LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 octobre 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 895 F-B
Pourvoi n° J 23-12.612
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 OCTOBRE 2024
Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 23-12.612 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2022 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [D] [I], domiciliée [Adresse 2],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Chambéry, domicilié en son parquet général, palais de justice, 73018 Chambéry cedex,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [I], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 septembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 15 décembre 2022), le 15 août 2014, Mme [I] a été victime de violences volontaires avec séquestration.
2. Elle a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions en indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le second moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions fait grief à l'arrêt de fixer la réparation des préjudices subis par Mme [I] à la somme de 944 142,04 euros et d'allouer à cette dernière la somme de 926 142,04 euros, déduction faite des provisions déjà versées, alors « que la victime ne peut se voir allouer en réparation de son préjudice, une somme excédant le préjudice réellement subi ; que ne sont réparées au titre de la perte de gains professionnels futurs que les seules pertes de revenus professionnels qui sont la conséquence directe de l'infraction ; que le juge ne peut allouer à ce titre à la victime une somme représentant l'intégralité des salaires qu'elle aurait perçus jusqu'à l'âge de la retraite qu'autant qu'il a constaté l'impossibilité définitive pour elle d'exercer la moindre activité professionnelle ; qu'en allouant néanmoins la somme de 790 958,37 euros, correspondant à l'intégralité du salaire de référence capitalisé à titre viager, sans constater que Mme [I] était dans l'impossibilité définitive d'exercer une quelconque activité professionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 706-3 du code de procédure pénale et du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
5. Il résulte de ce principe que la victime d'un dommage corporel ne peut être indemnisée d'une perte intégrale de gains professionnels futurs que si, en raison du dommage, après la consolidation, elle se trouve dans l'impossibilité définitive d'exercer une quelconque activité professionnelle lui procurant des gains.
6. Pour allouer à Mme [I] une somme, en réparation de ses pertes de gains professionnels futurs, correspondant à l'intégralité du salaire qui était le sien au moment de l'infraction, capitalisé selon le prix de la rente viagère, pour tenir compte de sa perte de droits à la retraite, l'arrêt constate que celle-ci était âgée de 35 ans au moment de la consolidation, qu'elle subit un déficit fonctionnel permanent de 15 % et n'occupe plus d'emploi depuis l'agression. Il retient que, en raison de ces faits, Mme [I], qui exerçait la profession de responsable d'un bureau de change, n'est plus en mesure d'exercer des métiers de contact ni des métiers appelant une manipulation d'argent, de sorte que son emploi antérieur ne peut être repris.
7. En se déterminant ainsi, sans rechercher si Mme [I] se trouvait, après la consolidation de son état de santé, dans l'impossibilité définitive d'exercer une quelconque activité professionnelle lui procurant des gains, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande au titre du préjudice d'établissement, l'arrêt rendu le 15 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du dix octobre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Cathala, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.