LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 octobre 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 544 F-D
Pourvoi n° Q 22-24.205
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 OCTOBRE 2024
M. [W] [P], domicilié [Adresse 8], a formé le pourvoi n° Q 22-24.205 contre l'arrêt rendu le 16 novembre 2022 par la cour d'appel de Toulouse (3e chambre), dans le litige l'opposant à M. [M] [T], domicilié [Adresse 9], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pic, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [P], de la SCP Françoise Fabiani-François Pinatel, avocat de M. [T], après débats en l'audience publique du 10 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Pic, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 16 novembre 2022), rendu en référé, M. [P] est propriétaire de parcelles cadastrées section R n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2], voisines des parcelles cadastrées section D n° [Cadastre 3] et [Cadastre 7] appartenant à M. [T].
2. Se plaignant d'une tranchée creusée par M. [T] sur les parcelles cadastrées section D n° [Cadastre 3] et [Cadastre 7] empêchant l'accès par des engins agricoles, non seulement au fonds dont il est propriétaire, mais également à ces parcelles en méconnaissance d'un contrat de commodat du 15 décembre 2004 dont il bénéficiait sur celles-ci, M. [P] a assigné M. [T] en remise en état desdites parcelles.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation sous astreinte de M. [T] à remettre les parcelles cadastrées section D n° [Cadastre 3] et [Cadastre 7] en état, alors :
« 1°/ que l'existence d'une contestation sérieuse sur le fond du droit ne fait pas obstacle aux pouvoirs du juge des référés de prescrire les mesures propres à faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, pour débouter l'exposant de ses demandes fondées sur l'existence d'un trouble manifestement illicite causé par la tranchée réalisée par M. [T] sur les parcelles D [Cadastre 3] et D [Cadastre 7], au droit des parcelles R. [Cadastre 1] et [Cadastre 2], enclavées, appartenant à M. [P], la cour d'appel a relevé que l'acte du 4 octobre 2019, aux termes duquel M. [T] a fait délivrer « congé prêt à usage » concernant notamment les parcelles D [Cadastre 3] et D [Cadastre 7], démontre la volonté de l'intéressé de mettre un terme au commodat, de sorte qu'en cet état, l'illicéité du trouble dont se prévaut M. [P] se heurte à une contestation sérieuse ; qu'en statuant ainsi, quand il résulte de ces énonciations que les juges du second degré se sont fondés sur l'existence d'une contestation sérieuse sur le fond du droit pour en déduire l'absence de trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 835 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il est fait défense au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, pour débouter l'exposant de ses demandes fondées sur l'existence d'un trouble manifestement illicite causé par la tranchée réalisée par M. [T] sur les parcelles D [Cadastre 3] et D [Cadastre 7], au droit des parcelles R. [Cadastre 1] et [Cadastre 2], enclavées, appartenant à M. [P], la cour d'appel a relevé que l'acte du 4 octobre 2019, aux termes duquel M. [T], agissant sur le fondement d'un commodat du 1er janvier 1998, a fait délivrer « congé prêt à usage » concernant notamment les parcelles D [Cadastre 3] et D [Cadastre 7], démontre la volonté de l'intéressé de mettre un terme au commodat, de sorte qu'en cet état, l'illicéité du trouble dont se prévaut M. [P] se heurte à une contestation sérieuse et que, par ailleurs, l'existence d'un commodat établi en 2004 sur les terres D [Cadastre 3] et D [Cadastre 7] n'est invoquée qu'à l'appui d'une demande de désenclavement ; qu'en statuant ainsi, quand, aux termes de ses conclusions d'appel, l'exposant ne s'est pas borné à soutenir que les terres objet du commodat du 15 décembre 2004 étaient enclavées, mais a encore fait valoir d'une part, qu'en l'état de ce contrat, que le congé délivré le 4 octobre 2019 n'avait pas dénoncé, M. [P] restait « titulaire d'un contrat de prêt à usage pour les terres cadastrées D [Cadastre 3], D [Cadastre 4], D [Cadastre 5], D [Cadastre 6] et D [Cadastre 7] », d'autre part, que la tranchée creusée par M. [T] sur les parcelles D [Cadastre 3] et D [Cadastre 7] caractérisait nécessairement un trouble manifestement illicite en ce qu'elle portait atteinte au droit de jouissance exclusif dont l'exposant bénéficiait en exécution de ce commodat, la cour d'appel, qui a dénaturé ces écritures, a méconnu le principe énoncé ci-dessus et violé l'article 1192 du code civil, et méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que les juges du fond ne peuvent trancher le litige sans viser, examiner et analyser, même succinctement, les pièces régulièrement produites au débat par les parties et qui viennent au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel a notamment énoncé que M. [P] ne rapporte pas la preuve de la situation d'enclave pour une exploitation agricole qu'il invoque ni ne justifie avec l'évidence nécessaire devant le juge des référés qu'il bénéficiait jusque-là d'une servitude de passage, d'une tolérance ou d'un passage autorisé par M. [T] sur ses terres D [Cadastre 3] et D [Cadastre 7] pour accéder à ses fonds ; qu'en statuant ainsi, sans examiner ni même viser le constat d'huissier du 4 mai 2021 qui, régulièrement produit au débat par l'exposant, démontre l'état d'enclave des parcelles appartenant à M. [P], dès lors qu'il énonce que du fait de la tranchée litigieuse, « M. [P] ne peut plus aujourd'hui accéder à ces parcelles de terre » et que s'il existait un second passage, « ce deuxième accès à ces parcelles était très étroit, très périlleux et particulièrement dangereux, aucun engin agricole ne pouvant emprunter cet accès, ce dernier étant inadapté », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que les juges du fond ne peuvent se déterminer par des motifs contradictoires ; qu'en l'espèce, en relevant, pour statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel a notamment énoncé que le congé délivré par M. [T] le 4 octobre 2019 démontre la volonté de celui-ci de mettre un terme au prêt à usage sur les terres litigieuses, à savoir les parcelles D [Cadastre 3] et D [Cadastre 7], tout en énonçant par ailleurs, pour dénier à l'exposant le droit d'accéder à ses terres en empruntant celles de M. [T], que « le bénéfice de l'exploitation des fonds D [Cadastre 7] et D [Cadastre 3] appartenant à M. [T] ne signifie pas l'autorisation de passage d'un fonds à l'autre avec des engins agricoles », ce qui revient à admettre qu'à la date à laquelle ce dernier a réalisé sa tranchée, et nonobstant la délivrance du congé litigieux, M. [P] conservait le bénéfice de cette exploitation en vertu du commodat du 15 décembre 2004 et, partant, était en droit de faire cesser le trouble manifestement illicite causé par cette tranchée qui portait directement atteinte au droit du bénéficiaire du commodat, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs contradictoires entre eux, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. En premier lieu, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis à son examen, sans être tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait d'écarter, que la cour d'appel a retenu que M. [P] ne rapportait pas la preuve de l'exploitation agricole des parcelles cadastrées section R n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2] dont il est propriétaire pour en déduire que n'était pas établie l'existence d'un droit de passage lié à une situation d'enclave de ces parcelles pour une exploitation agricole.
5. En second lieu, ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que, par acte du 4 octobre 2019, M. [T] avait régulièrement délivré congé à M. [P] pour l'ensemble des terres qu'il exploitait en vertu d'un prêt à usage, en visant les deux parcelles cadastrées section D n° [Cadastre 3] et [Cadastre 7], et que, si le commodat signé le 1er janvier 1998, au visa duquel le congé était délivré, ne mentionnait pas ces deux parcelles, l'authenticité du contrat signé le 15 décembre 2004 dont se prévalait M. [P] pour ces parcelles n'était pas rapportée, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs, sans contradiction ni dénaturation, que l'existence d'un titre d'occupation n'était pas établie.
6. Elle a ainsi légalement justifié sa décision de retenir l'absence de trouble manifestement illicite.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [P] et le condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille vingt-quatre.