LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 23-83.009 F-D
N° 01246
LR
16 OCTOBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 OCTOBRE 2024
M. [U] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 26 avril 2023, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à neuf mois d'emprisonnement avec sursis, 30 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [U] [Y], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la direction générale des finances publiques et de la direction départementale des finances publiques de la Loire, et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 18 septembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. L'administration fiscale a déposé plainte le 15 novembre 2018 auprès du procureur de la République contre M. [U] [Y], sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales en date du 2 juillet 2018, pour fraude fiscale portant sur des déclarations de revenus minorées pour les années 2013 à 2015.
3. M. [Y] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel.
4. Par jugement en date du 10 juin 2021, le tribunal correctionnel a débouté M. [Y] de ses exceptions de nullité de la citation et de la poursuite et de sa demande de sursis à statuer, a rejeté le moyen de prescription, a requalifié les faits de fraude fiscale par non-déclaration de boni de distribution en faits de fraude fiscale par non-déclaration de revenus de capital mobilier distribués par une personne morale, a relaxé M. [Y] des faits de fraude fiscale par non-déclaration de salaires et du bénéfice d'une vente immobilière, l'a déclaré coupable du surplus, et condamné à neuf mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 euros d'amende.
5. M. [Y], le ministère public et l'administration fiscale ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième moyens et le quatrième moyen, pris en sa seconde branche
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [Y] à neuf mois d'emprisonnement avec sursis et au paiement d'une amende de 30 000 euros, alors :
« 1°/ que lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir constaté le montant des pénalités fiscales appliquées, s'il prononce une peine de même nature, de vérifier que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ; qu'en l'espèce où il résulte des constatations mêmes de l'arrêt que M. [Y] a fait l'objet d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, la cour d'appel, en prononçant une amende de 30.000 euros sans constater le montant des pénalités fiscales appliquées afin de vérifier si le montant global de ces sanctions ne dépassait pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues, a méconnu les articles 50 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 1741 du code général des impôts sous les réserves résultant des décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018 du Conseil constitutionnel, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1741, alinéa 1, du code général des impôts sous les réserves résultant des décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 du Conseil constitutionnel :
8. Il résulte de ce texte que quiconque s'est soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel de l'impôt, notamment en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l'impôt, est passible de sanctions pénales, indépendamment des sanctions fiscales applicables en vertu de l'article 1729 du même code.
9. En vertu de l'une des réserves d'interprétation susvisées selon laquelle, si l'éventualité que deux procédures, pénale et fiscale, pour des faits de fraude fiscale soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues, lorsque le prévenu justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, le juge pénal est tenu de veiller au respect de l'exigence de proportionnalité s'il prononce une peine de même nature.
10. Pour condamner M. [Y] au paiement d'une amende pour des faits de fraude fiscale pour lesquels il avait déjà fait l'objet de sanctions fiscales définitives, l'arrêt attaqué énonce que les faits sont graves par leur ampleur, leur répétition sur plusieurs exercices fiscaux, l'atteinte portée à l'ordre public économique et à l'égalité devant la charge fiscale.
11. Les juges précisent que la nature des faits visant à masquer de confortables ressources pour échapper à l'imposition justifient une sanction pécuniaire.
12. Ils ajoutent que la peine d'amende de 30 000 euros prononcée par le tribunal correctionnel est adaptée et proportionnée aux ressources et aux charges de M. [Y].
13. En se déterminant ainsi, sans s'assurer que le montant cumulé des sanctions pénales et fiscales ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues, la cour d'appel a insuffisamment justifié sa décision.
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation sera limitée à la peine, dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 26 avril 2023, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du seize octobre deux mille vingt-quatre.