d'éborgneurs ».
3. M. [C] [B], placé en garde à vue pour ces faits, a refusé de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques.
4. Déféré devant le procureur de la République, il a été convoqué devant le tribunal correctionnel, en application de l'article 394 du code de procédure pénale, pour être jugé des chefs susvisés.
5. Par jugement du 9 juin 2022, il a été déclaré coupable de l'ensemble des infractions poursuivies et condamné aux peines susvisées.
6. Le prévenu et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le moyen relevé d'office et mis dans le débat
Vu l'article 397-6 du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 :
7. Aux termes de ce texte, la procédure de convocation par procès-verbal prévue à l'article 394 du même code n'est pas applicable en matière de délits de presse.
8. Il résulte des pièces de la procédure que le prévenu a fait l'objet, le 10 décembre 2019, d'une convocation par procès-verbal pour répondre devant le tribunal correctionnel du délit de provocation non suivie d'effet à des atteintes à la vie et à l'intégrité de la personne. Il convient, en conséquence, de prononcer la nullité de la poursuite de ce chef.
9. Ainsi, la cassation est encourue.
Et sur le moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [B] coupable de provocation à commettre un crime ou un délit d'outrage envers une personne dépositaire de l'autorité publique, et l'a condamné à la peine de deux mois d'emprisonnement sans aménagement, alors :
« 3°/ que constituent un outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique les paroles qui lui sont adressées et sont de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. [B] avait dit, à l'issue d'une manifestation du mouvement des gilets jaunes, que les policiers du syndicat [1] étaient des « éborgneurs » ; qu'en s'abstenant de rechercher si ces propos avaient été adressés à des policiers de ce syndicat participant à cette manifestation, ce qui n'était pas le cas, peu important que ces derniers aient entendu les propos tenus par M. [B], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 433-5 du code pénal et de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 433-5 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
11. Est constitutif d'un outrage toute parole, gestes, menaces, écrits, image ou envoi d'objet, adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à sa fonction.
12. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
13. Pour dire établi le délit outrage à personne dépositaire de l'autorité publique et confirmer le jugement, l'arrêt retient que si le prévenu a contesté avoir qualifié les fonctionnaires de police d'« éborgneurs », d'une part, les quatre fonctionnaires ont, cependant, tous été formels sur le terme utilisé par le prévenu, d'autre part, le seul fait que ce terme ne figure pas dans la retranscription de la vidéo n'établit nullement qu'il n'ait pas été prononcé, le discours du prévenu ayant débuté avant le début de l'enregistrement.
14. Les juges ajoutent que la question de la publicité des propos tenus est sans incidence sur la caractérisation de l'infraction.
15. En se déterminant ainsi et sans rechercher en quoi les propos litigieux, s'ils ne leur avaient pas été directement adressés, seraient nécessairement rapportés aux policiers concernés, alors que le délit prévu par l'article 433-5 susvisé n'est constitué que lorsqu'il est établi que l'auteur des propos a voulu que ceux-ci soient rapportés à la personne visée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
16. La cassation est également encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs proposés.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux délits de provocation non suivie d'effet à des atteintes à la vie et à l'intégrité de la personne et d'outrage à personne dépositaire de l'autorité publique. Les autres dispositions seront donc maintenues.
18. La cassation aura lieu sans renvoi, s'agissant du premier chef d'annulation, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
19. La déclaration de culpabilité des chefs de provocation non suivie d'effet à des atteintes à la vie et à l'intégrité de la personne et d'outrage à personne dépositaire de l'autorité publique encourant la censure, la cassation interviendra sur la peine prononcée en répression de ces deux délits.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 9 mars 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux délits de provocation non suivie d'effet à des atteintes à la vie et à l'intégrité de la personne et d'outrage à personne dépositaire de l'autorité publique et à la peine prononcée en répression de ces deux délits, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi s'agissant du délit de provocation non suivie d'effet à des atteintes à la vie et à l'intégrité de la personne ;
PRONONCE la nullité des poursuites de ce chef ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, s'agissant du délit d'outrage à personne dépositaire de l'autorité publique,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille vingt-quatre.