LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 3 octobre 2024
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 859 FS-B+R
Pourvoi n° N 21-20.979
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 OCTOBRE 2024
La caisse fédérale de Crédit mutuel de Maine-Anjou Basse-Normandie, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-20.979 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 2), dans le litige l'opposant à M. [V] [R], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bonnet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse fédérale de Crédit mutuel de Maine-Anjou Basse-Normandie, de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [R], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juillet 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Bonnet, conseiller référendaire rapporteur et M. Cardini, conseiller référendaire co-rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Mmes Ott, Grandemange, Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, Latreille, Chevet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Cathala, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application des articles 1015-1,alinéa 3, du code de procédure civile et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 1er juillet 2021), M. [R], engagé en 1982 par la société caisse fédérale de Crédit mutuel de Maine-Anjou Basse-Normandie (la société), exerce, depuis 1992, des mandats de représentation du personnel.
2. Alléguant des faits de discrimination syndicale, M. [R] a, par acte du 5 septembre 2017, saisi un conseil de prud'hommes de demandes d'indemnisation et de rappel de salaire.
3. Par jugement avant dire droit du 4 avril 2019, le conseil de prud'hommes a ordonné à la société, en application de l'article 144 du code de procédure civile, de produire les historiques de carrière de neuf salariés nommément désignés, ainsi que leurs bulletins de salaire de décembre de chaque année sur les dix dernières années d'exercice à compter de 2018. Il a, en outre, ordonné à la société de justifier, en même temps que la communication des documents, de ce qu'elle les a communiqués contradictoirement à M. [R].
4. La société a formé un appel-nullité contre ce jugement.
5. Par un arrêt du 1er juillet 2021, une cour d'appel a déclaré l'appel-nullité recevable, rejeté la demande tendant à la nullité du jugement déféré et confirmé le jugement déféré.
6. La société a formé un pourvoi contre cet arrêt.
7. Par arrêt du 30 novembre 2023 (2e Civ., 30 novembre 2023, pourvoi n° 21-20.979), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a déclaré le pourvoi recevable. Elle a ensuite renvoyé l'affaire, en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile, à la chambre sociale pour avis sur les questions suivantes :
1 - La circonstance que la communication de documents contenant des données à caractère personnel soit sollicitée à l'occasion d'une action en indemnisation engagée devant un conseil de prud'hommes pour des faits allégués de discrimination syndicale appelle-t-elle une interprétation spécifique de l'office du juge au regard de la licéité du traitement de données au sens de l'article 6 du RGPD ?
2 - Plus précisément, le juge doit-il prendre en compte, le cas échéant d'office, les intérêts des personnes concernées et les pondérer en fonction des circonstances de cette espèce, de ce type de procédure, et en tenant compte des exigences résultant du principe de proportionnalité ainsi que, en particulier, de celles résultant du principe de la minimisation des données visé à l'article 5, § 1, sous c), de ce règlement ?
8. La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu son avis le 24 avril 2024.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. La société fait grief à l'arrêt d'ordonner, sous l'égide de deux conseillers désignés comme rapporteurs, la production entre les mains de M. [R] des historiques de carrière de plusieurs agents ainsi que le bulletin de salaire du mois de décembre de chaque année et de lui ordonner d'adresser aux conseillers rapporteurs la preuve de la communication de ces éléments au demandeur, alors « que la communication de données personnelles, qui constitue un traitement au sens de l'article 4 du Règlement 2016/679 du 27 avril 2016, n'est licite que dans l'un des cas visés par l'article 6 ; qu'en se bornant à retenir d'une part qu'en sa qualité de tiers, au sens de l'article 4 Règlement, la cour était autorisée à exiger de l'employeur la communication de données personnelles et, d'autre part, que le respect du principe du contradictoire imposait la communication à M. [R] quand ni la qualité de tiers ni le principe du contradictoire n'étaient de nature à justifier la licéité de la communication en dehors des hypothèses spécialement visées par l'article 6 du Règlement la cour d'appel a violé l'article 11 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 du Règlement 2016/679 du 27 avril 2016. »
Réponse de la Cour
10. Il ressort de l'avis de la chambre sociale les éléments suivants.
11. Selon l'article 6, § 1, du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données ou RGPD), le traitement n'est licite que si, et dans la mesure où, au moins une des conditions suivantes est remplie, notamment : b) le traitement est nécessaire à l'exécution d'un contrat auquel la personne est partie ; c) le traitement est nécessaire au respect d'une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ; e) le traitement est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement.
12. Selon l'article 6, § 3, du RGPD, le fondement du traitement visé au § 1, points c) et e), est défini par a) le droit de l'Union ; ou b) le droit de l'État membre auquel le responsable du traitement est soumis. Les finalités du traitement sont définies dans cette base juridique ou, en ce qui concerne le traitement visé au § 1, point e), sont nécessaires à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement. Cette base juridique peut contenir des dispositions spécifiques pour adapter l'application des règles du présent règlement, entre autres : les conditions générales régissant la licéité du traitement par le responsable du traitement ; les types de données qui font l'objet du traitement ; les personnes concernées ; les entités auxquelles les données à caractère personnel peuvent être communiquées et les finalités pour lesquelles elles peuvent l'être ; la limitation des finalités ; les durées de conservation ; et les opérations et procédures de traitement, y compris les mesures visant à garantir un traitement licite et loyal, telles que celles prévues dans d'autres situations particulières de traitement comme le prévoit le chapitre IX. Le droit de l'Union ou le droit des États membres répond à un objectif d'intérêt public et est proportionné à l'objectif légitime poursuivi.
13. Selon l'article 6, § 4, du RGPD, lorsque le traitement à une fin autre que celle pour laquelle les données ont été collectées n'est pas fondé sur le consentement de la personne concernée ou sur le droit de l'Union ou le droit d'un État membre qui constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir les objectifs visés à l'article 23, § 1, le responsable du traitement, afin de déterminer si le traitement à une autre fin est compatible avec la finalité pour laquelle les données à caractère personnel ont été initialement collectées, tient compte, entre autres :
a) de l'existence éventuelle d'un lien entre les finalités pour lesquelles les données à caractère personnel ont été collectées et les finalités du traitement ultérieur envisagé ;
b) du contexte dans lequel les données à caractère personnel ont été collectées, en particulier en ce qui concerne la relation entre les personnes concernées et le responsable du traitement ;
c) de la nature des données à caractère personnel, en particulier si le traitement porte sur des catégories particulières de données à caractère personnel, en vertu de l'article 9, ou si des données à caractère personnel relatives à des condamnations pénales et à des infractions sont traitées, en vertu de l'article 10 ;
d) des conséquences possibles du traitement ultérieur envisagé pour les personnes concernées ;
e) de l'existence de garanties appropriées, qui peuvent comprendre le chiffrement ou la pseudonymisation.
14. Parmi les objectifs visés à l'article 23, § 1, du RGPD figurent notamment sous f) la protection de l'indépendance de la justice et des procédures judiciaires et sous j) l'exécution des demandes de droit civil.
15. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit (CJUE, 2 mars 2023, Norra Stockholm Bygg, C-268/21) :
1 - que l'article 6, § 3 et 4, du RGPD doit être interprété en ce sens que cette disposition s'applique, dans le cadre d'une procédure juridictionnelle civile, à la production en tant qu'élément de preuve d'un registre du personnel contenant des données à caractère personnel de tiers collectées principalement aux fins de contrôle fiscal.
2 - que les articles 5 et 6 du RGPD doivent être interprétés en ce sens que lors de l'appréciation du point de savoir si la production d'un document contenant des données à caractère personnel doit être ordonnée, la juridiction nationale est tenue de prendre en compte les intérêts des personnes concernées et de les pondérer en fonction des circonstances de chaque espèce, du type de procédure en cause et en tenant dûment compte des exigences résultant du principe de proportionnalité ainsi que, en particulier, de celles résultant du principe de la minimisation des données visé à l'article 5, § 1, sous c), de ce règlement.
16. La Cour de justice a notamment énoncé dans cet arrêt (point 28) qu'il découle de l'article 2, § 1, et de l'article 4, 2) « traitement » de ce règlement que « constituent un traitement de données à caractère personnel qui relève du champ d'application matériel du RGPD non seulement la création et la tenue du registre du personnel électronique (voir, par analogie, arrêt du 30 mai 2013, Worten, C-342/12, EU:C:2013:355, point 19), mais également la production en tant qu'élément de preuve d'un document, numérique ou physique, contenant des données à caractère personnel, ordonnée par une juridiction dans le cadre d'une procédure juridictionnelle [voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Inspektor v Inspektorata kam Visshia sadeben savet (Finalités du traitement de données à caractère personnel ¿ Enquête pénale), C-180/21, EU:C:2022:967, point 72]. »
17. Il en résulte que l'article 6, § 3 et 4, du RGPD s'applique à la production en tant qu'élément de preuve de documents contenant des données personnelles, tels que les bulletins de salaire de salariés tiers ainsi qu'un historique de la carrière de ceux-ci, ordonnée par une juridiction prud'homale dans le cadre d'une procédure juridictionnelle engagée par un salarié se plaignant d'une discrimination syndicale.
18. En vertu de l'article L. 3243-2 du code du travail, l'employeur est tenu d'établir et de remettre aux salariés un bulletin de paie lors du paiement du salaire. Le contenu d'un bulletin de salaire, qui est défini par l'article R. 3243-1 du code du travail, doit notamment comporter le nom et l'emploi du salarié ainsi que sa position dans la classification conventionnelle qui lui est applicable, la position du salarié étant notamment définie par le niveau ou le coefficient hiérarchique qui lui est attribué.
19. Il s'ensuit que si l'employeur, en tant que collecteur des données personnelles figurant sur les bulletins de paie de ses salariés au regard de l'article 6, § 1, sous b) et c), reste responsable au premier chef du traitement des données, la communication par l'employeur de tels documents et leur mise à disposition d'un salarié invoquant une discrimination syndicale, ordonnée par une juridiction prud'homale, ressortent d'un traitement effectué dans une finalité différente de celle pour laquelle les données ont été collectées et doivent dès lors être fondées sur le droit national, constituer une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique, au sens de l'article 6, § 4, du RGPD, et garantir l'un des objectifs visés à l'article 23, § 1, du RGPD, parmi lesquels figurent notamment, sous f) et j) la protection de l'indépendance de la justice et des procédures judiciaires et l'exécution des demandes de droit civil.
20. Or, aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m?urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
21. S'agissant d'une discrimination en raison des activités syndicales, si ce motif de discrimination n'est expressément énoncé ni par l'article 19 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ni par l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (la Charte), consacrant le principe de non-discrimination, en revanche l'article 12 de la Charte reconnaît la liberté syndicale et ce motif de discrimination est expressément visé, en droit interne, par l'article L. 1132-1 du code du travail, ce code précisant par ailleurs à l'article L. 2141-5, en son premier alinéa, qu'il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail. L'interdiction d'une différence de traitement en défaveur d'un salarié, notamment dans son évolution de carrière et de rémunération, en raison de ses activités syndicales, répond ainsi à la liberté syndicale garantie par l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 selon lequel tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale.
22. Par ailleurs, l'article L. 1134-1 du code du travail dispose que :
« Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »
23. Il en résulte qu'il appartient en premier lieu au salarié, demandeur à l'action en discrimination, de présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.
24. La chambre sociale juge qu'une mesure d'instruction ne peut être écartée en matière de discrimination au motif de l'existence d'un mécanisme probatoire spécifique résultant des dispositions de l'article L. 1134-1 du code du travail (Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 19-26.144, publié au Bulletin, rendu en matière de référé, pour la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile).
25. Aux termes de l'article L. 1134-5 du code du travail, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Ce délai n'est pas susceptible d'aménagement conventionnel. Les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.
26. En application de cette disposition, d'une part la chambre sociale juge que l'action en discrimination n'est pas prescrite lorsque le salarié fait valoir que la discrimination s'est poursuivie tout au long de sa carrière au sein de l'entreprise en termes d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, et qu'il en résulte qu'il se fonde sur des faits qui n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription (Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-22.557, publié ; Soc., 23 juin 2021, pourvoi n° 20-10.020 ; Soc., 9 mars 2022, pourvoi n° 20-19.345 ; Soc., 19 octobre 2022, pourvoi n° 21-21.309 ; Soc., 19 avril 2023, pourvoi n° 21-15.751).
27. La chambre sociale juge, d'autre part, que la réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu, et les dispositions de l'article L. 412-2 devenu l'article L. 2141-5 du code du travail ne font pas obstacle à ce que le juge ordonne le reclassement d'un salarié victime d'une discrimination prohibée (Soc., 23 novembre 2005, pourvoi n° 03-40.826, Bull. 2005, V, n° 332 ; Soc., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-17.475 ; Soc., 25 septembre 2019, pourvoi n° 18-14.975), le salarié privé d'une possibilité de promotion par suite d'une discrimination pouvant prétendre, en réparation du préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, à un reclassement dans le coefficient de rémunération qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination (Soc., 9 octobre 2019, pourvoi n° 18-16.109).
28. Enfin, la chambre sociale juge qu'il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Soc., 16 décembre 2020, pourvoi n° 19-17.648 et suivants, publié au Bulletin). Il appartient dès lors au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée (même arrêt ; Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 19-26.144, publié au Bulletin ; Soc., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-14.313).
29. Faisant sienne la conclusion de l'avis de la chambre sociale sur ce point, la deuxième chambre civile en déduit que le traitement résultant de la communication par l'employeur, ordonnée par le juge, de documents comportant des données personnelles, tels des bulletins de paie des salariés tiers, et leur mise à disposition d'un salarié invoquant l'existence d'une discrimination syndicale, ordonnées par la juridiction prud'homale à titre d'éléments de preuve, répond aux exigences de licéité au sens des articles 6 et 23 du RGPD.
30. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
31. La société fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que dans l'hypothèse où les éléments sollicités touchent à des données personnelles relatives à un tiers, et dès lors que le collecteur de ces données invoque la méconnaissance du droit à la protection que le RGPD garantit à ce tiers, le juge est tenu, avant d'ordonner la communication des éléments à la partie adverse, de se faire communiquer par le collecteur les éléments à l'effet d'apprécier si les règles du RGPD ne s'opposent pas à la communication, à tout le moins d'organiser la communication pour assurer le respect du droit à la protection dont le tiers est titulaire ; qu'en ordonnant à la CFCM Maine Anjou la communication des éléments sollicités sans mettre en oeuvre cette procédure qui seule pouvait conférer au juge le droit d'ordonner la communication, les juges du fond ont commis un excès de pouvoir ;
2°/ qu'en ordonnant à la CFCM Maine Anjou la communication des éléments sollicités, sans se faire communiquer préalablement ces éléments afin de s'assurer de la licéité de leur communication au regard des dispositions du RGPD, les juges du fond ont violé l'article 6 du RGPD et l'article 11 du Code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
32. M. [R] conteste la recevabilité du moyen, pris en sa première branche, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit. Il soutient que la société n'a pas sollicité de la cour d'appel la mise en oeuvre d'une procédure spécifique et préalable à la communication de pièces susceptibles de comporter des données à caractère personnel.
33. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt attaqué, est recevable comme étant de pur droit.
Bien-fondé du moyen
34. Il ressort de l'avis de la chambre sociale les éléments suivants.
35. En vertu de l'article L. 3243-2 du code du travail, l'employeur est tenu d'établir et de remettre aux salariés un bulletin de paie lors du paiement du salaire. Le contenu d'un bulletin de salaire, qui est défini par l'article R. 3243-1 du code du travail, doit notamment comporter le nom et l'emploi du salarié ainsi que sa position dans la classification conventionnelle qui lui est applicable, la position du salarié étant notamment définie par le niveau ou le coefficient hiérarchique qui lui est attribué.
36. La chambre sociale en déduit que, dès lors que le contenu des documents sollicités est légalement ou réglementairement déterminé, tels qu'en l'espèce les bulletins de paie des salariés de l'entreprise, le juge saisi n'est pas tenu de se faire communiquer préalablement les documents en cause contenant les données à caractère personnel des salariés de comparaison.
37. Il en résulte que le juge saisi n'était pas tenu de se faire communiquer préalablement les bulletins de paie des salariés de l'entreprise, ni les autres éléments sollicités en l'espèce, sous réserve du contrôle qu'il lui appartenait d'effectuer au regard des dispositions du RGPD, énoncé au paragraphe 60.
38. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
39. La société fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que nul ne peut être jugé sans avoir été entendu ou appelé ; que le collecteur de données personnelles et les personnes concernées par ces données personnelles sont dans une situation d'indivisibilité ; qu'en s'abstenant de mettre en cause, fût-ce d'office, les agents dont les données personnelles étaient en cause, au stade de la procédure permettant de déterminer si les données réclamées pouvaient donner lieu à communication, les juges du fond ont commis un excès de pouvoir ;
2°/ qu'en s'abstenant de mettre en cause, fût-ce d'office, les salariés dont les données personnelles étaient en cause, au stade de la procédure permettant de déterminer si les données réclamées pouvaient donner lieu à communication, les juges du fond ont en tout cas violé les règles gouvernant l'indivisibilité, les articles 14 du code de procédure civile, 6 du RGPD et 8 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
40. M. [R] conteste la recevabilité du moyen, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit. Il soutient que la société n'a pas demandé à la cour d'appel de mettre dans la cause les salariés ou anciens salariés de l'entreprise concernés.
41. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt attaqué, est recevable comme étant de pur droit.
Bien-fondé du moyen
42. Il ressort de l'avis de la chambre sociale les éléments suivants.
43. Selon le point (4) du préambule du RGPD, le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu. Il doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité. Le présent règlement respecte tous les droits fondamentaux et observe les libertés et les principes reconnus par la Charte, consacrés par les traités, en particulier le respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications, la protection des données à caractère personnel et le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial.
44. Selon l'article 5, § 1, c), les données à caractère personnel doivent être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données).
45. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, s'agissant des intérêts en présence dans le cadre d'une procédure juridictionnelle civile, la juridiction nationale doit, ainsi qu'il découle notamment des considérants 1 et 2 du RGPD, garantir la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel qui est un droit fondamental consacré à l'article 8, paragraphe 1, de la Charte et à l'article 16 du TFUE. Cette juridiction doit également garantir le droit au respect de la vie privée, consacré à l'article 7 de la Charte qui est étroitement lié au droit à la protection des données à caractère personnel. Toutefois, ainsi que l'énonce le considérant 4 du RGPD, le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance, conformément au principe de proportionnalité, avec d'autres droits fondamentaux, tel le droit à une protection juridictionnelle effective, garanti à l'article 47 de la Charte (CJUE, 2 mars 2023, Norra Stockholm Bygg, C-268/21, points 48 et 49).
46. La Cour de justice rappelle que selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme, eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique, il est essentiel que le justiciable ait la possibilité de défendre utilement sa cause devant un tribunal et qu'il bénéficie de l'égalité des armes avec son adversaire [voir, en ce sens, Cour EDH, 24 juin 2022, Zayidov c. Azerbaïdjan (No 2), CE:ECHR:2022:0324JUD000538610, § 87, et jurisprudence citée]. Il en résulte notamment que le justiciable doit pouvoir bénéficier d'une procédure contradictoire et présenter, aux différents stades de celle-ci, les arguments qu'il juge pertinents pour la défense de sa cause (Cour EDH, 21 janvier 1999, García Ruiz c. Espagne, CE:ECHR:1999:0121JUD003054496, § 29). Dès lors, afin d'assurer que les justiciables puissent jouir d'un droit à une protection juridictionnelle effective et notamment d'un droit à un procès équitable, au sens de l'article 47, deuxième alinéa, de la Charte, il convient de considérer que les parties à une procédure juridictionnelle civile doivent être en mesure d'accéder aux preuves nécessaires pour établir à suffisance le bien-fondé de leurs griefs, qui peuvent éventuellement inclure des données à caractère personnel des parties ou de tiers. Cela étant, comme indiqué au point 46 du présent arrêt, la prise en compte des intérêts en présence s'inscrit dans le cadre de l'examen de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure, qui sont prévues à l'article 6, paragraphes 3 et 4, du RGPD et qui conditionnent la licéité du traitement de données à caractère personnel. À cet égard, il convient donc de tenir également compte de l'article 5, paragraphe 1, de celui-ci, et en particulier du principe de la « minimisation des données » figurant au point c) de cette disposition, lequel donne expression au principe de proportionnalité. Selon ce principe de minimisation des données, les données à caractère personnel doivent être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité), C-439/19, EU:C:2021:504, point 98 et jurisprudence citée] (même arrêt, points 52, 53 et 54).
47. La chambre sociale juge ainsi qu'il résulte du point (4) de l'introduction du RGPD, que le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité, en particulier le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial (Soc., 8 mars 2023, pourvoi n° 21-12.492, publié au Bulletin, en matière d'égalité de traitement ; Soc., 1er juin 2023, pourvoi n° 22-13.244 et suivants, publié, en matière de discrimination syndicale).
48. Or, la Cour de justice a dit pour droit que les articles 5 et 6 du règlement 2016/679 doivent être interprétés en ce sens que lors de l'appréciation du point de savoir si la production d'un document contenant des données à caractère personnel doit être ordonnée, la juridiction nationale est tenue de prendre en compte les intérêts des personnes concernées et de les pondérer en fonction des circonstances de chaque espèce, du type de procédure en cause et en tenant dûment compte des exigences résultant du principe de proportionnalité ainsi que, en particulier, de celles résultant du principe de la minimisation des données visé à l'article 5, paragraphe 1, sous c), de ce règlement (CJUE, 2 mars 2023, Norra Stockholm Bygg, C-268/21).
49. À cet égard, la chambre sociale juge que la comparaison concernant le déroulement de carrière doit être faite avec d'autres salariés engagés dans des conditions identiques de diplôme et de qualification et à une date voisine (Soc., 24 octobre 2012, pourvoi n° 11-12.295 ; Soc., 7 novembre 2018, pourvoi n° 16-20.759).
50. Elle a ainsi jugé qu'une cour d'appel a pu retenir que, pour effectuer une comparaison utile, les salariés devaient disposer d'informations précises sur leurs collègues de travail dont la situation peut être comparée, en termes d'ancienneté, d'âge, de qualification, de diplôme, de classification, que le contrat soit à durée déterminée ou par intérim transformé ensuite en contrat à durée indéterminée ou à durée indéterminée, et que la comparaison devait pouvoir s'effectuer sur des postes semblables ou comparables réclamant la même qualification, que la communication des noms, prénoms, était indispensable et proportionnée au but poursuivi qui est la protection du droit à la preuve de salariés éventuellement victimes de discrimination et que la communication des bulletins de salaire avec les indications y figurant étaient indispensables et les atteintes à la vie personnelle proportionnées au but poursuivi (Soc., 1er juin 2023, pourvoi n° 22-13.244 et suivants, publié au Bulletin).
51. Enfin, la Cour de justice a énoncé dans son arrêt du 2 mars 2023 (CJUE, 2 mars 2023, Norra Stockholm Bygg, C-268/21) que dans l'hypothèse où la production du document contenant des données à caractère personnel s'avère justifiée, il découle, en outre, dudit principe que, lorsque seule une partie de ces données apparaît nécessaire à des fins probatoires, la juridiction nationale doit envisager la prise de mesures supplémentaires en matière de protection des données, telles que la pseudonymisation, définie à l'article 4, point 5, du RGPD, des noms des personnes concernées ou toute autre mesure destinée à minimiser l'entrave au droit à la protection des données à caractère personnel que constitue la production d'un tel document. De telles mesures peuvent notamment comprendre la limitation de l'accès du public au dossier ou une injonction adressée aux parties auxquelles les documents contenant des données à caractère personnel ont été communiqués de ne pas utiliser ces données à une autre fin que celle de l'administration de la preuve lors de la procédure juridictionnelle en cause (point 56).
52. Il s'ensuit que le salarié, demandeur à la procédure, du fait de l'utilisation des données à caractère personnel mises à sa disposition, se trouve également, tout comme l'employeur, soumis au respect des obligations découlant du RGPD, de sorte que le juge doit leur adresser des injonctions en ce sens.
53. En conséquence, il appartient au juge saisi, à l'occasion d'une action engagée devant un conseil de prud'hommes par un salarié alléguant des faits de discrimination, d'une demande de communication de documents contenant des données à caractère personnel aux fins de caractérisation et de réparation de la discrimination :
- d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi, eu égard aux principes rappelés aux paragraphes 25 à 27, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée ;
- de cantonner, au besoin d'office, le périmètre de la production de pièces sollicitées au regard notamment des faits invoqués au soutien de la demande en cause et de la nature des pièces sollicitées ;
- de veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, en ordonnant, au besoin d'office, l'occultation, sur les documents à communiquer par l'employeur au salarié demandeur, de toutes les données à caractère personnel des salariés de comparaison non indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi ; pour ce faire, il lui incombe de s'assurer que les mentions, qu'il spécifiera comme devant être laissées apparentes, sont adéquates, pertinentes et strictement limitées à ce qui est indispensable à la comparaison entre salariés en tenant compte du ou des motifs allégués de discrimination ;
- de faire injonction aux parties, eu égard aux principes rappelés aux paragraphes 51 et 52, de n'utiliser les données personnelles des salariés de comparaison, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu'aux seules fins de l'action en discrimination.
54. Au vu de ces éléments, la deuxième chambre civile juge que, les dispositions de l'article 14 du code de procédure civile, aux termes desquelles nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée, ne peuvent trouver à s'appliquer aux personnes dont les documents contenant leurs données personnelles ont été sollicités, ces personnes étant des tiers au litige, et n'étant pas en situation d'indivisibilité avec le responsable du traitement de données.
55. La protection des droits de ces tiers au litige est garantie par le contrôle du juge, décrit aux paragraphes 52 et 53.
56. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le moyen relevé d'office
57. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 5 et 6 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 :
58. La Cour de justice a dit pour droit que ces articles doivent être interprétés en ce sens que lors de l'appréciation du point de savoir si la production d'un document contenant des données à caractère personnel doit être ordonnée, la juridiction nationale est tenue de prendre en compte les intérêts des personnes concernées et de les pondérer en fonction des circonstances de chaque espèce, du type de procédure en cause et en tenant dûment compte des exigences résultant du principe de proportionnalité ainsi que, en particulier, de celles résultant du principe de la minimisation des données visé à l'article 5, paragraphe 1, sous c), de ce règlement.
59. Il appartient au juge saisi, en référé ou au fond, d'une demande de communication de documents concernant des tiers à l'instance et contenant des données à caractère personnel :
- de rechercher, d'abord, si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux des personnes physiques concernées, et en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel ;
- de vérifier quelles mesures sont indispensables au droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi et, au besoin, de limiter la communication et la production des pièces ;
- enfin, de veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, en ordonnant, au besoin d'office, l'occultation, sur les documents à communiquer, de toutes les données à caractère personnel non indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi ;
- de faire injonction aux parties de n'utiliser les données personnelles des tiers à l'instance, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu'aux seules fins de l'action pour lesquels ils ont été sollicités.
60. En matière prud'homale, conformément à l'avis de la chambre sociale, il appartient au juge saisi, à l'occasion d'une action engagée devant un conseil de prud'hommes par un salarié alléguant des faits de discrimination, d'une demande de communication de documents contenant des données à caractère personnel aux fins de caractérisation et de réparation de la discrimination :
- d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi, eu égard aux principes rappelés aux paragraphes 25 à 27, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée ;
- de cantonner, au besoin d'office, le périmètre de la production de pièces sollicitées au regard notamment des faits invoqués au soutien de la demande en cause et de la nature des pièces sollicitées ;
- de veiller au principe de minimisation des données à caractère personnel, en ordonnant, au besoin d'office, l'occultation, sur les documents à communiquer par l'employeur au salarié demandeur, de toutes les données à caractère personnel des salariés de comparaison non indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi ; pour ce faire, il lui incombe de s'assurer que les mentions, qu'il spécifiera comme devant être laissées apparentes, sont adéquates, pertinentes et strictement limitées à ce qui est indispensable à la comparaison entre salariés en tenant compte du ou des motifs allégués de discrimination ;
- de faire injonction aux parties, eu égard aux principes rappelés aux paragraphes 51 et 52, de n'utiliser les données personnelles des salariés de comparaison, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu'aux seules fins de l'action en discrimination.
61. En l'espèce, pour ordonner à la société de produire des historiques de carrière et des bulletins de salaire de neuf salariés nommément désignés et de justifier de ce qu'elle les a communiqués contradictoirement à M. [R], l'arrêt retient que le conseil de prud'hommes a ordonné la communication d'historiques de carrière ainsi que de bulletins de salaires à M. [R] afin que ce dernier puisse exercer sa défense, que dans le cadre de l'exercice de ce droit, il est admis que le salarié peut comparer son évolution de carrière à celle de collègues engagés dans des circonstances équivalentes et qu'ainsi, la production d'éléments portant atteinte à la protection des données à caractère personnel est non seulement indispensable mais aussi l'unique moyen pour M. [R] d'exercer son droit à la preuve et cette atteinte est proportionnée au but poursuivi, en l'occurence, l'exercice de sa défense par le salarié.
62. En statuant ainsi, alors qu'il appartient au juge de procéder au contrôle énoncé au paragraphe 60, en particulier en veillant au principe de minimisation des données à caractère personnel et en faisant injonction aux parties de n'utiliser ces données, contenues dans les documents dont la communication est ordonnée, qu'aux seules fins de l'action en discrimination, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
63. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt confirmant le jugement en ce qu'il a ordonné à la société de produire des historiques de carrière et des bulletins de salaire de neuf salariés nommément désignés et de justifier de ce qu'elle les a communiqués contradictoirement à M. [R] entraîne la cassation des autres chefs de dispositif du jugement confirmés et du chef de l'arrêt rejetant la demande de nullité de ce jugement qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
64. Par conséquent, au vu de tout ce qui précède, il n'y a pas lieu de poser de question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande d'astreinte et la demande d'indemnité pour procédure dilatoire et abusive, l'arrêt rendu le 1er juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.
Condamne M. [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en l'audience publique du trois octobre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.